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Ramaphosa tente de renouer avec le Rwanda

A-t-on conseillé au dirigeant sud-africain de suspendre sa contribution à la mission de la SADC dans l'est de la RDC ?

Les efforts du président sud-africain Cyril Ramaphosa pour renouer avec le Rwanda pourraient-ils contribuer à résoudre le grave conflit qui oppose le Rwanda à la République démocratique du Congo (RDC) ?

Le président Ramaphosa a rencontré le président Paul Kagame le 6 avril afin d’apaiser les difficiles relations entre l'Afrique du Sud et le Rwanda. Ramaphosa était au Rwanda pour assister à la commémoration du 30e anniversaire du génocide.

Les tensions entre les deux pays portent notamment sur la question non résolue des assassinats ou tentatives d'assassinat de dissidents rwandais en Afrique du Sud il y a dix ans, et le mécontentement de Kigali au sujet de l’hébergement par Pretoria de personnes qu'elle accuse de comploter pour renverser le gouvernement rwandais.

La dernière discorde en date concerne la contribution de l'Afrique du Sud à la mission de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) en RDC (SAMIDRC). L’objectif de la SAMIDRC est de vaincre les rebelles du M23 dans l'est de la RDC qui sont soutenus, notamment sur le plan militaire, par le Rwanda.

Deux jours après la rencontre des deux présidents, la SADC a annoncé que trois Tanzaniens de la SAMIDRC avaient été tués et trois autres blessés lors d'une attaque au mortier contre leur base près de Goma. En février, deux soldats sud-africains ont été tués et trois autres blessés lors d'une attaque au mortier contre leur base. Dans les deux cas, le M23 était le principal suspect.

Les discours de paix de Ramaphosa contrastent avec l'engagement sud-africain dans la SAMIDRC

Comment Ramaphosa et Kagame qui essaient d’aplanir ces obstacles depuis leur rencontre à un sommet de l'UA à Kigali en 2018, il y a plus de six ans, vont-ils y parvenir ?

Le problème des dissidents est apparemment insoluble. En 2014, après le meurtre de l'ancien chef des services de renseignements de Kagame, Patrick Karegeya, à Johannesburg, et la quatrième tentative d'assassinat de son ancien chef de l'armée, Kayumba Nyamwasa, près de Pretoria, la patience de l'Afrique du Sud a fini par s’épuiser. Trois diplomates rwandais et un burundais ont été expulsés. Kigali a riposté en expulsant six diplomates sud-africains.

Depuis lors, les relations diplomatiques sont dans une impasse. Pretoria ne veut expulser ni Nyamwasa ni d'autres dissidents, et Kigali refuse de procéder à l’extradition des deux suspects de l'assassinat de Karegeya, demandée par Pretoria.

L'autre question qui concerne le M23 est tout aussi épineuse. En 2013, l'Afrique du Sud a joué un rôle décisif dans la défaite du M23 par la Brigade d'intervention des Nations unies, composée de troupes de la SADC. Après une décennie d’inactivité, le M23 a refait surface et a commencé à s'emparer de territoires dans la province du Nord-Kivu en RDC.

Après avoir renvoyé la Force régionale de la Communauté d'Afrique de l'Est en décembre 2023 parce qu'elle ne voulait pas combattre le M23, le président de la RDC, Félix Tshisekedi a sollicité l’intervention des États de la SADC. Ceux-ci ont commencé à déployer la SAMIDRC en décembre, avec le même mandat offensif que celui de la Brigade d'intervention de la force des Nations unies. Cependant, le M23 est désormais plus puissant et les pertes subies par la SAMIDRC laissent à penser que sa mission sera difficile.

Ramaphosa veut-il montrer que « la paix est notre carte de visite » ?

De quoi Ramaphosa et Kagame ont-ils donc parlé ? Ramaphosa a déclaré, lors d'une conférence de presse le 7 avril, qu’ils « avaient convenu qu'une solution politique pacifique était la meilleure option à toute action militaire » dans l'est de la RDC. Ils se sont accordés sur le fait que les incursions au Rwanda des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), soutenues par la RDC et majoritairement hutues, devaient cesser. Les FDLR ont été créées par des génocidaires qui ont fui le Rwanda devant l'armée vengeresse du Front patriotique rwandais de Kagame en 1994.

Lors d'une conférence de presse le 8 avril, Kagame n'a pas nié que le Rwanda soutenait le M23 en arguant que celui-ci était composé de Tutsis congolais (ethniques) auxquels la RDC refusait d’accorder la citoyenneté. Il a fréquemment accusé l'armée de la RDC de s'allier aux FDLR pour exterminer les Tutsis du M23. Il a accusé la SADC d'avoir le même objectif en agissant de concert avec la RDC, les FDLR et d'autres forces pour cibler le M23.

Aucun des discours de paix de Ramaphosa n'a semblé tout à fait cohérent avec la fourniture de soldats à la SAMIDRC par l'Afrique du Sud dans le but de vaincre le M23. S'agit-il d'un changement d'orientation ? Cela a-t-il un rapport avec la présence à Kigali de l'ancien président Thabo Mbeki, à l'occasion de la commémoration du génocide ?

Mbeki a souligné devant les journalistes à Kigali qu'il n'y avait pas de solution militaire au conflit dans l'est de la RDC. Il a précisé que toutes les forces présentes sur le terrain, y compris la SAMIDRC, devraient se désengager pour permettre des pourparlers de paix.

Lors de son séjour à Kigali, Mbeki a communiqué des informations à Ramaphosa sur le conflit — ce dernier n'était pas au gouvernement lorsque Mbeki était président — et notamment à propos de la signature en 2002 d’un accord de paix entre Kagame et l'ancien président de la RDC, Joseph Kabila, à Pretoria.

Il n'est pas certain qu’un retrait de l'est de la RDC permettrait de résoudre le conflit

Kabila avait accepté de continuer à « traquer et désarmer les Interahamwe et les ex-FAR sur le territoire de la RDC qu'il contrôlait ». Les Interahamwe sont les escadrons de la mort hutus qui, avec l'armée rwandaise de l'époque (FAR), ont massacré les Tutsis. Les membres restants de ces deux groupes ont formé les FDLR. Kagame avait accepté que le Rwanda « se retire de la RDC dès que des mesures efficaces répondant à ses préoccupations en matière de sécurité, en particulier le démantèlement des ex-FAR et des forces Interahamwe, auront été prises ».

Mbeki a informé les journalistes à Kigali que l'accord prévoyait que le gouvernement congolais devait désarmer et s'occuper des auteurs du génocide au Rwanda qui se sont installés dans l'est du Congo. Le Rwanda devait ensuite retirer ses troupes de la région.

Il a précisé que l'accord n'avait été ni mis en œuvre ni dénoncé, et qu'il restait la base d'une résolution politique du conflit. Les médias rwandais se sont sans surprise emparés de ses propos pour justifier les déclarations de Kagame qui pointe l'incapacité de Kinshasa de prendre des mesures à l’égard des FDLR qu’il considère comme étant à l’origine du conflit.

Ramaphosa va-t-il désormais adopter cette approche ? Recommandera-t-il aux États membres de la SADC de se désengager de la SAMIDRC et de se concentrer sur le désarmement des FDLR ? Il se souviendra probablement que tout le monde n'est pas d'accord pour dire que les FDLR sont la véritable raison de l'ingérence de Kagame dans l'est de la RDC, et que les intérêts miniers, entre autres intérêts économiques, seraient déterminants.

S'agit-il plutôt de la volonté de Ramaphosa de démontrer que « la paix est notre carte de visite », comme il l'a dit à Kigali ? Et comment affrontera-t-il son électorat le 29 mai, alors que la plupart des sondages placent le Congrès national africain en dessous des 50 % ? Il n'a pas besoin de nouveaux morts sur de lointains champs de bataille en ce moment.

Il serait opportun de se retirer de l'est de la RDC. Il est moins certain que cela résoudra le conflit. Surtout si l'on tient compte de la résistance probable de Tshisekedi.

« La crédibilité du protocole d'accord de 2002 entre Kagame et Kabila pourrait ne plus constituer une base solide pour la recherche d'une solution politique, compte tenu de l'évolution de la dynamique du pouvoir au cours des deux dernières décennies, souligne Piers Pigou, responsable du programme Afrique australe à l'Institut d'études de sécurité. Si les dirigeants politiques de la RDC n'adhèrent pas à cette idée, il est probable qu'il n'y aura pas d'issue ».

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