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L’unité à tout prix ? Les États de l’AES quittent la CPI

Ces retraits de la Cour internationale de justice montrent que l’Alliance privilégie l’action commune, quelles qu’en soient les conséquences.

Le 22 septembre, l’Alliance des États du Sahel (AES), formée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, a annoncé son retrait de la Cour pénale internationale (CPI). Cette décision intervient sept mois après le départ officiel de l’Alliance de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la Cour de justice de la CEDEAO.

Le Premier ministre malien, Abdoulaye Maïga, s’est exprimé devant l’Assemblée générale des Nations unies au nom de l’AES et du Mali. Il a réaffirmé l’engagement de l’AES en faveur d’un système multilatéral (qui inclurait la CPI), à condition que tous les pays en fassent partie. Les Premiers ministres du Burkina Faso et du Niger ont fait écho à ses propos sans faire référence à la CPI dans leurs discours.

Le communiqué conjoint sur le retrait de la CPI a été publié par le président malien Assimi Goïta en sa qualité de président de l’AES. Il en ressort qu’au lieu de s’en remettre à un système international, les trois pays opteraient pour des mécanismes locaux et endogènes afin de « consolider la paix et la justice » et de lutter contre l’impunité. L’Alliance reproche à la Cour de pratiquer une justice « sélective ».

Ce n’est pas la première fois que la CPI fait l’objet d’une telle accusation. Entre 2009 et 2015, elle a essuyé les critiques des pays africains et de l’Union africaine (UA) pour n’avoir inscrit à son rôle que des affaires africaines.

En 2022, Amnesty International a averti que la pratique du deux poids, deux mesures (ou d’en donner l’impression) menaçait l’avenir de la Cour. À l’époque, la CPI semblait avoir surmonté la menace d’un retrait massif des pays africains.

Il est trop tôt pour dire si le départ de l’AES pourrait être suivi par d’autres États africains. Cela semble toutefois peu probable, compte tenu de leur récente condamnation des sanctions imposées par les États-Unis à la CPI.

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont été parmi les premiers à ratifier le Statut de Rome

Les États africains ont joué un rôle essentiel dans l’élaboration du Statut de Rome et la création de la Cour. Au cours des années qui ont précédé le traité, les pays du continent ont collectivement énoncé des principes clairs sur la forme et sur le fonctionnement d’une cour pénale internationale indépendante. Lorsque le Statut de Rome a été adopté en 1998, un tiers des 120 États qui avaient voté en sa faveur étaient africains, constituant le plus grand bloc.

Beaucoup de choses ont changé en 27 ans. Aujourd’hui, la CPI compte 125 États membres (dont 33 pays africains, quatre d’entre eux ayant adhéré au cours des 15 dernières années). Le Burundi et les Philippines ont quitté la Cour, respectivement en 2017 et 2019. En mai 2025, le Parlement hongrois a entamé une procédure de retrait, sans la mener à terme. Le Kenya, l’Afrique du Sud et la Gambie ont exprimé leur intention de se retirer, mais sont revenus sur leur décision ou n’y ont jamais donné suite.

Le chemin vers la ratification universelle n’a pas été sans embûches pour la CPI. Alors que la Cour est soumise à des pressions croissantes, le départ de l’AES compromet certainement cet effort.

En tant que bloc de pays le plus important, les États africains membres de la CPI se sont exprimés haut et fort sur la manière d’améliorer le fonctionnement de la Cour et de faire progresser la justice internationale. Des réformes ont été adoptées, comme l’ouverture d’enquêtes sur des situations hors d’Afrique, en Palestine, en Ukraine, en Géorgie, au Bangladesh/Myanmar et aux Philippines.

Néanmoins, la plupart des enquêtes et des affaires de la CPI concernent le continent africain, principalement en raison des saisines spontanées par les pays concernés. Paradoxalement, en 2012, le Mali était le cinquième pays africain à avoir saisi la CPI pour des faits survenus sur son territoire.

La saisine du Mali a été la première à être soutenue par d’autres États. Le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Liberia, le Niger, le Nigeria et le Togo étaient membres du Groupe de contact de la CEDEAO sur le Mali. Si les États de l’AES mettent à exécution leur retrait, la CPI pourra toujours traiter les affaires maliennes en cours, mais ce sera difficile sans la pleine coopération des autorités du pays.

Le retrait de l’AES de la CPI élargit le fossé de l’impunité

Le changement radical de cap des trois pays du Sahel couvait depuis l’installation des juntes à leurs têtes après les coups d’État. Dès son arrivée au pouvoir en 2022, le dirigeant du Burkina Faso, Ibrahim Traoré, a laissé entendre qu’il se retirerait de la CPI. Il a gagné en popularité grâce à un message « panafricaniste » rejetant « l’impérialisme occidental » et les institutions internationales telles que le Fonds monétaire international et la CPI.

Le communiqué de l’AES alimente l’idée que les institutions internationales sont des instruments partiaux de l’impérialisme occidental. Ironiquement, les États-Unis accusent également la CPI d’être arbitraire, considérant qu’elle est un outil qui vise à nuire aux intérêts américains et israéliens.

En juin de cette année, l’AES a annoncé la création de la Cour pénale et des droits de l’homme du Sahel (CPS-DH), considérée par certains analystes comme une première étape vers le retrait de la CPI. L’AES affirme qu’elle sera fondée sur les réalités locales et à l’abri de « l’influence négative des puissances impérialistes sur l’organisation et le fonctionnement de certaines instances juridictionnelles régionales et internationales ».

Cependant, les organisations de défense des droits humains ont exprimé leur inquiétude : sans mécanisme de responsabilisation indépendant, le retrait de l’AES de la CPI élargit le fossé de l’impunité. Le retrait limite les possibilités pour les victimes d’obtenir justice, en particulier au Burkina Faso et au Mali, où des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité auraient été commis au cours de la dernière décennie.

Le contraste entre les aspirations des trois États à une responsabilité mondiale en 1998 et leur récent rejet de la CPI ne pourrait être plus frappant. Pendant des décennies, ces trois pays ont été à l’avant-garde de la promotion d’une plateforme mondiale de justice plus équitable en matière de responsabilité. Ils ont été parmi les premiers pays à signer et à ratifier le Statut de Rome.

Bien que leur retrait ait été annoncé comme « immédiat », le Statut de Rome prévoit un délai de 12 mois avant qu’il ne prenne effet. Ce préavis a permis à des pays comme l’Afrique du Sud de revenir sur leur décision de se retirer. Cependant, l’AES ne devrait pas changer de position, compte tenu de la résolution prise par les trois pays de quitter la CEDEAO.

Une souveraineté qui ne rend pas de comptes à ses citoyens peut verser dans l’autoritarisme

C’est un coup dur pour la CPI, en particulier, et pour le système judiciaire international, en général. L’AES a le droit d’affirmer sa souveraineté dans ce domaine, mais quelles en sont les implications ? Et une souveraineté qui n’a pas à rendre des comptes aux citoyens ne risque-t-elle pas de verser dans l’autoritarisme ?

La CPI fait l’objet de nombreuses critiques, dont certaines sont justifiées. Cependant, elle n’a pas été créée pour remplacer les juridictions nationales et, dans certains cas, régionales, mais bien pour les compléter. Il reste essentiel de disposer de multiples espaces de responsabilisation, que ce soit par la recherche de la vérité, la justice transitionnelle, la justice pénale, la réhabilitation ou les réparations.

Qu’ils soient locaux, endogènes ou transrégionaux, les mécanismes doivent consacrer trois principes clés qui sous-tendent la justice internationale. Premièrement, nul n’est au-dessus des lois. Deuxièmement, les juridictions complémentaires peuvent offrir des options aux victimes. Troisièmement, les droits des victimes à participer et à demander réparation doivent être garantis.

Si ces principes ne sont pas intégrés dans les nouveaux mécanismes, le retrait de la CPI risque de compromettre les fondements de la justice internationale.

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