La mission de paix africaine : un pas en avant, un pas en arrière ?

Même si la médiation africaine est un pas important pour résoudre le conflit russo-ukrainien, de telles initiatives doivent être plus collectives et mieux organisées.

La mission de paix africaine Ukraine-Russie marque l’histoire du continent. C’est la première fois que des États africains initient le dialogue pour la paix dans un conflit extérieur à l’Afrique.

La délégation regroupait des dirigeants et des représentants des Comores, du Congo-Brazzaville, de l’Égypte, du Sénégal, de l’Ouganda, de la Zambie et de l’Afrique du Sud qui conduisait la mission. Après l’Ukraine le 16 juin, elle s’est rendue en Russie le lendemain pour discuter d’une résolution pacifique de la guerre.

Si son succès ne saute pas aux yeux, cette mission a néanmoins mis en lumière l’engagement collectif de ces États africains en faveur d’une solution diplomatique. Cela souligne l’importance qu’ils accordent au conflit, qu’ils considèrent non pas comme une guerre lointaine, mais bien comme une crise qui a des répercussions directes en Afrique.

Au-delà des effets de la guerre sur la sécurité alimentaire de l’Afrique, la mission a souligné le caractère central de la Charte des Nations unies et la façon dont le conflit remet en question les fondements mêmes du système international.

C’est d’autant plus important, car de nombreux pays, en particulier l’Afrique du Sud, peinent à justifier leur position de non-alignement. Les pays africains étaient divisés lors des votes à l’Assemblée générale des Nations unies et se sont toujours abstenus de condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La mission de paix contribue donc à dissiper l’impression que les États africains seraient des acteurs sans intérêts ou sans responsabilité dans le maintien d’un ordre mondial fondé sur des règles.

La mission a souligné la position de l’Afrique sur la centralité de la Charte des Nations unies

L’initiative a également réussi à présenter une proposition à Kiev et à Moscou, une double médiation que peu d’acteurs internationaux sont actuellement en mesure de faire. Bien que les détails de la mission n’aient pas été rendus publics avant le voyage, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a présenté un plan de paix en dix points. La proposition souligne l’importance de la souveraineté territoriale, de la désescalade et des garanties de sécurité pour toutes les parties.




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Malgré ces réussites, la mission a rencontré plusieurs défis importants, dus en grande partie au manque de transparence, à une mauvaise communication et à des interrogations sur sa conception et sa planification.

Le rôle central joué en coulisses par la Fondation Brazzaville, sise à Londres et dirigée par l’homme d’affaires français Jean-Yves Ollivier, est particulièrement étonnant au vu des nombreuses voies diplomatiques qui s’offraient pourtant aux dirigeants africains. Les informations reliant l’homme d’affaires sud-africain de l’industrie mondiale de l’armement et de la défense, Ivor Ichikowitz, et la mission de paix viennent étayer les soupçons quant à l’indépendance et la crédibilité de cette dernière. Outre ses intérêts dans le commerce des armes, Ichikowitz soutient financièrement le Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir en Afrique du Sud.

La présence des présidents sortant et en exercice de l’Union africaine, Macky Sall (Sénégal) et Azali Assoumani (Comores), a ajouté du poids politique et de la légitimité. Malgré la répartition régionale des États impliqués, pourquoi ne pas avoir recherché une constellation plus large d’intérêts africains ?

En outre, on ne peut ignorer la maladresse logistique manifeste de l’importante équipe de sécurité de Ramaphosa qui a indéniablement terni  l’image de l’Afrique du Sud en tant qu’acteur mondial compétent et respecté.

La mission de paix africaine a parlé à Kiev et à Moscou – ce que peu de pays ont réussi à faire

La responsabilité n’est toujours pas établie entre le bureau de la présidence et les services de la protection présidentielle, qui ont affrété l’avion qui a été cloué au sol en Pologne, laissant Ramaphosa visiter Kiev et Saint-Pétersbourg sans son équipe de sécurité au complet. Les messages contradictoires entre Ramaphosa et son porte-parole, Vincent Magwenya, sur la menace des missiles russes ciblant Kiev pendant le voyage ont également mis en évidence une mauvaise communication, affaiblissant la position de l’Afrique du Sud en tant que chef de mission.

Le premier cycle de négociations s’est achevé sur des résultats mitigés. Les deux parties ont rejeté le plan africain, le jugeant irréalisable. Toutefois, ce n’est pas le premier échec d’une tentative internationale de recherche d’une solution pacifique à la guerre. Les propositions de la Chine et de l’Indonésie, plus tôt cette année, ont également connu un succès modeste. À chaque fois, ni la Russie ni l’Ukraine n’ont voulu revoir leurs positions.

L’Ukraine maintient qu’aucun processus de paix n’est possible tant que les forces russes continuent d’occuper ses territoires souverains. Au cours de la conférence de presse conjointe, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a rejeté les appels à des négociations immédiates, déclarant : « Permettre des négociations avec la Russie maintenant, alors que l’occupant est sur notre territoire, c’est geler la guerre, geler tout : la douleur et la souffrance ».

Le président russe Vladimir Poutine a répété à la délégation que les « nouvelles réalités territoriales » devaient être prises en compte pour que les négociations puissent se poursuivre. En septembre 2022, Moscou a modifié sa Constitution pour y incorporer les quatre provinces ukrainiennes en tant que nouveaux sujets fédéraux de la Fédération de Russie, ce qui rend improbable toute « concession » territoriale volontaire à l’Ukraine.

La mission a souffert d’un manque de communication et de transparence, suscitant le doute sur sa conception

La désescalade n’étant pas en vue, le conflit continuera d’avoir un impact matériel sur l’Afrique, en particulier sur sa sécurité alimentaire. La destruction récente du barrage de Nova Kakhovka, dans le cœur agricole de l’Ukraine, limitera probablement la production alimentaire pendant des années, ce qui aggravera les pénuries. Et la Russie continue de menacer de se retirer de l’accord sur les céréales de la mer Noire, qui garantit actuellement l’exportation des produits agricoles à partir des ports ukrainiens.

Il est clairement dans l’intérêt de l’Afrique d’engager le dialogue avec la Russie et l’Ukraine, non seulement pour la paix, mais aussi pour minimiser les dommages causés par la guerre sur le continent. En communiquant de manière proactive cette position aux deux parties et en ouvrant des portes pour de futurs engagements, la position de l’Afrique sera entendue.

L’Afrique sera également touchée par les courants géopolitiques sous-jacents de plus en plus volatiles en raison du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Les relations avec les grandes puissances internationales doivent être gérées avec soin et les actions des pays africains pour sauvegarder l’ordre international fondé sur des règles doivent être claires.

À cet égard, la mission a obtenu certains résultats positifs, notamment le lancement du sommet Ukraine-Afrique en tant que plateforme pour une coopération plus étroite. Mais la participation africaine à cette initiative doit être officialisée pour représenter des intérêts collectifs plus larges.

La mission de paix africaine est un premier pas important pour le continent et une dimension supplémentaire dans les efforts mondiaux pour trouver une solution diplomatique à cette crise. Elle ouvre la voie à davantage d’engagements bilatéraux entre l’Afrique, la Russie et l’Ukraine et contribue à redéfinir l’image de l’Afrique en tant que partie prenante directe à l’issue de la guerre.

Toutefois, pour parvenir à une certaine cohérence et à un élan vers la paix, les États africains ont besoin d’une approche stratégique commune afin de tirer parti de leur influence collective sur la scène mondiale.

Priyal Singh, chercheur principal, L’Afrique dans le monde, et Denys Reva, chercheur, Projet maritime, ISS Pretoria

Image : © Presidency South Africa/Twitter

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