La diplomatie sans dissuasion n'apportera pas la paix dans l'est de la RDC
Aucun effort de médiation n'a défini les mesures incitatives qui permettraient d’aboutir à la désescalade du conflit, et encore moins à la paix.
Publié le 15 août 2025 dans
ISS Today
Par
Paul-Simon Handy
directeur régional pour l’Afrique de l’Est et représentant de l’ISS auprès de l’UA
La chute de Goma et de Bukavu, qui sont passées aux mains de l’Alliance fleuve Congo (AFC) / Mouvement du 23 mars (M23) et des forces rwandaises en début 2025, a déclenché une vague d’activité diplomatique dans toute la région des Grands Lacs.
En février, l'Union africaine (UA) a approuvé une proposition conjointe de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et de la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE) visant à fusionner les processus de paix de Luanda et de Nairobi. Toutefois, bien qu'elle ait été officialisée lors du sommet CAE-SADC du 1er août, cette « fusion » a été plus symbolique que réelle.
Alors que la République démocratique du Congo (RDC) parle d'« alignement », la CAE insiste sur le terme « fusion », une divergence sémantique qui masque une incohérence institutionnelle plus profonde. Il a notamment fallu beaucoup de temps pour établir une relation de travail efficace entre le médiateur nommé par l'UA, le président togolais Faure Gnassingbé, et le groupe de facilitateurs composé d'anciens dirigeants du Nigeria, du Kenya, du Botswana, de l'Éthiopie et de la République centrafricaine.
Dans le même temps, deux voies diplomatiques non africaines ont vu le jour. Les États-Unis ont facilité les négociations entre Kinshasa et Kigali, tandis que le Qatar a arrangé des discussions directes entre Kinshasa et le M23. Ces efforts ont abouti à une déclaration de principes à Doha et à un accord de paix officiel signé à Washington le 27 juin.
Malgré ces avancées diplomatiques apparentes, les affrontements armés persistent dans le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l'Ituri, ignorant les appels répétés à un cessez-le-feu. Le fossé entre le processus politique et la réalité militaire ne cesse de se creuser. Dans ces circonstances, une solution exclusivement politique semble peu susceptible de résoudre un conflit aux dimensions militaires, régionales et politiques si profondément enracinées.
Le paradoxe est fondamental. Sur le champ de bataille, le M23 et ses alliés rwandais ont remporté des victoires tactiques décisives. Dans ce que l'on pourrait appeler la « troisième guerre du Congo », le Rwanda et son allié ont vaincu une coalition composée des forces congolaises, des contingents de la SADC, des troupes burundaises, de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo et même de mercenaires roumains.
Le fossé entre le processus politique et la réalité militaire ne cesse de se creuser
Ce faisant, le Rwanda a sapé l'influence régionale de l'Angola et de l'Afrique du Sud, deux puissances continentales qui n'ont pas réussi à stabiliser le front ni à imposer un règlement diplomatique.
Cependant, ces victoires militaires contrastent avec les succès diplomatiques internationaux de Kinshasa. La diplomatie de la RDC a réussi à présenter la guerre comme une agression étrangère, suscitant une condamnation quasi universelle du M23 et de ses soutiens rwandais.
Cependant, trois facteurs majeurs font obstacle à toute perspective sérieuse de paix.
Premièrement, il n'existe aucune force de dissuasion militaire crédible. Il n’y a pas de mécanisme contraignant qui pousserait les Forces de défense rwandaises (FDR) et le M23 à se retirer des territoires occupés. Il faudrait que les futures négociations intègrent la capacité d'exercer une pression significative, ce que ni l’organisation régionale ni la communauté internationale dans son ensemble ne semblent disposées à faire.
Deuxièmement, Kinshasa reste politiquement et stratégiquement réticente à faire des concessions au M23, qu'elle considère comme une force de proximité de Kigali. L'émergence des milices wazalendo (des groupes d'autodéfense communautaires locaux) a encore compliqué la situation.
Ces milices, qui sont beaucoup plus actives que l'armée congolaise dans de nombreuses zones contestées, rejettent tout compromis avec le M23. Après le retrait des forces de la SADC et du Burundi, s'aliéner les Wazalendo exposerait le gouvernement de la RDC sur les plans militaire et social.
La RDC perd déjà le contrôle de son territoire de manière effrénée et désorganisée
Troisièmement, la probabilité d'un retrait unilatéral des FDR est faible. Depuis qu'elle a perdu le contrôle de Goma et de Bukavu, la RDC n'exerce plus aucune surveillance sur des sections clés de sa frontière avec le Rwanda. Il est irréaliste d'espérer que Kigali se retire alors que l'Ouganda et le Burundi maintiennent chacun des milliers de soldats dans l'est de la RDC.
Ces acteurs régionaux opèrent dans un contexte d'ingérence concurrentielle, chacun faisant valoir ses propres intérêts sous le couvert de la lutte contre l'insurrection ou de la coopération en matière de sécurité. Pourtant, les efforts diplomatiques persistent à considérer la crise comme un conflit bilatéral entre la RDC et le Rwanda, ignorant son étendue régionale.
Cumulés, ces facteurs impliquent un gel des positions actuelles. Pour Kinshasa, l'arrêt de l'avancée du M23 et l'engagement diplomatique des États-Unis ont offert une protection à court terme contre les ambitions de changement de régime de la coalition entre le chef de l'AFC, Corneille Nangaa, et le M23.
Néanmoins, l'espoir que la diplomatie américaine à elle seule aboutisse au retrait des FDR et à la restauration complète du territoire pourrait être illusoire. L'accord de paix de Washington impose des obligations à Kinshasa, telles que le démantèlement des coalitions avec les groupes armés locaux et les Forces démocratiques de libération du Rwanda, sans engagements équivalents ou vérifiables de la part de Kigali concernant son soutien au M23.
Pour le Rwanda, le maintien d'un corridor sous le contrôle du M23 le long de la frontière garantit une étendue stratégique sur le territoire congolais à un coût minimal. Ce qui se profile dans les Kivus ressemble de plus en plus au Donbas ukrainien – une région autonome de fait qui échappe au contrôle national, mais qui est soutenue par un État voisin.
La réponse des acteurs régionaux a hésité entre une intervention militaire directe et un engagement diplomatique. Aucun effort de médiation n'a clairement défini les mesures incitatives ou dissuasives nécessaires pour amener les parties au conflit à la désescalade, encore moins à la paix.
Peu d'acteurs ont envie de s'engager militairement dans une région aussi instable
Ce qu'il faut, c'est un rééquilibrage stratégique. L'engagement diplomatique doit être associé à une dissuasion militaire crédible. Cela implique une présence militaire importante, dotée de capacités d’artillerie et aériennes appropriées, et une posture adéquate, non seulement pour faire respecter les cessez-le-feu, mais aussi pour vérifier les retraits, surveiller les flux transfrontaliers et protéger les civils.
Cela signifie également reconnaître que les efforts de médiation actuels ne peuvent aboutir sans un rééquilibrage des forces régionales.
Ce n'est pas une option facile, mais c'est celle qui offre les meilleures perspectives pour une paix durable. Cependant, rares sont les acteurs régionaux ou multilatéraux qui ont envie – ou la volonté politique – de s'engager militairement dans une région aussi complexe et instable, en particulier contre l'une des puissances militaires les plus expérimentées d'Afrique.
Et pourtant, sans un tel changement, les processus de paix en cours resteront déconnectés de la dynamique militaire, et l'est de la RDC risque de se fragmenter durablement.
En effet, la RDC perd déjà le contrôle de son territoire de manière effrénée et non coordonnée. Alors que les forces soutenues par le Rwanda s'installent dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, les troupes ougandaises ont étendu leur présence dans le « Grand Nord » et en Ituri. Cette expansion, officiellement approuvée lors de la visite du chef de la défense ougandais, le général Muhoozi Kainerugaba, à Kinshasa fin juin, s'est déroulée sans notification préalable.
Dans le même temps, le Burundi a intensifié son engagement militaire dans le Sud-Kivu afin de freiner l'avancée du M23 et de ses alliés banyamulenge, les Twirwaneho, alliés au groupe armé burundais Résistance pour un État de droit au Burundi (RED Tabara).
Bien que le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi ne soient pas actuellement alignés, la situation ressemble de plus en plus à celle de la fin des années 1990, lorsque les interventions non sollicitées des États voisins ont entraîné une balkanisation effective de l'État congolais. Seules les interventions du Zimbabwe, de l'Angola, de la Namibie, du Tchad et du Soudan ont permis de rééquilibrer la dynamique militaire, ouvrant la voie à l’accord de Lusaka en 1999 et à l'accord de Sun City en 2002.
La diplomatie sans moyen de pression ne suffit pas. La communauté internationale doit tirer les leçons de l'histoire récente et adapter son approche, en associant le dialogue à la dissuasion, les paroles à la force, et les processus de paix à des mécanismes d'application. Toute autre approche risque de renforcer le statu quo et de permettre la destruction silencieuse de la souveraineté congolaise, province après province.
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