Conférence internationale sur la région des Grands Lacs / X

La CIRGL peut-elle redevenir pertinente dans les Grands Lacs ?

Au cœur de la crise régionale, la RDC, présidente de la CIRGL, peut relancer une dynamique de sécurité collective.

Près de dix mois après avoir pris Goma, les rebelles du M23 contrôlent toujours une grande partie des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Les initiatives de paix régionales étant au point mort, les efforts de médiation se sont tournés vers des acteurs extérieurs tels que les États-Unis et le Qatar. Ils ont relégué au second plan le processus conjoint de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de l’Union africaine (UA).

Cependant, ces efforts extérieurs restent limités. Les processus de Washington et de Doha manquent d’inclusivité et ne parviennent pas à trouver des solutions aux facteurs régionaux du conflit tels que la concurrence pour les ressources, les déplacements de population et les groupes armés transfrontaliers.

Dans ce contexte, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), qui est chargée de la paix et de la sécurité, est confrontée à un test essentiel. La RDC, qui est sur le point d’accueillir le prochain sommet de la Conférence et d’assurer sa présidence à partir de la mi-novembre, pourra-t-elle retrouver un rôle significatif dans l’élaboration de réponses collectives aux crises persistantes de la région ?

Fondée en 2006 par les Nations unies et l’UA après les guerres qui ont ravagé la région des Grands Lacs, la CIRGL a pour objectif de réduire les tensions et de favoriser le dialogue.

Lors de la première rébellion du M23 (2012-2013), elle a coordonné les réponses régionales qui ont ouvert la voie au Dialogue de Kampala entre Kinshasa et le M23. Elle a renforcé la coopération en matière de sécurité grâce au Mécanisme conjoint de vérification élargi et au Centre conjoint de fusion des renseignements, basés à Goma, et a été le garant de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région en 2013 (dit « Accord-cadre d’Addis-Abeba »).

La CIRGL a été largement mise à l’écart de la crise que traverse le M23

Cependant, la CIRGL a été largement mise à l’écart de la crise que traverse le M23, la CAE et la SADC – qui représentent à elles deux huit de ses douze membres – ayant pris les devants. La concurrence entre les blocs et les tensions entre États membres ont limité son action.

Le sommet biennal des chefs d’État de la CIRGL n’a pas été convoqué depuis 2020, et aucun sommet extraordinaire n’a été organisé depuis 2023. Et ce, malgré les violations flagrantes par certains États membres du Protocole sur la non-agression et la défense mutuelle de la Conférence, concernant notamment le recours à la force contre l’intégrité territoriale d’un autre État et le soutien à des groupes armés insurgés.

Les États membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs

 

Par ailleurs, la guerre au Soudan, l’accroissement des tensions au Soudan du Sud, les tensions dans les processus électoraux et l’importance des problèmes humanitaires dans la région des Grands Lacs remettent en question l’objectif de la CIRGL de promouvoir la sécurité et la stabilité.

Plusieurs facteurs interdépendants expliquent la situation difficile dans laquelle se trouve actuellement la CIRGL.

La reconfiguration régionale a érodé certains de ses avantages comparatifs. L’élargissement de la CAE au Rwanda et au Burundi en 2007, puis à la RDC en 2022, a affaibli sa position d’intermédiaire entre les blocs économiques. Et l’association de la CAE, de la SADC et de l’UA pour résoudre le conflit dans l’est de la RDC a encore éclipsé le rôle de la CIRGL dans la médiation régionale.

Bien que l’Accord-cadre d’Addis-Abeba de 2013 ait harmonisé les initiatives de paix dans l’est de la RDC, il a également introduit une concurrence avec la CIRGL. Le sommet de 2023 de la CAE, de la SADC, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Est (CEEAC) et de la CIRGL a augmenté les redondances en introduisant un nouveau mécanisme de coordination. La pratique de l’« élection de juridiction », en particulier de la part de la RDC, a encore fragmenté la coopération régionale.

Les initiatives de gestion des conflits se déroulent de plus en plus en dehors des cadres régionaux, par le biais de déploiements bilatéraux (par exemple, les opérations burundaises et ougandaises en RDC), de sociétés militaires privées et même d’accords de procuration avec des groupes armés. Cela nuit à la confiance et entrave l’action collective.

Il faut relancer le rôle de la CIRGL dans la surveillance du cessez-le-feu dans l’est de la RDC

La géopolitique régionale, elle aussi, complique la situation. La CIRGL s’engage à lutter contre le commerce illicite, mais l’or et d’autres minerais issus de la contrebande restent des sources de revenus essentielles pour plusieurs de ses États membres. Les déploiements militaires et les groupes armés sont liés à des luttes d’influence plus larges, ce qui réduit les incitations à mettre en œuvre des engagements collectifs tels que le Mécanisme régional de certification ou le Protocole de non-agression.

La résistance politique face à la surveillance de la région aggrave ces problèmes. Les faibles contributions financières des États membres affectent la capacité opérationnelle du Secrétariat et des institutions de la CIRGL, affaiblissant encore davantage le déroulement de son programme.

Face aux efforts de paix déployés dans l’est de la RDC qui n’aboutissent pas et le manque de cohérence du cadre CAE-SADC-UA, il est nécessaire de redynamiser l’approche régionale. La logique fondatrice de la CIRGL, selon laquelle les conflits dans la région des Grands Lacs sont interdépendants et ont une dimension régionale, reste pertinente.

Le conflit et la détérioration du climat politique en RDC menacent la stabilité au-delà de l’est du pays. Le risque de fragmentation et d’effondrement augmente et pourrait affecter directement les États voisins, qui sont tous membres de la CIRGL. En parallèle, les tensions qui se sont propagées au Burundi et au Rwanda menacent davantage la stabilité.

Le Rwanda pourrait mal voir un plus grand engagement de la RDC dans la CIRGL

La RDC étant au centre de cette crise, sa prochaine présidence de la CIRGL lui offre la possibilité de relancer un engagement régional de haut niveau. Le moment est opportun, étant donné que la Conférence a été chargée de surveiller le cessez-le-feu dans l’est de la RDC. Cependant, pour y parvenir, plusieurs ajustements seront nécessaires.

Tout d’abord, les États membres doivent préciser et réaffirmer le rôle de la CIRGL dans les initiatives régionales et continentales. Pour ce faire, un sommet de suivi avec les blocs régionaux d’Afrique australe, orientale et centrale sous les auspices de l’UA devrait être organisé. Il est également nécessaire de réviser le cadre CAE-SADC-UA pour la paix dans l’est de la RDC.

À plus long terme, une révision du Pacte de 2006 de la CIRGL permettrait de rationaliser les priorités et de l’aligner sur les réalités régionales en constante évolution.

Ensuite, Kinshasa doit ajuster son approche de la crise dans l’est de la RDC et reconnaître ses dimensions tant nationales que régionales. Afin d’accorder ses efforts avec ceux de Washington et de Doha, la RDC pourrait utiliser sa position de présidente de la CIRGL pour convoquer des sommets extraordinaires ou des mini-sommets afin de renforcer l’engagement régional autour des questions urgentes liées à l’insécurité. Cela inclut la violation de son intégrité territoriale par le Rwanda.

Le Rwanda pourrait considérer un plus grand investissement congolais dans la CIRGL comme une tentative d’exploiter l’organisation, comme il a accusé Kinshasa de le faire avec la CEEAC avant de s’en retirer. Pour parvenir à la paix régionale, la RDC et les autres États membres devront dépasser la focalisation sur la sécurité du régime et reconnaître l’interdépendance entre la stabilité nationale et la stabilité régionale.

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