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L’élection présidentielle en Côte d’Ivoire accentue la fragilité démocratique

La victoire écrasante de Ouattara pour un quatrième mandat reflète les défis persistants à instaurer une démocratie inclusive et crédible.

Le 25 octobre dernier, Alassane Ouattara a été réélu à un quatrième mandat présidentiel lors d’un scrutin où seulement la moitié de l’électorat ivoirien a voté. Le 4 novembre, les résultats confirmaient sa victoire avec 89,77 % des voix, loin devant ses quatre adversaires qui ont totalisé 8,63 % des suffrages.

Le faible taux de participation (50,10 %) reflète le climat de tension politique qui a entouré le processus électoral et rappelle la fragilité de la démocratie électorale ivoirienne, 35 ans après l’introduction du multipartisme.

Plusieurs facteurs ont attiré les contestations de l’opposition. Celle-ci a d’abord remis en question la neutralité de la Commission électorale indépendante (CEI) et la fiabilité du fichier électoral, appelant à une réforme du premier et à un audit et une révision du second.

Ensuite, elle accuse les autorités d’avoir manipulé le système judiciaire en vue d’exclure les principaux opposants Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam de la liste électorale. L’ancien président Gbagbo était le candidat désigné du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), et Thiam représentait le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).

Enfin, la candidature de Ouattara à un quatrième mandat a ravivé les débats quant à sa légalité, compte tenu de la limite constitutionnelle de deux mandats.

Les rapports des missions d’observation dont le Conseil national des droits de l’homme, Indigo Côte d'Ivoire, le Réseau ouest-africain pour la consolidation de la paix et de la mission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest-Union africaine (CEDEAO-UA) indiquent que le scrutin s’est globalement déroulé dans le calme.

Le faible taux de participation témoigne du climat de tension politique autour du scrutin

Cependant, il y a eu quelques incidents dans les villes d’Abidjan, de Bonoua, de Dabou, de Daloa, de Divo, de Gagnoa, de Grand-Moutcho et de Yamoussoukro les jours qui ont précédé le scrutin. Malgré l’interdiction des manifestations publiques, décrétée le 17 octobre pour une durée de deux mois, des partisans de l’opposition ont protesté contre l’exclusion de leurs candidats.

Ces manifestations ont perturbé la circulation et entrainé la destruction de biens et du matériel électoral, et il y a eu des affrontements entre communautés à Nahio, à l’Ouest du pays. Au moins une douzaine de personnes auraient perdu la vie, même si aucun bilan officiel n’a été publié.

Depuis 1995, les élections présidentielles dans le pays peinent à s’affranchir des rivalités personnelles entre les principaux dirigeants d’une classe politique vieillissante. Il en est de même des manœuvres des différents pouvoirs visant à exclure des adversaires du jeu politique.

Ces divisions résultent de la faible cohésion nationale et du manque d’indépendance des institutions électorales et du pouvoir judiciaire. Le pays s’évertue encore à mettre en place et consolider les institutions démocratiques et à panser les plaies de la crise postélectorale de 2010.

La page de l’élection 2025 n’est pas encore complètement tournée. Elle a laissé des séquelles qui pourraient continuer à influencer le climat sociopolitique dans les semaines, voire les mois à venir.

Le PPA-CI et le PDCI, absents de l’élection, remettent en question le caractère démocratique du processus. Ils estiment que le quatrième mandat de Ouattara est inconstitutionnel et résulte d’un « coup d’État civil » et d’un « hold-up électoral ». Le PPA-CI a appelé à poursuivre la mobilisation pour s’y opposer.

Les élections successives ont baigné dans les rivalités personnelles ou les tentatives d’exclusion de l’opposition

L’issue de ce qui s’annonce comme la poursuite d’un bras de fer dépendra de la capacité de l’opposition à s’unir et à mobiliser pour faire valoir ses revendications. Ce qu’elle n’est pour l’heure pas parvenue à réussir. En même temps, le gouvernement reste fermement déterminé à prévenir et contenir toute contestation qu’il considère comme un prélude à une insurrection.

Si les élections sont des moments de contestation politique et d’émotions exacerbées, l’histoire politique ivoirienne entachée de violences souligne qu’il faut éviter de normaliser l’instabilité et de reproduire les crises électorales. Si rien ne change, les mêmes tensions pourraient ressurgir lors de la présidentielle en 2030.

En prêtant serment le 8 décembre, Ouattara entamera son dernier mandat en vertu de la Constitution actuelle. Parmi les nombreux défis à relever, il devra œuvrer à léguer au pays un système démocratique crédible et consensuel.

Pour cela, il faudra une révision approfondie des lois électorales et connexes (code de la nationalité, code pénal, etc.). Le format et la composition du cadre institutionnel électoral, centré sur la CEI, doivent également être revus. Il a fait son temps et montré son incapacité à susciter la confiance et à convaincre par son indépendance et sa crédibilité.

Jusqu’à présent, les modifications apportées à la loi électorale ont été le fruit de dialogues politiques ponctuels. De tels accords survivent rarement aux changements d’intérêts des acteurs politiques qui les contestent en fonction de leurs positions et avantages.

Les tensions électorales ayant un impact sur la stabilité nationale, les efforts de réforme ne devraient pas se limiter à des négociations à huis clos entre les élites politiques et une poignée d’acteurs de la société civile. Il faut élargir la consultation et le débat public afin d’engager la responsabilité des décideurs et d’éviter que la société ivoirienne ne soit otage des querelles des élites.

L’issue du bras de fer dépendra de la capacité de l’opposition à s’unir, à mobiliser pour faire valoir ses revendications

Il est également essentiel de rétablir la confiance dans un système judiciaire qui est régulièrement accusé d’être instrumentalisé à des fins politiques par les gouvernements successifs, surtout en période électorale. Son indépendance renforcerait la cohésion nationale et la crédibilité des élections. Elle augmenterait en outre l’attractivité du pays pour les investissements étrangers et établirait un climat plus favorable pour les petites et moyennes entreprises.

Les enjeux de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire allaient bien au-delà de ses frontières. Le scrutin s’est déroulé dans un climat d’insécurité et d’instabilité régionales, marqué par des coups d’État et des critiques quant à la pertinence du modèle démocratique traditionnel.

Tout ceci dans un contexte de crise de la démocratie libérale dans plusieurs pays occidentaux. De plus, la lutte d’influence en Afrique de l’Ouest entre la Chine et la Russie d’une part, et les États-Unis et la France de l’autre, rend les puissances occidentales de plus en plus frilleuses à promouvoir ouvertement les valeurs démocratiques.

La Côte d’Ivoire est considérée comme un pilier de stabilité et de développement socio-économique dans la sous-région. La consolidation de sa démocratie garantirait une stabilité nationale durable.

Les partenaires régionaux et internationaux comme la CEDEAO, l’UA, les Nations unies et l’Union européenne devraient appuyer les efforts en faveur de l’amélioration de la gouvernance (y compris la lutte contre la corruption), de la réforme électorale et du renforcement de l’indépendance de la justice et de la cohésion sociale.

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