Un nouveau génocide pourrait avoir lieu au Darfour
Il est désormais essentiel d'agir rapidement pour mettre fin à la guerre, en invoquant éventuellement la responsabilité de protéger (R2P).
Publié le 12 novembre 2025 dans
ISS Today
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Après un siège de 18 mois, les Forces de soutien rapide (FSR), une milice paramilitaire, ont pris le contrôle d'El-Fasher, la capitale du Darfour, au Soudan, le 26 octobre. La ville, qui restait le dernier bastion des Forces armées soudanaises (FAS) au Darfour, est désormais entièrement sous le contrôle des FSR, aggravant une crise humanitaire déjà sévère. De nombreux rapports font état d'atrocités, notamment de massacres, de violences sexuelles et d'exécutions sommaires.
La guerre civile au Soudan entre les FSR et les FAS a commencé en avril 2023. Ces affrontements sanglants ont conduit à la plus grande crise humanitaire et de déplacement de population au monde, accompagnée de la famine, de pertes humaines massives et d’accusations de génocide. La récente escalade laisse penser que cette guerre est loin d'être terminée.
Le 31 octobre, lors d'une conférence de presse des Nations unies (ONU), des représentants de l'Organisation mondiale de la santé ont décrit en détail des attaques ciblées contre des hôpitaux. Rien qu'en octobre, au moins cinq attaques contre la maternité Al-Saudi ont coûté la vie à 460 personnes parmi les membres du personnel et les patientes.
Le laboratoire de recherche humanitaire de l'École de santé publique de Yale a corroboré les preuves de massacres autour de la maternité à l’aide d’images satellites, et a même révélé un massacre dans un centre de détention des FSR, situé dans un ancien hôpital pour enfants à l'est d'El-Fasher.
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El-Fasher au Darfour, Soudan
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La situation humanitaire est désastreuse. À la fin du mois d'octobre, cela faisait plus de 18 mois que l’aide humanitaire n'avait pas été autorisée à entrer à El-Fasher. La plupart de ses habitants, soit 1,5 million de personnes dont de nombreux déplacés, sont obligés de se nourrir d'aliments pour animaux pour survivre. Les deux parties ont été accusées d'entraver délibérément l'acheminement de l'aide et d’utiliser la famine comme arme de guerre.
Depuis la prise de pouvoir par les FSR le 26 octobre, l'Organisation internationale pour les migrations estime qu'au moins 62 000 civils ont fui la ville. Ces déplacements sont souvent périlleux, soumettant ceux qui les entreprennent à la violence, aux extorsions et au manque de nourriture, d'eau et d'abri. Les habitants d’El-Fasher sont piégés dans la ville désormais sous le contrôle des FSR, craignant d'être arrêtés, extorqués ou exécutés.
Le fait que le Darfour soit au centre de la guerre au Soudan n'est pas nouveau. En avril dernier, lors d'une série d'attaques qui a duré trois jours, les FSR ont tué plus de 1 500 civils dans le camp de réfugiés de Zamzam. En mai, Zamzam a été pris par les FSR qui en auraient fait une caserne militaire.
En août, une enquête du Guardian a divulgué des preuves d'enlèvements de grande ampleur, de massacres ethniques et d'exécutions massives. Deux ans auparavant, environ 15 000 civils, principalement issus de l'ethnie Masalit, avaient été massacrés à El Geneina, la capitale du Darfour occidental. Les combattants auraient fait du porte-à-porte, tuant des gens et incendiant des maisons.
La plupart des 1,5 million d'habitants d'El-Fasher doivent se nourrir d'aliments pour animaux pour survivre
Au cours de la première guerre du Darfour, au tournant du millénaire, El-Fasher avait été l'épicentre de violences massives. L'attaque de l'aéroport de la ville par le Mouvement/l’Armée de libération du Soudan en 2003 a été un point de rupture.
La milice Janjaweed (aujourd'hui les FSR) a été cooptée par le régime de l'ancien président Omar el-Béchir pour réprimer une insurrection. Entre 2003 et 2008, environ 200 000 à 300 000 personnes appartenant aux groupes ethniques Fur, Zaghawa et Masalit ont péri dans le génocide.
Ce type d'opération militaire, impliquant des atrocités à grande ampleur, est une méthode de guerre courante pour les deux camps.
Malgré les appels internationaux à la responsabilité des auteurs de ces crimes et pour une paix durable au cours des deux dernières décennies, les mesures prises ont été timides et les multiples efforts de médiation ont été mal coordonnés.
La communauté internationale pourrait invoquer la responsabilité de protéger
La guerre en cours a fait environ 150 000 morts et près de 12 millions de déplacés. Il y a des millions de personnes déplacées internes et beaucoup ont fui vers des pays voisins comme le Tchad, l'Égypte et le Sud-Soudan. Le Darfour est à nouveau l'épicentre d'atrocités de masse, les parties belligérantes ne tenant aucun compte des souffrances humaines ni du droit international humanitaire et des droits humains.
Comme lors de la première guerre, les FSR contrôlent désormais toute la région du Darfour. Cela soulève des inquiétudes quant à une nouvelle partition de fait du Soudan, les FAS contrôlant la majeure partie du centre du pays.
Compte tenu des nombreuses preuves d'atrocités de masse et de l'incapacité apparente de l'État soudanais à y mettre fin, la communauté internationale pourrait devoir intervenir et invoquer la responsabilité de protéger (R2P). Cela signifie appeler à une action mondiale lorsqu'un État manque clairement à son devoir de protéger sa population contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique ou les crimes contre l'humanité.
En règle générale, on explore d’abord les options politiques, diplomatiques, humanitaires et de médiation. Cependant, à ce jour, tous les efforts de négociation d’un cessez-le-feu durable ont échoué, chacun des deux généraux continuant de croire qu'il peut remporter la guerre et prendre le contrôle total.
La dernière fois que le Conseil de sécurité a invoqué la R2P, c’était en 2013 en RCA
Malgré la condamnation massive et les appels internationaux en faveur d'un cessez-le-feu immédiat, notamment de l'ONU et de l'Union africaine (UA), peu de mesures ont été prises pour mettre fin à la violence. S'appuyant sur les pouvoirs qui lui sont conférés par le chapitre VII de la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait invoquer la R2P et envisager, entre autres, une intervention militaire collective menée par les Africains.
Les membres du Conseil, paralysés par leurs intérêts nationaux et stratégiques, semblent incapables de s'entendre sur la marche à suivre. Le Soudan leur permettra-t-il de sortir de l’impasse ?
La dernière fois que le Conseil a directement invoqué la R2P, c'était en 2013, lorsqu'il a autorisé le déploiement de troupes françaises en République centrafricaine (RCA) pour y soutenir la mission de l'UA. La crise au Soudan est bien pire que celle qu’a connue la RCA en 2013.
Deux ans et demi après le début de la guerre, la situation est plus instable que jamais, exacerbant les souffrances du peuple soudanais et menaçant la stabilité régionale. Les mesures prises par l'Afrique et la communauté internationale ont été lentes. Si rien n'est fait, l'histoire est condamnée à se répéter. Les rues ensanglantées d'El-Fasher en sont le rappel le plus sinistre.
Avec un nombre de morts qui ne cesse d'augmenter et une violence qui atteint des niveaux alarmants, les platitudes ne permettront pas de résoudre cette crise. Une action rapide, notamment en invoquant la R2P, n'est pas seulement une exigence technique, c'est un impératif moral.
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