Alexandre Soares / UN Photo

Des élections atypiques, source potentielle d’une crise en Guinée-Bissau

L’exclusion du principal parti d’opposition et les clivages au sein de l’institution militaire menacent la bonne conduite des scrutins du 23 novembre.

Les tensions montent en Guinée-Bissau à l'approche de l’élection présidentielle et des législatives prévues le 23 novembre. Ces scrutins atypiques se tiennent deux ans après  la dissolution, en décembre 2023, de l’Assemblée nationale populaire (ANP) à la suite des affrontements, qualifiés de tentatives de coup d’État, entre la garde nationale et la garde présidentielle. Le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), principal parti d’opposition, détenait la majorité des sièges.

La présidentielle, quant à elle, intervient après la fin controversée du mandat constitutionnel du président Umaro Sissoco Embaló. Celui-ci avait pris ses fonctions en février 2020 dans un contexte de crise postélectorale. La Cour suprême avait finalement reconnu sa victoire en septembre de la même année, l'élection présidentielle suivante devant avoir lieu avant septembre 2025.

Au total, 12 candidats, dont Embaló lui-même, briguent la magistrature suprême, tandis que 14 formations politiques, dont une coalition, se présentent aux législatives.

Si ces élections sont présentées comme une étape vers la normalisation institutionnelle, le processus électoral se déroule dans un climat marqué par une profonde méfiance entre les acteurs politiques. À cela s'ajoutent des lignes de fracture au sein de l'institution militaire et une faible confiance des citoyens envers les institutions publiques. Cette situation fragilise à la fois la stabilité politique et la crédibilité du processus électoral, tout en laissant craindre le risque d’une nouvelle crise postélectorale.

L’alliance PAIGC–Dias remet en cause toute perspective de victoire du régime dès le premier tour

La disqualification du PAIGC a exacerbé les tensions politiques autour des élections. En effet, l’exclusion du PAIGC de ces élections est un tournant politique inédit de l’histoire politique du pays. Si le scrutin se tient à la date prévue, ce sera la première fois que la Guinée-Bissau se rendra aux urnes sans la participation formelle de ce parti historique qui a conduit la lutte armée de libération nationale en 1973. La mise à l’écart du PAIGC résulte de l’invalidation controversée de sa participation par la Cour Suprême, le 13 octobre, pour dépôt tardif de dossier. En conséquence, cette décision prive non seulement le président du parti, Domingos Simoes Pereira, de la présidentielle, mais exclut également la coalition PAI Terra Ranka des élections législatives. La coalition, dirigée par le PAIGC, regroupe une dizaine de partis politiques.

Cette situation inédite a conduit les dirigeants du PAIGC à soutenir Fernando Dias, un des dirigeants du Parti de la rénovation sociale (PRS), formation politique également absente de la course électorale. Cependant, contrairement à l’éviction du PAIGC, l’absence du PRS est liée aux tensions internes qui l’ont divisé en deux factions : l’une soutenant la candidature du président Embaló et l'autre dirigée par Dias, contraint de se présenter en tant que candidat indépendant.

L’absence simultanée de ces deux grands partis bouleverse les équilibres du champ politique. Cette recomposition semble, de prime abord, favoriser le président Embaló soutenu par la coalition Plateforme républicaine Nô Kumpu Guiné, un regroupement de 16 partis qui s’est donné pour objectifs sa réélection pour un second mandat et l’obtention d’une majorité confortable à l’ANP. À noter que ce dernier objectif est d’autant plus plausible que le système électoral avantage les grandes coalitions, consolidant ainsi la position du chef de l’État.

Bien que l’absence du PAIGC aurait pu initialement favoriser la victoire du président sortant à la présidentielle, son soutien à Fernando Dias rebat les cartes et confère une tournure nouvelle à la présidentielle. En effet, sous la conduite de Pereira, le parti a remporté les deux dernières élections législatives, en 2019 et en 2023, devant le PRS et le MADEM-G15.

Cette alliance inattendue remet en question les certitudes du régime en place quant à une victoire dès le premier tour. L’hypothèse d’un second tour apparaît désormais plausible.

Une majorité au Parlement permettrait à Embaló de réviser la constitution et de renforcer son pouvoir

Deux scénarios aux implications institutionnelles différentes se dessinent. Une victoire de Dias qui accrédite la cohabitation avec une majorité parlementaire favorable à Embaló qui choisirait le premier ministre. Ce scénario permettrait au PAIGC de rester dans le jeu politique et de préserver son influence, il reste que cette configuration pourrait occasionner une nouvelle dissolution de l’ANP et installer une autre crise institutionnelle.

N’ayant jamais réussi à obtenir la majorité au parlement, le président n’a pas hésité à le dissoudre en 2023, en violation de la Constitution.

À l’inverse, si Embaló remporte la présidentielle, l’absence du PAIGC tant du parlement que du prochain gouvernement pourrait réduire son influence politique les cinq prochaines années du mandat. Une majorité confortable à l’ANP lui permettrait d’éviter toute cohabitation et, surtout, d’engager une révision constitutionnelle. Cette perspective tant recherchée par le président Embaló ouvrirait la voie à l’instauration d’un régime présidentiel renforçant considérablement les pouvoirs du chef de l’État. En effet, la Guinée-Bissau a adopté depuis 1993 un régime présidentiel qui instaure un équilibre des pouvoirs entre le président et un premier ministre issu de la majorité parlementaire.

Par ailleurs, au-delà des enjeux politiques et des scénarios institutionnels, ces élections se distinguent à travers plusieurs autres particularités, notamment sur le plan organisationnel. D’abord, c'est la première fois que la Guinée-Bissau organise des élections sans l'appui financier des partenaires au développement. Ce financement souverain, bien qu’apprécié par bon nombre d’acteurs, soulève des questions dans l'opinion publique sur l'origine des fonds, notamment en l'absence d'une assemblée nationale fonctionnelle pouvant jouer son rôle de contrôle des dépenses.

Ensuite, l'absence de longues missions d'observation électorale, perçue comme une volonté d’Embaló de maintenir la communauté internationale à l’écart du processus, est une autre spécificité. Les missions impliquées dans les processus précédents ont souvent contribué à l’apaisement du climat électoral et donné une certaine crédibilité au processus. Dans un contexte où les organisations de la société civile peinent à jouer pleinement leur rôle de suivi des élections, les courtes missions d’observation qui seront présentes pourraient avoir un rôle crucial.

Les rivalités au sein de l'armée et le soutien des factions à un candidat pourraient influer sur l'issue de l'élection

Enfin, la troisième caractéristique renvoie à l’annonce, le 31 octobre, de la tentative de coup d’État, survenue à la veille du lancement de la campagne électorale. Plusieurs officiers, dont le directeur de l’École militaire de Cumera, le général Daba Na Walna, ont été arrêtés pour leur implication présumée dans cette tentative.

Présentée comme une manœuvre visant à interrompre le processus électoral, cette annonce met en lumière les profondes divisions au sein de l’institution militaire, tout en soulevant des interrogations quant à la posture de l’armée face au jeu politique. Ayant souvent joué un rôle d’arbitre sur la scène politique, le rapport de force entre les différentes factions et leur positionnement en faveur d’un candidat pourraient s'avérer déterminants pour l’issue du scrutin.

Ainsi, l'exclusion du PAIGC des scrutins, la conduite unilatérale du processus électoral, les tensions politiques et les fractures au sein de l'armée sont autant de facteurs qui accroissent le risque de contestations postélectorales et peuvent replonger le pays dans la crise.

Afin de l’éviter, la CEDEAO, qui a lancé depuis 2012 un processus de stabilisation du pays, aurait pu s’impliquer dans l’accompagnement de la préparation et le déroulement des élections. Sa capacité d’action a cependant été affaiblie depuis l’expulsion, en février 2025, de sa mission qui devait proposer un projet d’accord et une feuille de route garantissant la tenue des élections législatives et présidentielles.

Ainsi, l’issue paisible des scrutins dépend plus des acteurs nationaux que des acteurs internationaux. Leur capacité à organiser des élections crédibles et transparentes avec des résultats acceptés par tous pourrait marquer une étape importante vers la consolidation démocratique et la stabilité.

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