Les défis de la dernière trêve entre Kinshasa et le M23
Les dynamiques dans l'est de la RDC et dans la capitale du pays mettront à l'épreuve les efforts de médiation du Qatar.
Publié le 25 avril 2025 dans
ISS Today
Par
Bram Verelst
chercheur principal, Prévention et gestion des conflits et consolidation de la paix dans la région des Grands Lacs, ISS Nairobi
Le 23 avril, des délégations de Kinshasa et de l'Alliance Fleuve Congo (AFC), alliée politique du groupe rebelle du M23, ont déclaré leur intention d'œuvrer en faveur d'un cessez-le-feu et de poursuivre les discussions sur les causes profondes du conflit dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). La trêve a été négociée par le Qatar, qui a entamé les négociations en mars.
Les pourparlers directs entre le M23 et la RDC - que Kinshasa avait toujours refusés et la déclaration commune sont des étapes positives. Mais elles s'inscrivent dans un paysage politique fragile à Kinshasa, alors que la réputation du président Félix Tshisekedi est ternie et que l'opposition profite de la rébellion pour gagner du terrain politique.
L'expansion territoriale considérable du M23 ces derniers mois menace la stabilité de la RDC. Après la prise des principales villes comme Goma et Bukavu, le groupe rebelle a instauré une administration parallèle dans les zones qu'il contrôle.
Kinshasa a perdu la plupart de ses alliés militaires après le retrait des forces de la Communauté de développement de l'Afrique australe, des troupes burundaises et des entreprises de sécurité privées. Le gouvernement est aux abois, car il compte sur les groupes armés locaux comme principale résistance contre le M23.
À l’est de la RDC, l'insécurité résulte des conséquences économiques de la guerre, des lacunes sécuritaires et de l'activité de groupes tels que les Forces démocratiques alliées dans le Nord-Kivu et les factions de milices dans l'Ituri et le Sud-Kivu. La crise a provoqué des déplacements massifs, tant à l'intérieur de la RDC qu'au-delà de ses frontières, notamment vers le Burundi et l'Ouganda, avec plus de 120 000 réfugiés congolais arrivés depuis janvier.
Le rôle ambigu des acteurs régionaux complique la situation. L'Ouganda a renforcé sa présence militaire dans le Nord-Kivu et l'Ituri, pour contrer l'insécurité et contenir le M23. Bien que les troupes aient réussi à contenir l'avancée des rebelles vers le nord, l'Ouganda tente de limiter la présence du Rwanda dans les zones qu’il considère comme sa sphère d'influence.
La rébellion du M23 transforme une insurrection frontalière en un défi direct à la position de Tshisekedi
Certains dirigeants régionaux, comme le président kenyan William Ruto, sont sensibles aux griefs du Rwanda et du M23, tandis que d'autres critiquent le soutien rwandais ou se montrent plus neutres. Les efforts visant à harmoniser les processus de paix de Luanda et de Nairobi sont bloqués, et le dialogue organisé par l'Angola a échoué après que l'Union européenne a sanctionné les dirigeants du Rwanda et du M23.
Cela a ouvert la voie pour d'autres acteurs comme la Turquie qui offre un soutien à la médiation. Mais la rencontre surprise en mars entre les présidents congolais et rwandais à Doha a relancé les perspectives de négociations. Le Qatar accueille désormais les pourparlers de paix qui ont abouti à l'annonce du cessez-le-feu de cette semaine.
Il sera difficile de maintenir la trêve en vue d’un accord de paix. Le processus sera défini selon trois facteurs qui déterminent la dynamique du pouvoir en RDC.
Le premier est la poursuite de la mobilisation armée par les deux parties. Pour renforcer les capacités militaires de Kinshasa, l'administration de Tshisekedi recrute des soldats et soutient des groupes armés sous la bannière du Wazalendo (« patriotes » en swahili).
Mais les campagnes de recrutement ne résoudront pas les problèmes d'indiscipline, de chevauchement des chaînes de commandement, de mauvaises conditions de service et de corruption auxquels est confrontée l'armée congolaise. La mobilisation des groupes armés pourrait être préjudiciable, car les forces du Wazalendo se fragmentent en factions concurrentes, dont certaines sont hostiles au gouvernement et rejoignent le M23.
Il est également difficile de neutraliser les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), car certains groupes du Wazalendo coopèrent avec les FDLR et y intègrent leurs combattants. Plusieurs factions du Wazalendo s'opposent aux négociations avec le M23 et ont violé les précédents accords de cessez-le-feu, ce qui complique le respect de la trêve pour le gouvernement de la RDC.
La mobilisation armée, les négociations et l'extraversion constituent des défis pour le processus de paix
En outre, les milices locales restent le principal rempart contre le contrôle du M23. Cette situation influence l’expansion du M23 et le pousse à recruter des combattants, avec l'aide du Rwanda, en plus des raisons politiques et économiques.
Le deuxième facteur est la négociation politique. La rébellion du M23 influence le jeu politique pour la quête du pouvoir, transformant une insurrection frontalière en un défi à la position de Tshisekedi.
Le président dépend de la répression politique afin de demeurer au pouvoir. Pour renforcer son soutien, Tshisekedi a libéré plusieurs prisonniers politiques, dont le leader de l'opposition et son ancien bras droit, Jean-Marc Kabund.
Il a également annoncé des consultations sur un gouvernement d'unité nationale pour endiguer la crise dans l'est du pays. L'opposition a rejeté ce plan en faveur d'une initiative de l'église pour un pacte de paix qui inclut le M23.
Certaines figures de l'opposition entendent utiliser la rébellion du M23 pour un changement de régime. L'ancien président Joseph Kabila est redevenu un opposant farouche de Tshisekedi, après avoir été évincé de l’accord de partage du pouvoir en 2020. Les anciens membres du parti de Kabila ont rejoint l'AFC, notamment le gouverneur rebelle du Sud-Kivu, Manu Birato.
D’après certains rapports, Kabila aurait rencontré le leader de l'AFC, Corneille Nangaa, et s'est récemment rendu à Goma, ville contrôlée par les rebelles. Bien que ces informations ne soient pas confirmées, elles soulignent le poids de la rébellion dans les négociations politiques nationales. Malgré les échecs de Tshisekedi, les figures de l'opposition comme Kabila et Nangaa ne sont pas des alternatives crédibles compte tenu de leur passé politique et de leurs liens avec la corruption.
Un processus inclusif dirigé par les Congolais est essentiel pour s'attaquer aux causes du conflit
Le M23/AFC et Kabila désirent réintégrer le système politique plutôt que de le réformer. À mesure que de nouvelles forces rejoignent la rébellion, le M23/AFC devient un cadre de compétition politique, ce qui pourrait entraîner sa fragmentation, à l'instar des mouvements rebelles antérieurs. L'AFC agit davantage comme une plateforme de coordination qu’une organisation cohérente, restant délibérément flou sur son agenda politique.
Les négociations en cours avec le gouvernement congolais mettront à l'épreuve la cohésion du M23, qui devra jongler avec des intérêts divergents, notamment ceux des membres du groupe et des puissances étrangères qui le soutiennent.
La troisième dimension est l’extraversion, qui consiste à nouer des relations de dépendance avec des acteurs extérieurs afin de consolider le pouvoir. L'extraversion fait partie du paysage conflictuel dans l'est de la RDC. Les liens du M23 avec des commanditaires étrangers pèseront sur les négociations, et la concurrence entre le Rwanda et l'Ouganda pourrait affecter les rivalités internes.
Pour regagner du terrain, Tshisekedi propose aux États-Unis l'accès aux richesses minières en échange d'une aide sécuritaire. Le président américain Donald Trump a nommé l'homme d'affaires Massad Boulos comme envoyé spécial dans la région, et un accord de plusieurs milliards de dollars serait en cours de signature.
Cependant, il est peu probable que cette stratégie de minerais contre soutien permette de stabiliser l'est de la RDC. Les États-Unis vont privilégier leurs intérêts économiques, tandis que leurs coupes budgétaires de l'aide humanitaire, couvrant plus de 70% du financement de l'aide en RDC limitent les bénéfices des nouveaux partenariats.
Alors que les déplacements et l'insécurité alimentaire montent en flèche dans l'est de la RDC, les pourparlers de paix doivent doivent parvenir à un cessez-le-feu immédiat, suivi d'accords visant à rouvrir les routes commerciales, à établir des couloirs humanitaires et à sécuriser les zones clés.
Il faut également tirer les leçons des expériences passées. L'accord de Sun City de 2002 n'a été possible qu'après des accords d’un cessez-le-feu global et le retrait des forces étrangères. Une feuille de route similaire s’avère indispensable aujourd'hui.
Enfin, un processus inclusif dirigé par les Congolais est essentiel pour s'attaquer aux causes profondes du conflit. Cependant, trop souvent en RDC, le partage du pouvoir devient une fin en soi qui alimente la violence et le conflit à long terme. Les pourparlers de paix devraient éviter de reproduire les mêmes erreurs.
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