Image: © Multinational Joint Task Force/X

La coopération sécuritaire menacée dans le bassin du lac Tchad

Le Niger a suspendu sa participation à la Force multinationale mixte et le Tchad menace de se retirer.

En mars 1994, la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) créait la Force multinationale mixte (FMM), composée du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria, puis du Bénin, afin de lutter contre l’insécurité.

Cette force régionale symbolisait la capacité des États membres de la CBLT à surmonter la méfiance et les frictions qui caractérisaient leurs relations bilatérales, en particulier sur la question des frontières. Toutefois, ces deux dernières années, des dissensions ont affaibli la FMM, alors que la menace djihadiste reste élevée et qu’elle exige des réponses régionales.

Après une première décennie en demi-teinte, la force a été réactivée en 2014 face à la montée et à la propagation des attaques de Boko Haram. Soutenue par l’Union africaine (UA), son mandat se concentre sur la lutte contre Boko Haram et d’autres groupes terroristes afin de stabiliser la région et permettre les opérations humanitaires.

La FMM est la pierre angulaire de l’approche des États membres de la CBLT

La FMM est la pierre angulaire de l’approche globale de la consolidation de la paix telle que conçue par les États membres de la CBLT, qui ont rapidement compris la nécessité de créer une synergie sur le plan régional pour lutter contre une menace transnationale.

Le bilan de la force depuis 2014 est encourageant, l’expansion territoriale de Boko Haram ayant pu à plusieurs reprises être stoppée. À l‘apogée de son activité, Boko Haram contrôlait de vastes zones dans le nord-est du Nigeria et menaçait directement des villes importantes comme  N’Djamena, capitale du Tchad, Maroua, dans l’Extrême-Nord du Cameroun, et Diffa, dans le sud-est du Niger.

Les rebelles sont actuellement pris en étau entre les îles du lac Tchad, les monts Mandara au Cameroun et la forêt de Sambisa au Nigeria.

Région du bassin du lac Tchad
Région du bassin du lac Tchad

Source : ISS

 

Grâce à plusieurs opérations, comme l’Opération Lake Sanity, la FMM a régulièrement réussi à perturber Boko Haram en démantelant ses bases, ses caches d’armes et ses ateliers de fabrication d’armes et de blindés. Des combattants – y compris certains de leurs chefs – ont été neutralisés, ce qui a permis de libérer les communautés occupées et de saisir des équipements militaires et des moyens logistiques.

Les activités économiques transfrontalières ont largement repris et des villes comme Bagakawa, Monguno, Mallam Fatori et Banki, au Nigeria, retrouvent peu à peu leur dynamisme.

Cependant, les factions de Boko Haram ont fait preuve de résilience et d’adaptabilité. La mort de hauts dirigeants comme Abubakar Shekau, la neutralisation d’autres responsables importants et les pertes matérielles ont affaibli le groupe sans pour autant éliminer définitivement sa capacité à faire des ravages. La menace persiste donc.

Les données de l’Institut d’études de sécurité montrent que plusieurs attaques meurtrières ont été enregistrées au cours du dernier trimestre 2024 dans les quatre pays riverains du bassin du lac Tchad. Au Nigeria, au moins 81 personnes sont mortes et d’autres sont portées disparues à la suite de l’attentat perpétré le 1er septembre à Mafa. Au Niger, un véhicule de transport a roulé sur un engin explosif improvisé (EEI), tuant six personnes le 28 septembre.

Le Forum des gouverneurs du bassin du lac Tchad est l’occasion de réfléchir à des solutions

Le 28 octobre, Boko Haram a attaqué l’armée tchadienne à Barkaram, tuant plus de 40 soldats. Au Cameroun, une incursion dans le village de Ldamang (Mayo-Tsanaga) a fait 11 morts le 12 novembre. On recense des attaques quotidiennes contre les civils dans les zones transfrontalières du Cameroun et de l’État de Borno au Nigeria, ainsi qu’une recrudescence des engins explosifs improvisés et des attentats-suicides.

La FMM a résisté aux attaques de Boko Haram dans toute la région, mais il est peu probable qu’elle survive à une rupture entre les pays qui la fournissent en troupes et en ressources. Depuis le coup d’État sur son sol le 26 juillet 2023, le Niger n’a qu’un souhait : quitter la force. Cette situation met en danger à la fois le Niger et la région, alors que le nouveau successeur apparent de Shekau, Bakura Doro, est basé dans la zone de Baroua, au Niger.

Le Tchad a également menacé de se retirer de la force en novembre 2024. Après l’attaque meurtrière à Barkaram en octobre, le Tchad a rapidement lancé sa propre opération dénommée « Haskanite » pour traquer et neutraliser les terroristes, et a reproché aux autres États membres de la FMM de ne pas avoir apporté un soutien plus important.

Ces développements montrent la vulnérabilité des accords de sécurité ad hoc et expliquent pourquoi les tensions actuelles entre les pays du bassin du lac Tchad doivent être prises au sérieux.

Une FMM affaiblie permettrait une résurgence de l’extrémisme violent dans la région et au-delà

Dans le même temps, la FMM est confrontée à des défis internes qui requièrent une attention particulière. Elle fait face notamment à un manque de troupes et d’équipements pour se déployer dans les îles et les marécages, ainsi qu’à des difficultés à combattre les engins explosifs improvisés et à communiquer efficacement. Les ressources financières sont également insuffisantes.

La menace djihadiste dans le bassin du lac Tchad est à la fois transnationale et interrégionale, et ne peut être surmontée par les seules approches nationales. Pour être efficaces, les réponses doivent être à la hauteur de la menace.

La région devrait examiner attentivement les défis auxquels est confrontée la FMM et les griefs de certains de ses États membres afin de renforcer les opérations et lui éviter le  sort qu’a connu le G5 Sahel. Le G5 Sahel a été victime des échecs dans la coopération militaire entre les pays du Sahel (le Mali, le Burkina Faso et le Niger) et la France, qui pilotait la force.

Contrairement au G5 Sahel, la FMM a l’avantage d’être dirigée par des pays de la région. Bien que les relations entre les pays du Sahel et leurs voisins restent tendues, les récentes initiatives diplomatiques du Nigeria à l’égard du Niger et du Tchad devraient être renforcées pour éviter qu’ils ne quittent la FMM.

Après plus d’une décennie de lutte régionale et multidimensionnelle relativement fructueuse contre Boko Haram, les États membres de la CBLT sont à la croisée des chemins et des décisions doivent être prises pour avancer.

Le quatrième Forum des gouverneurs du bassin du lac Tchad, qui se tiendra ce mois-ci à Maiduguri, sera l’occasion d’évaluer les progrès de la FMM, d’apaiser les hostilités et d’envisager conjointement des solutions. Les ministres de la Défense des membres de la CBLT devraient également se réunir pour régler les désaccords et maintenir la force en activité.

Au-delà de la FMM, les pays devraient investir davantage dans la mission et le mandat qui sont au cœur de la CBLT, à savoir gérer les eaux de manière durable et équitable, préserver les écosystèmes du bassin, promouvoir l’intégration régionale et préserver la paix et la sécurité. En bref, il faut impérativement mettre en place des mesures globales.

Enfin, la communauté internationale doit apporter un soutien technique et financier plus important afin de renforcer les capacités opérationnelles et stratégiques de la FMM. Une force affaiblie permettrait une résurgence de l’extrémisme violent dans la région et au-delà.

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