La menace des engins explosifs pèse sur l’Extrême-Nord du Cameroun
La lutte contre Boko Haram doit tenir compte d’une nouvelle menace : les engins explosifs improvisés
L’une des menaces sécuritaires qui pèsent sur la région de l’Extrême-Nord du Cameroun actuellement est le retour à l’utilisation des engins explosifs improvisés (EEI) par les différentes factions de Boko Haram.
Zones d’attaques aux engins explosifs improvisés Source : ISS(cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Depuis 2021, cette région n’avait pas enregistré d’attentats spectaculaires à la bombe. Le dernier en date était celui du 8 janvier 2021 à Mozogo, qui avait fait 15 morts. Or, le 21 mars 2023, à Amchidé, un véhicule du Bataillon d’intervention rapide (BIR) a heurté un EEI. Le bilan humain fait état d’un mort et de six blessés au sein de l’armée. Un mois plus tard, notamment le 24 avril, 06 militaires du 42e Bataillon d’infanterie motorisé (BIM) ont trouvé la mort dans l’explosion d’une mine au passage de leur véhicule sur le trajet Hitere- Bavongola – Tchebetchebe.
Plus tôt, le 18 mars 2023, l’explosion d’une grenade à Djibrili a fait deux morts et un blessé. Au total, entre le 18 mars et le 24 avril 2023, l’ISS a recensé au moins six incidents sécuritaires relatifs aux EEI dans l’Extrême-Nord du Cameroun, allant des déflagrations aux infiltrations des présumés Kamikazes au sein des communautés en passant par les tentatives d’explosion.
Trois facteurs peuvent expliquer cette résurgence des attaques de Boko Haram aux EEI: les opérations de contre-insurrections menées aussi bien par l’armée nigériane que par la Force multinationale mixte (FMM), les récentes élections au Nigéria et les affrontements entre les différentes factions de Boko Haram.
La résurgence des EEI serait liée aux contre-insurrections, aux élections nigérianes, et aux factions de Boko Haram
S’agissant des opérations militaires, deux principalement, à savoir Harbin Zuma menée par la FMM et Desert Sanity, menée par l’armée nigériane, mettent les insurgés en difficulté. Ces derniers font alors de plus en plus recours aux EEI en guise de stratégie de riposte. Par exemple, le 14 mai 2023, les troupes de la FMM ont subi une double attaque à l’EEI, alors qu'elles avançaient vers un camp d’ISWAP à Tunbum Reza. Le 29 avril 2023, les troupes de l’opération Desert Sanity ont récupéré une grande quantité des EEI, aux environs d’Ubaka dans la forêt de Sambisa, destinés à empêcher leur avancée.
En plus, les insurgés auraient envisagé de perturber les processus électoraux du 25 février et du 11 mars 2023 au Nigéria. L’armée nigériane se serait préparée à contenir cette menace. Par conséquent, les insurgés ont eu des difficultés à sévir au Nigéria pendant cette période et les EEI préparés dans le but de commettre des attentats n’ont été utilisés que sur le territoire camerounais d’accès facile, compte tenu de la porosité de ses frontières.
Par ailleurs, depuis 2016, année de l’éclatement de Boko Haram en deux factions rivales, de violents combats ont opposé ces dernières. L’accentuation des combats, depuis le début de 2022, les a obligés à se retrancher dans leurs bases arrière, notamment dans les monts Mandara à la frontière avec le Cameroun. Ce refuge serait pour le JAS ce que constituent les environs de Banki pour ISWAP. Ces regroupements vers les frontières camerounaises pourraient expliquer la recrudescence des attentats aux EEI.
Il est urgent de renforcer les compétences en déminage des Forces de Défense et de Sécurité
Les EEI seraient pour la plupart fabriqués au Nigéria, où à plusieurs reprises, les forces de défense et de sécurité (FDS) ont démantelé et interpellé de présumés fabricants. Un ex-fabricant de bombes ayant appartenu à la faction JAS, qui s’était rendu aux autorités nigérianes en août 2021, expliquait l’ampleur de cette activité au sein de Boko Haram au micro de la radio Ndarason.
En outre, les attaques que les insurgés mènent contre les casernes militaires leur permettent de disposer du matériel de combat à l’instar des EEI.
Face à cette situation, les acteurs gouvernementaux cherchent à s’adapter. Le 23 mars 2023, le Préfet du Logone-et-Chari a émis une correspondance à destination des Sous-préfets sous son commandement, alertant sur les kamikazes, et instruisant la multiplication des réunions de sensibilisation avec la société civile pour appeler les populations à plus de vigilance. Les FDS quant à elles mènent, dans ce sens, des opérations de ratissage. Ces mesures sont certes appréciables, mais elles gagneraient à être complétées par des fouilles systématiques et le maillage territorial.
La lutte contre les EEI est une dimension clé de la stratégie contre l'extrémisme violent
Il est temps que les FDS mobilisent, plus que dans le passé, les compétences en matière de déminage. Les unités de déminage doivent procéder au renforcement de capacité en la matière, à travers des formations supplémentaires. Il leur est vivement recommandé le partage d'expérience avec leurs homologues du Nigéria, mieux expérimentés en raison des opérations de contre-offensives qu’ils mènent régulièrement. Le renseignement et les opérations de ratissage doivent s’intensifier et être constants dans le but de dissuader les poseurs de bombes et leurs complices et de fragiliser le circuit de ravitaillement en matières premières destinées à leur fabrication. Les comités de vigilance doivent redoubler d’efforts en matière de renseignement et d’alerte précoce. Les organisations de la société civile sont appelées à insérer la menace liée aux EEI dans leurs activités de sensibilisation. En substance, la lutte contre les EEI doit représenter une dimension importante dans la stratégie plus large visant à prévenir et contrer l’extrémisme violent.
Célestin Delanga, chargé de recherche, bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad.
Image : © Reinnier KAZE / AFP
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