Force opérationnelle interarmées multinationale/X

Capitaliser sur le succès de l’Opération « Lake Sanity » contre Boko Haram

Les factions de Boko Haram s’adaptent continuellement aux stratégies de lutte antiterroriste, celles-ci doivent donc être souples et systématiques.

L’Opération Lake Sanity a remporté plusieurs succès contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, mais les insurgés s’adapteront rapidement aux nouvelles tactiques militaires. Pour maintenir les acquis, la Force multinationale mixte (FMM) qui dirige l’opération doit garder un temps d’avance sur eux.

Depuis plus de 15 ans, l’insurrection de Boko Haram provoque une crise sécuritaire et humanitaire sans précédent dans le bassin du lac Tchad. Elle a fait plus de 50 000 morts, 3,2 millions de déplacés et 280 000 réfugiés. Plus de 11,1 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire dans la région.

De nombreuses opérations militaires, telles que Hadin Kai par l’armée nigériane, Emergence 4 par l’armée camerounaise et Colère de Bohama par l’armée tchadienne, avaient été lancées avec succès contre les deux factions de Boko Haram – la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (PAOEI) et le Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS). Cependant, ces opérations ont été confrontées à la résilience des groupes et leur adaptation continuelle aux nouvelles stratégies de sécurité.

À l’issue de la première phase de l’Opération Lake Sanity de mars à juin 2022, la FMM a lancé une seconde phase en avril 2024 avec des contingents du Cameroun, du Tchad et du Nigeria. L’opération devait neutraliser les bases éloignées et les repaires de Boko Haram sur les îles.

Les explosifs et les kamikazes de Boko Haram perturbent les communautés et les efforts militaires

Le rapport à mi-parcours du commandant de la FMM indique que l’opération a permis de « neutraliser » au moins 140 insurgés, d’arrêter 57 personnes impliquées dans des activités extrémistes violentes et d’obtenir la reddition de 176 combattants de Boko Haram et de leurs complices. De nombreux équipements militaires et logistiques ont été saisis, et plusieurs ateliers de production d’engins explosifs improvisés (EEI), des bases logistiques et des zones de rassemblement des insurgés ont été détruits.

Les extrémistes violents ayant subi des pertes considérables, leurs attaques ont diminué de façon visible et le nombre de défections dans les groupes a augmenté, y compris d’individus occupant des postes de commandement.

Toutefois, les combattants se sont éparpillés dans des zones périphériques où ils ont commencé à attaquer des civils. Des rapports font état de harcèlement des communautés et d’une utilisation accrue d’engins explosifs improvisés et de kamikazes, y compris par la PAOEI. Ainsi le 29 juin, quatre kamikazes ont tué au moins 32 personnes à Gwoza, dans le nord-est du Nigeria.

Les activités de Boko Haram dans les zones frontalières entre le Cameroun et le Nigeria et sur les îles du lac Tchad se sont intensifiées. Des zones relativement épargnées par les atrocités, comme la région Nord du Cameroun, en particulier le département du Mayo-Rey, frontalier du Tchad et de la République centrafricaine, connaissent désormais une recrudescence de l’insécurité. On assiste notamment à des enlèvements contre rançon et à la prolifération de munitions et d’armes de petit calibre.

D’autres repaires de Boko Haram devraient être sécurisés pour ne plus servir de bases opérationnelles

Le 29 juillet, Garoua, la capitale de la région du Nord, a échappé de justesse à un attentat à la bombe perpétré par Boko Haram, grâce à la police qui a été alertée et a désamorcé l’engin. Au Niger, les activités de Boko Haram ont augmenté, notamment les vols de véhicules dans la région de Diffa. En mai, au moins cinq véhicules 4X4 ont été volés sur la route nationale reliant Mainé, Soroa et Diffa.

En accédant aux dangereux bastions de la PAOEI sur les îles du lac Tchad, l’armée a contraint le groupe à déployer des kamikazes, y compris des membres très connus comme Abba Yusuf, fils de feu le fondateur de Boko Haram, Mohammed Yusuf.

L’utilisation d’engins explosifs improvisés constitue un risque grave pour les forces de sécurité et nécessite des opérations de déminage et l’emploi de véhicules conçus pour résister aux embuscades et aux mines.

Le recours par Boko Haram à des engins explosifs improvisés et à des attentats suicides propage la peur et perturbe à la fois la cohésion de la communauté et les efforts militaires. Ces tactiques doivent être combattues frontalement pour empêcher toute résurgence des factions terroristes.

Une stratégie systématique et globale de sécurisation des zones périphériques est nécessaire

Le caractère interconnecté de l’insécurité dans la région pose également des risques. Lors d’opérations précédentes, Boko Haram a perdu des bastions importants tels que Sambisa et Allagarno, mais a fait preuve d’une capacité alarmante à se réorganiser et à se consolider après avoir été dispersé. Ce schéma n’est pas propre à Boko Haram : on constate des tendances similaires dans d’autres syndicats du crime et groupes armés dans la région du bassin du lac Tchad.

Ainsi, bien que l’Opération « Lake Sanity » ait été couronnée de succès, l’évolution de l’insécurité créée par Boko Haram nécessite d’adopter une approche souple, axée à ce stade sur les attaques dans des zones délimitées et sur l’utilisation d’EEI.

La FMM a choisi de cibler les repaires de Boko Haram, ce qui a été une réussite. D’autres refuges du groupe dans la région – principalement sur des îles, dans des zones marécageuses et forestières – devraient également être sécurisés pour qu’ils ne lui servent plus de bases opérationnelles. Ces efforts peuvent nécessiter des équipements adaptés pour les forces de sécurité, y compris des équipements de combat utilisables sur l’eau.

Il est essentiel de mettre en place une stratégie systématique et globale de sécurisation et de surveillance des zones périphériques. Les forces combinées des pays du bassin du lac Tchad devraient entreprendre des opérations régulières afin d’empêcher Boko Haram d’y déployer de nouveau ses combattants. Cette stratégie permettrait de préserver la stabilité conquise dans certaines localités et d’éviter la pression exercée par de nouvelles vagues de personnes déplacées de force.

La présence des forces de police et de gendarmerie doit également être renforcée dans les régions périphériques afin de contrer les menaces immédiates pour la sécurité et de favoriser la confiance au sein des communautés.

Enfin, la collaboration avec les communautés locales dans ces zones permettra de recueillir des renseignements et de créer un front uni contre les insurgés. Les efforts de développement communautaire dans le cadre de la stratégie de stabilisation régionale de la Commission du bassin du lac Tchad devraient s’intensifier, notamment les actions civilo-militaires de la FMM.

Toutes ces stratégies reposent sur la nécessité d’accroître l’aide humanitaire et le soutien socioéconomique apportés aux communautés touchées. Cela permettra de réduire leur vulnérabilité face à la propagande et aux tactiques de recrutement des extrémistes violents et d’autres groupes criminels.

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