Quel sera l'impact de la crise iranienne sur l'Afrique ?
Le conflit en Iran peut sembler lointain, mais il crée un contexte de volatilité auquel les dirigeants africains doivent réagir de toute urgence.
Publié le 25 juin 2025 dans
ISS Today
Par
Menzi Ndhlovu
analyste principal des risques politiques et nationaux chez Signal Risk
L'escalade des hostilités entre Israël, l'Iran et les États-Unis a provoqué des séismes géopolitiques bien au-delà du Moyen-Orient. Alors qu’un cessez-le-feu fragile est observé, le monde attend avec anxiété de voir si le conflit ne va pas s’étendre au niveau régional ou mondial.
Pour les décideurs politiques africains, trois vecteurs critiques, qui pourraient avoir des effets démesurés sur le continent, doivent être examinés de près : la sécurité, la diplomatie et l'économie.
La sécurité est le domaine le plus sensible. Le conflit risque d'entraîner plusieurs puissances mondiales, notamment la Russie, la Chine, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), dans un nouveau bourbier au Moyen-Orient. L’histoire a montré que, lorsque les grandes puissances s'affrontent, l'Afrique devient souvent le théâtre involontaire de leur rivalité et la victime de dommages collatéraux.
Les séquelles des conflits en Ukraine et à Gaza sont encore visibles dans les multiples chocs économiques, diplomatiques et sécuritaires. La situation actuelle donne un sentiment inquiétant de déjà-vu.
Si les tensions dans le monde débouchent sur de nouveaux affrontements idéologiques ou militaires, les pays africains peuvent se retrouver dans une situation confuse. Les États d'Afrique du Nord et de l'Est sont particulièrement exposés aux risques directs liés aux acteurs principaux et aux acteurs intermédiaires.
Des projectiles iraniens ont déjà illuminé le ciel nocturne du Caire, rappelant ainsi les vulnérabilités de la sécurité en Égypte, tandis que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi prône la désescalade.
Ailleurs, les ressources militaires des États-Unis à Djibouti et en Somalie, ainsi que celles d'Israël en Érythrée, pourraient devenir la cible de représailles de l'Iran ou de ses mandataires régionaux, tels que les Houthis.
L'Afrique est souvent le théâtre involontaire des rivalités et des dégâts collatéraux
Il existe également un risque sécuritaire indirect lié à la redéfinition des priorités stratégiques occidentales. Avec des budgets de défense et une attention accaparés par la guerre en Ukraine et les préoccupations nationales, les secteurs liés à la sécurité en Afrique pourraient se retrouver de plus en plus à court de ressources et incapables de gérer les menaces transnationales.
Le peu d'attention qu’a reçu le continent lors des récentes réunions du G7 et de l'OTAN témoigne de la baisse de la valeur géostratégique de l'Afrique dans l’esprit sécuritaire occidental. Le Nigeria, le Cameroun, le Tchad, le Mali, le Burkina Faso et le Niger subissent déjà de plein fouet le retrait des occidentaux de la région du Sahel. Un désengagement plus poussé les rendrait encore plus vulnérables aux insurrections.
La sécurité humaine, souvent négligée, est également en jeu. L'insécurité alimentaire, les chocs climatiques et les déficits de gouvernance pèsent déjà lourdement sur de nombreux États africains. De nouvelles contraintes pourraient apparaître si l'instabilité au Moyen-Orient provoquait des migrations à grande échelle ou des flux de réfugiés vers l'Europe. La réorientation des fonds européens destinés au développement pour gérer ces répercussions pourrait affaiblir davantage les filets de sécurité pour les populations les plus vulnérables d'Afrique.
Les tensions religieuses et sectaires, exacerbées par les événements au Moyen-Orient, pourraient également attiser les conflits locaux dans les sociétés multiconfessionnelles d'Afrique. Le Nigeria est un sujet de préoccupation, car des groupes chiites pourraient mener des attaques en solidarité avec l'Iran.
À ces risques s'ajoute le spectre de la prolifération nucléaire. Si l'Iran abandonne sa politique de retenue nucléaire, d'autres acteurs régionaux pourraient suivre, augmentant ainsi les risques d'une course aux armements aux conséquences mondiales.
Pour l'Afrique, fervente partisane du désarmement nucléaire dans le cadre du Traité de Pelindaba, un tel revirement affaiblirait son influence dans les futures négociations mondiales sur le contrôle des armements.
Sur le plan diplomatique, la pression exercée sur les États africains pour qu'ils prennent parti s'intensifiera. Ils pourraient être contraints de faire des choix difficiles – entre Washington et Téhéran, ou entre les États-Unis et leurs rivaux à Moscou ou Pékin – et devront payer le prix de leur défiance par des sanctions ou le retrait de l'aide.
Sans un multilatéralisme fondé sur des règles, l'influence collective de l'Afrique diminue
L'Afrique du Sud se trouve dans une position particulièrement délicate. Sa politique étrangère incohérente l'a mise sur une corde raide. Washington s'est opposé à Pretoria au sujet de sa position sur Israël, de ses politiques intérieures, de sa proximité avec l'Iran et de son alignement avec les BRICS. Les États-Unis pourraient réagir de manière punitive à tout signe de sympathie envers l'Iran.
Les institutions multilatérales, en particulier le Conseil de sécurité des Nations unies et les BRICS+ élargis, seront également mises à l'épreuve. L'adhésion récente de l'Iran aux BRICS ajoute à la complexité et pourrait mettre à rude épreuve l'unité du groupe. Les pays africains tels que l'Afrique du Sud, l'Égypte et l'Éthiopie pourraient être confrontés à des choix délicats si les BRICS+ penchaient en faveur de Téhéran.
Les implications sont profondes. Un monde qui abandonne le droit international au profit de la puissance brute menace le cadre même qui protège les États plus petits et moins puissants. Pour l'Afrique, il s'agit d'une question existentielle : sans multilatéralisme fondé sur des règles, l'influence collective du continent diminue.
Pire encore, une dérive mondiale vers une politique de la « force prime le droit » pourrait encourager les dirigeants africains expansionnistes. Abiy Ahmed Ali en Éthiopie, Paul Kagame au Rwanda et le roi Mohammed VI au Maroc pourraient se sentir encouragés à poursuivre leurs ambitions territoriales sous le couvert du désordre mondial. D'autres pourraient lancer des frappes « préventives » contre des ennemis présumés comme les États-Unis et l’Israël, ce qui est illégal selon le droit international.
Dans un tel scénario, le poids collectif de l'Afrique dans les forums mondiaux pourrait également s'éroder. Si son influence s'affaiblit, il en va de même de son pouvoir de négociation sur des questions cruciales telles que la restructuration de la dette, le financement de la lutte contre le changement climatique et l'aide au développement. Ce n'est qu'en parlant d'une seule voix, en étant uni et en agissant de manière stratégique, que le continent pourra éviter la marginalisation.
Cependant, l'impact le plus immédiat et le plus tangible est économique. L'incertitude mondiale déclenche traditionnellement une « fuite vers la sécurité », qui renforce le dollar américain et affaiblit les monnaies africaines. Cela augmente les coûts du service de la dette pour les États africains, qui, pour l’essentiel, est en dollars. Les rendements obligataires pourraient monter en flèche et les pressions budgétaires, déjà mises à rude épreuve par la reprise post-pandémique, ainsi que les répercussions de la guerre en Ukraine, se resserreraient davantage.
La sécurité énergétique est un autre point sensible. Une perturbation du détroit d'Ormuz, par où transite un tiers du pétrole mondial, ferait monter en flèche les prix de l'énergie. Les importateurs nets de pétrole, dont de nombreuses économies africaines, souffriraient d'une inflation importée, qui augmenterait les coûts des transports, des aliments et de l'énergie. Cela intensifierait les problèmes liés au coût de la vie et compliquerait la politique monétaire, alors même que les banques centrales s'apprêtent à assouplir leurs taux pour stimuler la croissance.
Ce n'est qu'en étant unie et stratégique, que l’Afrique évitera la marginalisation
Des perturbations commerciales plus générales, associées à l'expiration des sursis accordés par Trump sur les droits de douane, pourraient entraîner l'économie mondiale dans une récession. Pour l'Afrique, les conséquences seraient graves. La dégradation de l’endettement due à la dépréciation pourrait compliquer les efforts de restructuration en Zambie, en Éthiopie et au Ghana. D'autres pays, comme le Kenya et le Nigeria, où le service de la dette absorbe plus de 30 % des recettes, seraient confrontés à des contraintes budgétaires encore plus importantes.
Les petites économies qui dépendent d'accords de partage des recettes douanières, comme le Lesotho et l'Eswatini, sont également vulnérables, les recettes de l'Union douanière d'Afrique australe devant déjà baisser de 20 % cette année.
Les réserves budgétaires limitées obligeraient de nombreux gouvernements africains à rediriger des fonds destinés au développement afin de combler les déficits extérieurs, au risque de provoquer des troubles sociaux, une instabilité politique et l'érosion de réserves déjà maigres.
Il existe toutefois quelques points positifs. La hausse des prix de l'or pourrait profiter à des producteurs comme le Ghana et l'Afrique du Sud. De même, celle des prix du pétrole pourrait entrainer une augmentation des recettes des exportateurs comme le Nigeria, l'Angola, l'Algérie et la Libye. Toutefois, celles-ci ne compenseront probablement pas les préjudices économiques importants causés par la perturbation des chaînes d'approvisionnement, le ralentissement de la croissance mondiale et la baisse de la demande pour les exportations africaines des produits autres que les matières premières.
Dans ce contexte de volatilité, les dirigeants africains doivent agir. Les capacités en matière de sécurité et la collaboration doivent être renforcées afin de réduire la dépendance vis-à-vis des puissances étrangères et d'amortir les menaces internes et externes.
Les politiques diplomatiques des pays africains doivent s’harmoniser et adopter des stratégies, à la fois pour protéger les intérêts du continent et pour faire respecter les règles internationales qui garantissent sa souveraineté. Il est urgent de renforcer la résilience économique grâce à une politique budgétaire prudente, à la réduction du risque lié au dollar et à un développement plus poussé des marchés régionaux.
La crise iranienne fait rage à l'étranger, mais ses répercussions se font sentir sur le sol africain, et le continent doit se préparer à en subir les conséquences.
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.