Tshisekedi ouvre la boîte de Pandore dans l’est de la République démocratique du Congo
En permettant à l’Ouganda et au Burundi de poursuivre leurs ennemis dans cette région en proie à des troubles, Tshisekedi a provoqué l’ire de Kagame.
Les tensions sont de nouveau à leur comble dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), région en proie à des troubles chroniques. Le mouvement rebelle du M23, que l’on croyait mort depuis longtemps, a ressuscité de façon spectaculaire. En outre, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a accusé le président rwandais Paul Kagame d’apporter de nouveau un soutien militaire à ces rebelles.
Tshisekedi a annulé tous les vols de la compagnie aérienne RwandAir vers la RDC et suspendu tous les accords commerciaux, entre autres, passés entre les deux pays. Kagame nie en bloc, suggérant à Tshisekedi de régler ses propres problèmes « internes ». Le Rwanda accuse à son tour la RDC d’avoir tiré des roquettes sur le Rwanda. Le risque d’une guerre ouverte est imminent.
Alors, quel est le problème ? Selon les experts, cette crise résulte de causes géopolitiques à la fois internes à la RDC et régionales.
Après la prise de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, par le M23 en 2012, la région et la communauté internationale s’étaient mobilisées contre le groupe. La Brigade d’intervention de la Force des Nations unies (ONU), composée de contingents sud-africains, tanzaniens et malawites, a joint ses forces à la Mission de l’organisation des Nations unies en République démocratique du Congo. Mais elle disposait d’un mandat plus agressif, visant à éliminer les « forces négatives ». Elle a ainsi vaincu le M23, dont les combattants ont fui vers le Rwanda et l’Ouganda.
Pendant ce temps, les services de renseignement des États-Unis, du Royaume-Uni et d’autres pays ont découvert des preuves indiscutables du soutien du Rwanda au M23. Le président américain Barack Obama a appelé Kagame pour lui dire de faire marche arrière – comme l’a déclaré Jason Stearns, directeur du Congo Research Group, au Center for Strategic & International Studies, le 10 juin.
Le mouvement rebelle du M23, que l’on croyait mort depuis longtemps, a ressuscité de façon spectaculaire
Mais le problème du M23 n’a jamais été traité, a-t-il noté. Ses membres auraient dû être arrêtés pour leurs crimes dans l’est de la RDC, ou bien ramenés en RDC et réintégrés correctement dans l’armée ou dans la société. Or, rien de cela n’a été mis en place.
Les rebelles du M23 sont donc de retour pour semer le chaos, bien que, comme le souligne Stearns, les dégâts ne soient pas aussi importants qu’en 2012-2013, et ce malgré la récente prise de la petite ville de Bunagana, à la frontière ougandaise.
La plupart des experts semblent s’accorder sur le fait que le déclencheur externe de la recrudescence des tensions est la signature d’un accord entre Tshisekedi et le président ougandais Yoweri Museveni, en novembre dernier. Cet accord a permis à ce dernier d’envoyer son armée à la poursuite des Forces démocratiques alliées (ADF), affiliées à l’État islamique, qui venaient de perpétrer une série d’attentats à la bombe à Kampala et ailleurs en Ouganda, faisant neuf morts. Les ADF sont un groupe rebelle particulièrement brutal, originaire d’Ouganda et basé en grande partie dans l’est de la RDC.
Comme le souligne Paul-Simon Handy, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique de l’Institut d’études de sécurité (ISS), l’accord conclu avec Museveni concernait également des contrats avec l’Ouganda pour la construction de plusieurs routes dans l’est de la RDC. Au même moment, Tshisekedi concluait un accord similaire avec le président burundais Évariste Ndayishimiye, lui permettant d’envoyer les troupes burundaises en RDC pour traquer ses ennemis rebelles RED-Tabara, également basés dans l’est de la RDC.
Ces accords « pourraient ouvrir la boîte de Pandore », selon l’International Crisis Group. Ils pourraient avoir aussi l’effet inverse. Car Handy note que Tshisekedi s’était efforcé de rafistoler ses relations avec ses voisins de l’Est – relations qui étaient tendues sous son prédécesseur Joseph Kabila – depuis sa prise de fonction en janvier 2019. Il semblait y parvenir.
La communauté internationale, qui a pris conscience de la situation en 2012, est maintenant distraite par des problèmes plus urgents
« Pour Kagame, le fait de voir les troupes ougandaises déployées a tiré la sonnette d’alarme », a déclaré Handy. « Et pas seulement les troupes, mais aussi les accords commerciaux que son rival Museveni avait remportés. Parce que le Rwanda a d’énormes intérêts dans l’est de la RDC », dit-il. L’or est le premier produit d’exportation du Rwanda et de l’Ouganda, or la quasi-totalité de ce métal précieux est extrait en RDC.
Handy note toutefois que les intérêts économiques du Rwanda vont bien au-delà de l’or et d’autres ressources minérales, et concernent également, par exemple, les entreprises de téléphonie et de transport.
Handy pense donc que Kagame a vu sa sphère d’influence économique, militaire et politique, telle qu’il la conçoit, empiétée des deux côtés, par le nord et par le sud. Il a également estimé que les problèmes de sécurité du Rwanda n’étaient pas suffisamment pris en compte dans l’est de la RDC, où ses ennemis rebelles, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), semblaient gagner du terrain.
Handy observe qu’il est facile de blâmer uniquement le Rwanda. La RDC doit en partager la responsabilité pour n’avoir appliqué aucun des accords de paix qu’elle avait signés avec le M23 depuis 2013, et n’avoir ainsi pas offert au groupe un chemin vers la paix. Selon lui, il est important de se rappeler que le M23 est un groupe congolais, même s’il est composé de personnes issues d’ethnies rwandophones.
Alors, que faire, à partir de là ? Le problème sous-jacent ultime, comme l’a souligné Stearns, réside dans la faiblesse étatique de la RDC, qui la prive du contrôle de son propre territoire et la contraint à conclure des accords militaires compromettants, tels que ceux passés avec l’Ouganda et le Burundi, qui sont à l’origine de la crise actuelle.
Les acteurs ayant des intérêts dans l’est de la RDC doivent s’unir pour coordonner un chemin viable vers la paix
Il s’agit cependant d’une réalité fondamentale qui n’est pas près de disparaître et qu’il faut donc contourner. Et c’est ainsi que l’International Crisis Group a proposé à Tshisekedi de repenser les accords ougandais et burundais, notamment en circonscrivant plus précisément leurs missions.
Mais cela soulève une question difficile : si Tshisekedi est prêt à sous-traiter le prétendu monopole de l’utilisation de la force de son État à l’Ouganda et au Burundi, doit-il également le faire avec le Rwanda pour lui permettre de poursuivre les FDLR ? Faudra-t-il aller aussi loin que cela pour apaiser Kagame ?
La communauté internationale, qui s’était mobilisée et avait pris conscience de la situation en 2012, est maintenant distraite par des questions plus pressantes, telle que la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Cette semaine, Kagame accueille la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth, signe qu’il est sûr de lui et que ses manœuvres n’alarment pas la communauté internationale. La région, en revanche, se montre plus attentive.
La RDC a récemment rejoint la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), et, en mai, elle a organisé à Nairobi le premier effort collectif pour tenter de négocier la paix avec les nombreux groupes armés de l’est de la RDC. Mais il n’a pas abouti, en partie parce que le seul groupe rebelle important invité était le M23 – qui s’est retiré des négociations parce que Tshisekedi ne voulait pas entamer le dialogue avec lui, selon Stearns.
Lundi dernier, les chefs d’État de la CAE ont décidé, lors d’un sommet à Nairobi, de déployer immédiatement une force régionale dans l’est de la RDC afin de « chercher à stabiliser et à garantir la paix ».
Jakkie Cilliers, président de l’ISS, estime qu’il s’agit d’une proposition « prometteuse […] car, pour la première fois, selon mes souvenirs, c’est la région qui tente de résoudre son problème et non des étrangers, ce qui est essentiel ». Cependant, cette proposition a également soulevé plusieurs questions. D’abord, la RDC a insisté pour que le Rwanda ne fasse pas partie de la force. Le communiqué du sommet n’a pas répondu à cette demande.
Une autre question se pose : comment la force de la CAE fonctionnerait-elle avec la Brigade d’intervention de la force ? La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), dont la RDC est également membre, a pris les rênes de la brigade en 2013 et en a initialement constitué tous les contingents.
La SADC et l’ONU semblent avoir été laissées à l’écart de la planification et de la prise de décision de la CAE quant à la manière de traiter le problème de l’est de la RDC.
Handy suggère également que le président kenyan Uhuru Kenyatta est à l’origine de cette initiative de la CAE et qu’une grande partie de sa motivation consiste à rechercher des opportunités commerciales pour le Kenya dans l’est de la RDC.
Ce qui, à son tour, ne fera qu’inquiéter davantage Kagame et, dans une certaine mesure, Museveni.
Il est clair qu’il faut au moins que la multitude d’acteurs ayant des intérêts dans la partie orientale de la RDC s’assoient autour de la même table et se coordonnent pour tracer un chemin viable vers la paix. Parmi ces acteurs doivent figurer au moins la CAE, la SADC, la Communauté économique des États d’Afrique centrale, les Nations unies et l’Union africaine.
Peter Fabricius, consultant ISS
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