La Communauté d’Afrique de l’Est s’attaque aux rebelles dans l’est de la RDC
Quelques semaines après avoir admis en son sein la RDC, la CAE a lancé des négociations de paix avec les rebelles du pays.
La stratégie de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) pour ramener la paix dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), où règne une insécurité chronique, réussira-t-elle là où d’autres ont échoué ?
Après un faux départ la semaine précédente, les représentants de 23 groupes rebelles armés, parmi la pléiade que compte l’est de la RDC, ont conclu, la semaine dernière, cinq jours de négociations avec le gouvernement, à Nairobi. Il s’agissait de discuter des termes et conditions d’un dépôt des armes.
Pour assurer le bon déroulement des pourparlers de paix, qui s’effectuaient sous l’égide du Kenya, la menace de recourir à la force contre les groupes qui continuaient le combat a été brandie. Lors d’un sommet de la CAE quelques jours auparavant, les présidents du Kenya, de la RDC, du Burundi et de l’Ouganda, ainsi que le ministre rwandais des Affaires étrangères, avaient convenu de mettre sur pied une force d’intervention de la CAE afin de les poursuivre.
Aucune liste officielle des groupes rebelles invités ou des participants n’a été publiée. Cependant, des listes officieuses ont circulé, qui semblaient indiquer que les principaux groupes étaient absents.
Selon la presse locale, l’invitation n’a été adressée qu’aux groupes locaux, tandis que les groupes étrangers avaient été sommés de rentrer chez eux sous peine d’être éliminés par la force proposée par la CAE.
Tshisekedi a-t-il laissé tomber la SADC pour se tourner vers ses voisins plus immédiats ?
Toutefois, le M23, relancé depuis peu — et largement soupçonné d’avoir été soutenu au moins à l’origine par le Rwanda malgré les dénégations de ce dernier —, était représenté aux pourparlers par deux factions, selon les médias locaux. Ceux-ci indiquent également que le groupe des Forces démocratiques alliées (ADF, affiliées à l’État islamique), extrêmement sanguinaire, avait été spécifiquement exclu car listé comme organisation « terroriste ».
Toujours selon la presse, lorsque la première série de pourparlers s’est terminée la semaine dernière, certains groupes étaient prêts à cesser le combat – pour intégrer l’armée gouvernementale – tandis que d’autres avaient demandé plus de temps pour réfléchir. Une deuxième réunion devrait se tenir dans le courant du mois.
Rien n’a transpiré non plus quant aux groupes qui étaient prêts à cesser le combat et à ceux qui ne l’étaient pas.
Certains articles indiquent que des rebelles réclament l’amnistie, la libération des prisonniers politiques et une plus grande participation à la vie socioéconomique dans l’est de la RDC.
Ces groupes rebelles affirment avoir pris les armes en raison de l’absence des services de l’État, notamment sur le plan de la sécurité, mais aussi parce que le gouvernement n’avait pas respecté les accords précédents et que la présence de combattants étrangers signifiait que des forces extérieures continueraient à alimenter la violence en RDC. Ils faisaient référence notamment aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, originaires du Rwanda), aux ADF (originaires de l’Ouganda) et aux RED-Tabara (du Burundi).
Le des pourparlers de paix a été assuré par la menace de recourir à la force contre ceux qui ne s’étaient pas rendus
Les rebelles souhaitaient donc manifestement que ces groupes étrangers soient rapatriés et, à l’inverse, que les Congolais combattant à l’étranger rentrent chez eux.
Cette initiative fonctionnera-t-elle là où d’autres ont échoué ? On pense notamment à la Brigade d’intervention de la force (FIB), alors composée uniquement de contingents de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Elle s’était rendue dans l’est de la RDC dans le but de « neutraliser » un grand nombre de ces mêmes groupes armés en 2013, en appui à la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC. Après avoir vaincu le M23, elle avait ensuite semblé marquer le pas.
Cette nouvelle initiative de paix semble être la conséquence directe de l’adhésion de la RDC à la CAE au début du mois d’avril. Tshisekedi a-t-il abandonné la SADC, dont la RDC fait également partie, pour se tourner vers ses voisins plus immédiats ? Il est certain que la SADC a semblé surprise par la décision du Kenya, laissant ainsi en suspens certaines questions importantes, notamment quant à la nécessité de coordonner la FIB avec la force proposée par la CAE.
Peut-être la différence entre 2013 et 2022 réside-t-elle dans le fait que les groupes armés se sont vu proposer cette fois-ci la possibilité de participer à des négociations pacifiques avant d’être expulsés par la force ?
Angela Muvumba Sellström, de l’Institut nordique d’études africaines, a déclaré cette semaine à The East African que les rebelles devaient saisir cette opportunité de faire la paix, car leurs perspectives pour poursuivre la guerre s’amenuisaient. En effet, les dirigeants régionaux ont fait savoir qu’ils n’allaient peut-être pas (continuer à ?) soutenir ces groupes. Selon elle, le fait que le Rwanda et l’Ouganda soient en train de régler leur vieille querelle, dans leur compétition pour le vol des ressources naturelles de la RDC, a contribué à créer les conditions propices aux pourparlers de paix.
Selon des listes non officielles, les principaux groupes rebelles étaient absents des négociations
J. Peter Pham, ancien envoyé spécial des États-Unis pour les Grands Lacs, note qu’il est trop tôt pour évaluer réellement les résultats des pourparlers et la proposition de force régionale, car les détails restent partiels. « Mais il faut saluer ces deux initiatives, même si elles ne débouchent que sur de modestes améliorations », ajoute-t-il.
« Même si les pourparlers n’aboutissent qu’au retrait d’une partie seulement de la trentaine de groupes qui participent au conflit, cela réduit d’autant la charge qui pèse sur la future force de sécurité régionale et lui permet de se concentrer sur les plus récalcitrants ainsi que sur les défis importants de longue date comme les ADF et le M23. »
Il précise que ce qui n’a pas été abordé dans le communiqué officiel de la CAE, ce sont « les intérêts variés, tant légitimes qu’illicites, des voisins de la RDC dans l’est du Congo ».
« Le défi, tant pour l’administration Tshisekedi que pour […] Kenyatta et les autres facilitateurs, est de reconnaître les préoccupations légitimes des voisins du Congo sans toutefois porter atteinte à sa propre souveraineté et à sa sécurité […] sans parler de l’efficacité de toute mission régionale.
» Cette mission pourrait donc se révéler déterminante pour la CAE : une collaboration entre ses États membres et une solution durable au conflit dans l’est du Congo, qui permettrait à la RDC de s’intégrer pleinement au bloc régional, pourraient réellement changer la donne à l’échelle du continent ; mais c’est aussi prendre le risque que des querelles sur leurs intérêts respectifs fassent échouer la mission et mettent à mal les progrès accomplis par la CAE ces dernières années. »
Les « préoccupations légitimes » évoquées ici par Pham sont clairement la présence dans l’est de la RDC de forces qui menacent ses voisins (bien que le degré de menace ait toujours été incertain).
Les « intérêts illicites » ont pour objet, bien sûr, les ressources naturelles de la RDC que le Rwanda et l’Ouganda sont accusés de piller depuis des décennies. En mars, le Trésor américain a sanctionné l’homme d’affaires belge Alain Goetz et son entreprise African Gold Refinery en Ouganda, ainsi qu’un réseau de sociétés, en raison de « mouvements illicites d’or évalués à plusieurs centaines de millions de dollars par an » provenant de la RDC. Le Trésor a ajouté que ce trafic « procure des revenus aux groupes armés qui menacent la paix, la sécurité et la stabilité de la RDC ».
Toute initiative susceptible d’apporter la paix dans l’une des régions les plus violentes du continent doit bien sûr être saluée. Il faut toutefois veiller à ce que l’initiative de paix de la CAE serve véritablement les intérêts du peuple congolais, longtemps exploité et maltraité, et non ceux de ses voisins.
Peter Fabricius, consultant à l’ISS
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