L’Union africaine face à un choix délicat
Avant d’élire les nouveaux commissaires en février 2025, les États membres doivent décider du type de commission qu’ils souhaitent instaurer.
Publié le 20 novembre 2024 dans
ISS Today
Par
Paul-Simon Handy
directeur régional pour l’Afrique de l’Est et représentant de l’ISS auprès de l’UA
L’une des faiblesses de l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA), plan de croissance économique et de développement, réside dans le fait qu’il se concentre davantage sur les objectifs que sur la manière de les atteindre. En particulier, il ne dit pas grand-chose quant à la structure de la Commission de l’UA, qui est pourtant le secrétariat et le moteur de la mise en œuvre de l’agenda de l’organisme continental.
Adopté en 2014, l’« Agenda 2063 : l’Afrique que nous voulons » définit le cadre de la plupart des programmes et projets de développement de l’UA. Aujourd’hui, vingt ans après la création de l’UA et une décennie après le lancement de l’Agenda 2063, l’organisation doit redéfinir les rôles, les prérogatives et les ambitions de la Commission de l’UA.
Quelle commission faut-il pour réaliser l’Agenda 2063 ? À qui revient-il d’apporter son éclairage sur cette décision ? Alors que l’UA s’affirme comme acteur de la politique étrangère, notamment grâce à son admission au G20 en 2023, il est important de réfléchir à une vision à long terme pour la Commission.
À cet égard, la réforme institutionnelle de l’UA lancée en 2017 a été une occasion manquée. En effet, au lieu de fournir une vision claire à la Commission, elle a révélé sa relation houleuse avec le Comité des représentants permanents – le forum des représentants des États membres auprès de l’UA.
Les États membres considéraient la Commission comme inefficace et mal structurée. Les réformes institutionnelles visaient donc à réduire sa taille en rationalisant certains départements. Elle devait aussi améliorer sa responsabilité financière, son efficacité et proposer une division du travail claire entre l’UA et les Communautés économiques régionales (CER).
Quel type de commission faut-il pour réaliser l’Agenda 2063 ?
En conséquence, la Commission peut aujourd’hui se targuer d’avoir des départements avec un champ d’action plus important, mais aussi avec une capacité limitée et une efficacité discutable. La division du travail entre l’UA et les CER ne s’est pas améliorée non plus.
Les réformes n’ont pas permis de résoudre les contradictions et les ambiguïtés des cadres juridiques de l’UA en matière de subsidiarité. Cela alimente la concurrence entre l’UA et les blocs régionaux, qui en oublient l’efficacité tant ils souhaitent être considérés comme ceux à qui l’on doit d’avoir trouvé la solution. En conséquence, la Commission est mise à l’écart dans les efforts de rétablissement de la paix, au profit des blocs régionaux qui s’efforcent de ramener la paix dans leurs pays membres.
Peu d’États membres sont favorables à une Commission plus indépendante qui s’engage activement dans la prévention des conflits et qui soit en contact avec les CER. Les États africains protègent leur souveraineté et soulignent la nature intergouvernementale de l’UA. Ils préfèrent donc une Commission dont le champ d’action, le mandat et les ressources sont limités, une Commission plus réactive que proactive, et qui, surtout, réponde à leurs besoins.
Les pays africains ont raison de souligner les nombreuses inefficacités stratégiques et opérationnelles dans la gestion quotidienne de la Commission. Et ce n’est pas en réparant la Commission que l’UA deviendra plus efficace. Cependant, en tant qu’organe central de l’organisation continentale, il est crucial de procéder rapidement à une réforme importante.
Le changement de nom de « secrétariat » à « commission » n’a pas apporté grand-chose en termes d’autonomie et d’efficacité. Et bien que la sélection des commissaires soit devenue concurrentielle, la représentation régionale semble peser davantage que les compétences.
Les départements de la Commission de l’UA sont plus importants, mais pas plus efficaces
Le président de la Commission de l’UA n’a pas son mot à dire dans le choix des commissaires – ils sont tous élus en même temps. De plus, l’autorité du président sur les commissaires et sa capacité à superviser leurs performances sont limitées.
Au-delà de son engagement déclaré en faveur de l’intégration, l’UA reste sur les plans juridique et politique fortement intergouvernementale. Elle vise à renforcer la coopération entre les pays africains. Cependant, l’intégration régionale est entravée par la faiblesse des échanges commerciaux et de la collaboration scientifique et culturelle.
L’UA prétend être centrée sur les personnes et dirigée par les citoyens. Toutefois, la création d’un Parlement panafricain et la récente volonté d’impliquer les jeunes n’ont guère contribué à libérer l’UA de son piège intergouvernemental et élitiste. Les citoyens ordinaires n’ont qu’une expérience limitée de l’UA, malgré les efforts déployés ces dernières années par des agences spécialisées, telles que les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies lors de la pandémie de COVID-19.
L’UA est loin d’être une organisation supranationale dotée de règles contraignantes comme l’Union européenne. Elle est en fait plus proche des Nations unies.
La Charte de l’UA, le Protocole établissant le Conseil de paix et de sécurité et l’Agenda 2063 font tous référence à des valeurs africaines partagées. Cependant, les mécanismes de diffusion et de protection de ces valeurs sont soit limités dans leur portée, soit sapés par les États membres eux-mêmes. Les cours de justice régionales sont confrontées à de sérieux vents contraires de la part de gouvernements en difficulté qui ne respectent pas leurs engagements.
Les gouvernements africains ne savent pas quelle direction donner à l’UA et à sa Commission
Projet d’une élite issue de l’idéologie du panafricanisme historique, l’UA a favorisé la coopération entre les États membres, notamment par le biais de l’Architecture africaine de paix et de sécurité. Les parties prenantes s’accordent largement à dire que cette coopération devrait passer au niveau supérieur afin d’éviter l’érosion totale du consensus entre les pays.
Pour renouveler ce consensus, les consultations ne devraient pas se limiter aux élites habituelles de l’État et de la société civile. Les citoyens africains devraient être consultés pour qu’on connaisse leurs perceptions et leurs attentes à l’égard de l’UA, de sa Commission et d’autres agences.
Avec les élections prévues pour février 2025, les États membres doivent discuter de la forme que doit prendre la Commission. Il est temps de se demander quelle est la nature de la Commission de l’UA que nous voulons. Les citoyens africains devraient pouvoir s’exprimer par le biais de sondages qui pourraient être réalisés par l’organisme de sondage expérimenté Afrobaromètre.
Dans sa forme actuelle, la Commission doit naviguer entre des tendances contradictoires. Alors que l’idéal panafricaniste n’a jamais été aussi fort dans la rhétorique des citoyens et des élites africaines, la résurgence du nationalisme aide les responsables de coups d’État à mobiliser les populations mécontentes.
Des conversations difficiles devraient s’engager sur les dimensions essentielles de l’unité africaine. La libre circulation des personnes doit-elle être une priorité sur un continent où le contrôle et la gestion des frontières sont inégaux ? Une fédération ou une confédération africaine est-elle possible lorsque les États membres exercent un contrôle insuffisant sur leurs territoires ?
En réalité, les gouvernements africains ne savent pas exactement quelle direction ils voudraient voir prendre par l’UA et sa Commission. Les États membres savent quelle est la commission dont ils ne veulent pas, mais ils ne s’intéressent guère à se projeter dans l’avenir.
Une pensée innovante, des dialogues inclusifs de grande envergure et la volonté de créer une « Commission de l’UA que nous voulons » sont plus que jamais nécessaires.
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