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Les nouveaux commissaires de l’UA doivent avant tout être élus pour leur vision

Pour éviter l’obsolescence de l’Union africaine, il faut des dirigeants capables de renouveler le multilatéralisme africain.

La Commission de l’Union africaine se prépare à se doter de nouveaux dirigeants. La liste des candidats aux huit postes les plus importants est close et sera rendue publique incessamment.

Après deux mandats, Moussa Faki Mahamat ne peut plus briguer le poste de président. Son adjointe, Monique Nsanzabaganwa, est elle aussi écartée de la course en raison du système de rotation régionale de l’Union africaine (UA). Trois autres portefeuilles seront confiés à de nouveaux responsables, tandis que les commissaires de trois autres départements pourraient être réélus.

Les postes à pourvoir à la Commission de l’UA en février 2025
 
Nouveaux dirigeants à élire :
  • Président
  • Vice-président
  • Commissaire au développement économique, au tourisme, au commerce, à l’industrie et aux mines
  • Commissaire à l’agriculture, au développement rural, à l’économie bleue et à l’environnement durable
  • Commissaire à la santé, aux affaires humanitaires et au développement social
  • Commissaire à l’éducation, aux sciences, aux technologies et à l’innovation
Réélection possible des dirigeants actuels pour les postes de :
  • Commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité

Dans l’esprit de réforme tant vanté de l’UA, les élections de février 2025 seront une compétition d’idées. La période précédant le scrutin est une bonne occasion d’évaluer le niveau de pertinence de l’UA. Pour éviter l’obsolescence de l’UA, ses États membres et les candidats à la Commission de l’UA devraient débattre d’au moins trois questions principales : les pouvoirs confiés au président de la Commission, la capacité de l’UA à rétablir la paix et la réforme institutionnelle.

Cependant, les rumeurs sur les candidats potentiels et les rivalités entre régions pourraient empêcher la tenue d’un débat pourtant crucial pour l’enjeu de ces élections, comme cela s’est produit lors des scrutins précédents de 2016 et 2017.

Dans l’esprit de la réforme de l’UA, le scrutin de février 2025 devrait être un concours d’idées

L’UA peut se prévaloir de plusieurs réussites au cours de la dernière décennie. On peut citer notamment le lancement de l’Agenda 2063, la réforme institutionnelle et la zone de libre-échange continentale africaine, ainsi que son admission au G20. Toutefois, l’UA et le multilatéralisme africain en général ont besoin d’un nouvel élan. L’Agenda 2063 ne précise pas le type d’organisation intergouvernementale que requerra l’Afrique à l’avenir. L’absence de réponses normalisées et de responsabilisation en cas de coups d’État et de pratiques de gouvernance déstabilisantes montre les limites des mécanismes de sécurité collective adoptés par l’Afrique au début des années 2000.

Des conflits prolongés (Somalie, Soudan du Sud, régions du Sahel et des Grands Lacs) et l’apparition de nouvelles crises (Cameroun, Éthiopie et Soudan) ont compliqué la construction de l’État en Afrique. Ils empêchent le Conseil de paix et de sécurité de l’UA de fonctionner efficacement. À l’exception de la Somalie, l’UA n’a pas été en mesure d’intervenir en premier dans les conflits violents qui ont secoué l’Afrique cette année.

La première question qui doit faire l’objet d’une discussion approfondie est celle des pouvoirs confiés au président de la Commission de l’UA. Les prérogatives du président ont toujours été contestées par les États membres et la Commission. Le passage d’un secrétariat à une commission n’a pas modifié le point de vue des États membres qui pensent que le président reste le « premier parmi ses pairs » plutôt que le chef de la Commission.

La marge de manœuvre du président par rapport aux commissaires n’est pas claire et il ne sait pas comment il peut les sanctionner en cas de manquement. Ce qui constitue une difficulté. Or, les gouvernements africains sont favorables à ce fonctionnement qui dilue les prérogatives du président.

L’UA, même financée à 100 %, aurait actuellement encore du mal à résoudre les conflits en Afrique

Faki a été contesté à plusieurs reprises par les États membres, par exemple après avoir accordé à Israël le statut d’observateur auprès de l’UA, ce qu’il était habilité à faire. Le cas s’est représenté concernant sa gestion de la transition au Tchad après le changement anticonstitutionnel de gouvernement à la suite du décès du président Idriss Déby Itno en 2021.

Faki a été réélu président de la Commission de l’UA en 2021 avec 50 voix sur 55. Contrairement à ses prédécesseurs, il a critiqué les limites que les États membres ont imposées à ses pouvoirs. Malgré cela, les États ont continué à micro-gérer la Commission par l’intermédiaire du Comité des représentants permanents (COREP), qui administre les affaires courantes de l’UA et rend compte au Conseil exécutif.

Le rôle du COREP fait l’objet de profondes divergences. Alors que la Commission estime que son rôle légal se limite à une mission de liaison entre les organes de l’UA et les États membres, les gouvernements africains considèrent le COREP comme un outil de gestion permettant de superviser la Commission. Les États membres s’opposent à toutes les décisions non consensuelles de la Commission de l’UA. La recherche d’un consensus entre les 55 pays aboutit finalement à des décisions tellement édulcorées qu’aucune orientation claire ne s’en dégage.

La deuxième question concerne la capacité de la Commission à gérer les crises. Auparavant, une grande attention était accordée au financement des opérations de maintien de la paix, malgré les limites imposées par l’évolution de la dynamique des conflits. Cependant, le financement n’est pas le plus gros problème de l’UA, c’est sa capacité à concevoir des solutions politiques durables aux conflits prolongés ou émergents qui l’est. Dans sa forme actuelle, une UA entièrement financée aurait probablement encore du mal à résoudre les différents conflits en Afrique.

On voit mal comment les réformes institutionnelles ont renforcé le poids de l’UA dans les crises sécuritaires

On se pose alors la question : le modèle actuel de l’UA est-il adapté à la gestion et à la prévention des crises ? Malgré une architecture de paix et de sécurité sophistiquée, la réponse de l’UA aux conflits est souvent réactive et nécessite un engagement permanent et structuré. L’inefficacité, parfois contre-productive, dont fait preuve l’UA lorsqu’elle nomme et missionne ses envoyés spéciaux et autres hauts représentants est le symptôme d’une mauvaise prévention des conflits. L’allocation insuffisante de ressources humaines et financières signifie que l’UA n’optimise pas cet outil diplomatique efficace.

Enfin, il faut s’attaquer aux angles morts et aux lacunes de la réforme institutionnelle de l’UA. Il est difficile de voir comment ces réformes ont amélioré la capacité de l’UA à peser sur les crises sécuritaires. La disparition soudaine du système d’alerte précoce en cas de conflit n’a pas été soutenue par une politique adéquate. Il en a été de même avec la fusion du département des Affaires politiques avec celui de la Paix et de la Sécurité qui est plus une superposition qu’une intégration des deux départements.

L’objectif initial de la réforme de l’UA consistait à réduire les coûts et non à améliorer son efficacité ou son impact. En réalité, l’UA est une petite organisation, compte tenu de l’étendue de son champ d’action et de ses objectifs. L’une des principales lacunes des réformes est qu’elles ne se sont pas attaquées au contrôle exercé par les États membres sur la Commission, ce qui l’empêche de fonctionner avec un certain degré d’autonomie. Cela explique pourquoi la réforme institutionnelle n’a donné que peu de résultats dans l’ensemble.

Les aspirants commissaires de l’UA doivent présenter leurs idées novatrices pour traiter ces trois questions parmi d’autres sujets clés. Bien que les chefs d’État et de gouvernement (et non les citoyens) élisent les nouveaux commissaires en 2025, l’incapacité à résoudre ces problèmes pourrait jeter les bases d’une désintégration progressive du multilatéralisme africain en « minilatéralismes » ad hoc.

Alors que la concurrence mondiale s’intensifie et que l’aide au développement diminue, le poids stratégique de l’UA dépendra de la capacité de la Commission à tenir ses promesses, malgré ses limites. Si elle n’y parvient pas en 2025, l’UA verra son déclin s’accélérer, comme ce fut le cas pour l’Organisation de l’unité africaine, à la fin des années 1990, à laquelle elle a succédé.

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