Briser les chaînes d’approvisionnement des groupes terroristes en Afrique de l’Ouest

Les États côtiers de la région doivent démanteler les réseaux de financement et de logistique utilisés par les groupes extrémistes violents.

Le mois dernier, le Burkina et la Côte d’Ivoire ont conjointement mené l’opération Comoé, le long de leur frontière commune. Cette opération a entraîné la mort de huit présumés terroristes, conduit à l’arrestation de 38 autres et au démantèlement de camps d'entraînement. Elle reflète l'inquiétude grandissante dans ces États, et d'autres pays de la côte ouest-africaine, quant à l’expansion de l'extrémisme violent et la nécessité d'empêcher des attaques sur leurs territoires.

Cependant, l’expansion des attaques n'est pas le seul problème que pose la menace de l’extrémisme violent. Les opérations militaires ne devraient également pas être le seul moyen pour les pays d'y faire face. Les gouvernements doivent aussi se concentrer sur les facteurs qui permettent aux groupes de fonctionner. Les groupes extrémistes violents exploitent de plus en plus une économie alimentée par le terrorisme, utilisant le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo comme sources ou zones de transit pour leur financement et leur logistique.

Les motos sont prisées par les extrémistes en raison de leur robustesse et de la haute mobilité qu’elles permettent sur les terrains difficiles

Une étude menée par l’Institut d’études de sécurité (ISS) montre que du bétail volé au Burkina, au Mali et au Niger est vendu au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Ghana à des prix inférieurs à ceux du marché, les ressources générées sont alors réinvesties via des réseaux de trafiquants. Divers témoignages indiquent que des terroristes font partie des groupes armés financés par ce commerce illicite et utilisent les revenus générés pour acheter des armes, du carburant, des provisions et des motos.

Les motos sont prisées par les extrémistes en raison de leur robustesse et de la haute mobilité qu’elles permettent sur les terrains difficiles. Elles sont également faciles à entretenir, consomment peu de carburant et peuvent transporter plus d'une personne lors de combats et d’actions en soutien à ces opérations.

L'économie terroriste touche les États côtiers d'Afrique de l'Ouest
L'économie terroriste touche les États côtiers d'Afrique de l'Ouest
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De nombreuses motos utilisées dans la région nigérienne de Tillabéry sont acheminées à partir du Nigeria. Certaines sont transportées du Togo (via la ville frontalière de Cinkassé) vers le Burkina (jusqu’à la région de la Boucle du Mouhoun), et d’autres vers le Niger.

Les régions de Tillabéry et de la Boucle du Mouhoun sont des zones d’activité de groupes extrémistes violents. Bien que ces derniers ne soient pas directement impliqués dans le trafic, ils se fournissent en biens divers par le biais de commerçants et d’acteurs qui participent à des activités criminelles et organisent leur distribution.

Des données indiquent également que les groupes extrémistes s'approvisionnent à partir du Ghana en matériaux servant à fabriquer des explosifs. Des responsables ghanéens affirment que l'engrais, un produit clé pour la fabrication d’engins explosifs improvisés, est introduit clandestinement en quantités importantes au Burkina. Les forces de police arrêtent fréquemment des passeurs et saisissent des cargaisons dans des villes frontalières du nord du Ghana comme Hamile, Kulungugu et Namori.

En juillet 2019, le ministre de la région de l'Upper West, Dr Hafiz bin Salih, a déclaré qu’en 2018, le Ghana avait perdu 12 millions de dollars à cause de la contrebande d'engrais vers les pays voisins. Bien que les groupes terroristes ne soient pas nécessairement directement impliqués dans cette contrebande, une augmentation apparente d’engrais au Burkina accroît leur accessibilité.

En outre, une opération antiterroriste menée en 2018 dans le quartier Rayongo de Ouagadougou a conduit à la saisie d'un câble électrique souvent utilisé pour fabriquer des engins explosifs improvisés, dont l’origine a été retracée au nord du Ghana. Cela suggère l’implication des réseaux de trafiquants qui opèrent dans cette zone où l’exploitation minière artisanale et à petite échelle est une activité économique pratiquée depuis longtemps.

Des personnes interrogées par l'ISS ont déclaré que la ville de Dollar Power, au nord du Ghana, compte de nombreux mineurs illégaux originaires d’autres pays d’Afrique de l'Ouest, notamment d'anciens rebelles ivoiriens et des ressortissants burkinabés. Les vols à main armée y sont récurrents.

Dans l'est du Burkina, l'or de certains sites miniers contrôlés par des groupes extrémistes violents est acheté par des Béninois et des Togolais. Bien que l’on en ignore l’ampleur, ce métal précieux constitue une importante source de financement pour les groupes terroristes.

Les dirigeants des États côtiers sont préoccupés par la propagation des attaques vers le sud. C’est dans cette optique qu’en février 2017, les présidents du Bénin, du Burkina, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo ont organisé une rencontre à Accra. Ils ont tenu un sommet extraordinaire de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sur le terrorisme et lancé l'initiative d'Accra en septembre de la même année.

Les attaques enregistrées dans le sud du Burkina, près des frontières avec le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo, ont exacerbé les inquiétudes des responsables de la lutte contre le terrorisme. Lors du sommet de la CEDEAO tenu le 14 septembre 2019 à Ouagadougou, les dirigeants ont également condamné la propagation du terrorisme dans la région, bien qu’aucune référence aux États côtiers n’ait été faite.

Les extrémistes utilisent le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo comme sources ou zones de transit pour leur financement

Par ailleurs, les autorités burkinabés ont souvent alerté leurs homologues des pays côtiers quant à la fuite vers leurs territoires d'extrémistes présumés. Ces alertes ont fait suite à l'opération Otapuanu menée en mars 2019 dans le sud du Burkina. Au Ghana, des responsables de la lutte contre le terrorisme ont déclaré à l’ISS que des extrémistes utilisent le nord du pays comme zone de repli et de refuge, une situation qui suscite le mécontentement du Burkina à propos de l’engagement du pays voisin à lutter contre le terrorisme.

Les États côtiers reconnaissent néanmoins l'importance de s'attaquer aux causes profondes de l'extrémisme violent, notamment les déficits de gouvernance et de développement. Les groupes extrémistes pourraient exploiter le manque d’opportunités socio-économiques et de services de base, tels que les routes, les établissements de santé et d'éducation, pour pénétrer et s'implanter dans les communautés. À cet égard, le Plan d'action prioritaire 2020-2024 de la CEDEAO décrit les actions pour remédier à ces lacunes.

Toutefois, la capacité de faire face aux vulnérabilités qui permettent aux groupes extrémistes violents de lever et de transférer des fonds et d’assurer leur logistique reste limitée. Ces vulnérabilités reposent sur une surveillance et une sécurité frontalières faibles, des frontières poreuses et des liens communautaires, familiaux et socio-économiques solides. Le contenu des flux commerciaux transfrontaliers échappe en grande partie au suivi des autorités frontalières, dont les capacités, notamment technologiques, sont insuffisantes.

Pour prévenir l’extrémisme violent, il convient d’en appréhender les différentes dimensions, en particulier les transactions clandestines des groupes, afin de permettre aux autorités étatiques de trouver l’équilibre indispensable entre les opérations de lutte contre le terrorisme et la nécessité de démanteler les chaînes de financement et de logistique utilisées par ces groupes.

Le contenu des flux commerciaux transfrontaliers échappe au suivi des autorités frontalières, dont les capacités sont insuffisantes

Les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest doivent également s’attaquer aux vulnérabilités qui permettent à ces groupes de fonctionner. Des efforts sont nécessaires pour mieux contrôler les transferts de fonds entre les pays, renforcer le contrôle et la surveillance des frontières, améliorer la collecte et l'analyse de renseignements et s’assurer la collaboration des communautés vivant dans les zones frontalières.

Le démantèlement des chaînes d’approvisionnement pourrait donner lieu à de nouvelles attaques. Les groupes extrémistes pourraient recourir à la violence pour protéger des cachettes et sécuriser les voies de ravitaillement en s’attaquant à des postes frontaliers, qu’ils considèrent comme des obstacles à leur approvisionnement en matériel. Ainsi, afin d’obtenir le soutien des communautés locales, les stratégies visant à déstabiliser les activités de ces groupes ne doivent pas se faire au détriment des moyens de subsistance des individus et des populations qui dépendent du commerce transfrontalier.

Sampson Kwarkye, chercheur principal, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni et de Open Society Initiative for West Africa.

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Crédit photo : Amanda Martinez Nero/IOM

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