La Guinée peut-elle éradiquer les coups d’État de sa culture politique ?

Le processus de transition doit miser sur l’établissement d’institutions fortes et responsables, et non sur un simple gouvernement d’unité nationale.

Le 5 septembre 2021 au matin, les Guinéens ont appris la nouvelle d’un coup d’État militaire mené contre le président Alpha Condé. Ce qui n’était au départ que des rumeurs s’est vu confirmé avec la diffusion d’images, sur les réseaux sociaux, de Condé aux mains de militaires. Le président, déshonoré et désormais captif, a été conduit dans les rues de Conakry, sous les acclamations de la foule.

Ce coup d’État met fin au troisième mandat contesté de Condé, âgé de 82 ans, qu’il avait remporté après qu’une modification de la Constitution du pays lui a permis de se présenter aux élections d’octobre 2020. Ses manœuvres constitutionnelles ont provoqué des manifestations, au cours desquelles environ 400 personnes ont été arrêtées. De nombreux militants sociaux et personnalités politiques ont été emprisonnés, et certains sont morts en détention. À l’instar des régimes précédents, les victimes de la répression politique n’ont pas obtenu justice.

Cette absence de responsabilité constitue un frein majeur à la transition de la Guinée vers la démocratie et la stabilité. Pour éliminer les coups d’État de la culture politique du pays, ses dirigeants doivent promouvoir et faire respecter la justice et mettre fin à l’impunité de manière systématique.

L’absence de responsabilité est un frein majeur à la transition de la Guinée vers la démocratie

Le renversement militaire a fait resurgir l’éternelle tension qui existe entre démocratisation et militarisation de la politique. C’est pourtant cette dernière qui semble gagner du terrain en Afrique de l’Ouest. Les expériences des différents régimes militaires depuis les années 2000 montrent qu’à quelques exceptions près, les insurrections ne sont plus organisées par des généraux. La plupart des meneurs de coups d’État récents sont issus des échelons militaires subalternes ; il s’agit principalement de capitaines et parfois de colonels. Cela met en évidence la vulnérabilité, voire le manque de cohésion, de l’appareil de sécurité national.

C’est la troisième fois que l’armée interfère dans la politique nationale de la Guinée depuis l’indépendance du pays en 1958. À la mort de son premier président Ahmed Sékou Touré en 1984, le colonel Lansana Conté avait pris le pouvoir par un coup d’État et s’y était maintenu pendant 24 ans, jusqu’à son décès en 2008. Il fut rapidement remplacé par un autre dirigeant militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, lors d’un renversement qui a plongé la Guinée dans plusieurs années de répression politique violente.

En tant que premier président démocratiquement élu du pays, l’arrivée au pouvoir de Condé en 2010 a suscité des espoirs en matière de progrès démocratique, de stabilité politique et de gestion des nombreuses ressources naturelles du pays. En fin de compte, son règne illustre parfaitement l’échec d’un opposant politique qui a raflé le pouvoir grâce à un programme démocratique, pour ensuite le dédaigner et le malmener.

Le coup d’État en Guinée semble avoir reçu l’aval de la majorité des citoyens en raison de la mauvaise gouvernance et de la répression de Condé, ainsi que de la pauvreté généralisée qui prévaut dans le pays. Les réponses apportées aux niveaux national, régional et continental aux principaux défis de gouvernance de la Guinée se sont révélées inefficaces.

Condé s’est rendu vulnérable en affaiblissant les mécanismes d’équilibre des pouvoirs et en ayant recours à l’armée pour se maintenir au pouvoir

Paradoxalement, alors qu’il était en fonction, Condé ne s’est pas rendu compte qu’il s’était rendu vulnérable en affaiblissant les systèmes d’équilibre des pouvoirs et en ayant recours à l’armée plutôt qu'à la légitimité fondée sur l'adhésion des citoyens pour se maintenir au pouvoir. Son bilan électoral pèsera lourdement sur le pays. En effet, en modifiant la Constitution pour l’autoriser à briguer un troisième mandat présidentiel et en attisant les tensions entre les communautés, Condé a préparé le terrain pour des troubles politiques.

La Guinée se trouve maintenant confrontée au défi colossal de planifier une nouvelle transition. Il s’agira de sa cinquième tentative depuis 1984 d’adopter un véritable régime démocratique. Le pays fera probablement l’objet d’une attention diplomatique soutenue de la part de partenaires qui chercheront à guider la transition vers un retour à la normale sur le plan politique.

L’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ont toutes deux suspendu l’adhésion de la Guinée. Ces deux organisations se sont engagées à contribuer à la stabilisation du pays, aux côtés d’autres partenaires extérieurs tels que la France, qui a indiqué soutenir un retour rapide à l’ordre constitutionnel.

Le processus de transition doit être mené par le peuple guinéen. Les acteurs sociaux et politiques doivent jouer un rôle dans l’évaluation des causes de l’instabilité et dans la conception d’un nouveau pacte politique qui puisse résister à de futures manipulations. Le récent coup d’État offre cette opportunité à la Guinée.

Depuis 1984, la Guinée en est à sa cinquième tentative d’adopter un véritable régime démocratique

Les expériences passées du pays sont riches d’enseignements quant au recours à la violence politique pour s’emparer du pouvoir et le conserver. Ces leçons doivent être intégrées par les nouvelles institutions démocratiques afin de garantir leur résilience et leur durabilité.

Alors que la société civile et les représentants politiques se réunissent pour planifier la transition, il convient de s’intéresser davantage au renforcement des institutions et au respect de l’état de droit, plutôt qu’au concept superficiel de gouvernement d’unité nationale.

Contrairement au sentiment populaire, la récente succession de coups d’État en Afrique centrale et de l’Ouest (deux au Mali en moins d’un an, puis au Tchad et maintenant en Guinée) ne devrait pas soulever de questions quant à l’applicabilité de la démocratie en Afrique. Le problème découle plutôt de la défaillance de systèmes de gouvernance corrompus, du manque de responsabilité et de décennies de médiocrité dans la prestation de services.

Les pays africains doivent systématiquement s’attaquer aux ambiguïtés liées à la mauvaise gouvernance et aux changements anticonstitutionnels de gouvernement. L’UA et d’autres forums politiques ont largement mis en évidence les conditions qui légitiment ces processus. Il s’agit notamment de dirigeants autoritaires, d’un pouvoir constitutionnel inefficace et de l’ingérence de l’armée dans les affaires de l’État.

L’UA et les Communautés économiques régionales doivent se pencher en priorité sur comment traiter les cas de conservation inconstitutionnelle du pouvoir dans leurs États membres. Pour éliminer les coups d’État de la culture politique d’un pays, il faut commencer par condamner et sanctionner ouvertement les dirigeants qui abusent de leur pouvoir.

David Zounmenou, chercheur principal consultant, ISS

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Crédit photo : Human Rights Watch

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