Le Burkina Faso est-il sorti de l’ornière?
La tentative de coup d'état militaire au Burkina Faso pourrait avoir échoué, mais cela ne devrait pas éclipser les nombreuses questions qui doivent encore être abordées.
Publié le 28 septembre 2015 dans
ISS Today
Par
Le Burkina Faso émerge de sa crise la plus grave depuis l'insurrection d'octobre 2014 qui avait mené à la chute de Blaise Compaoré. La crise a commencé le 16 septembre, quand des éléments du RSP perpètrent un coup d'État et dissolvent les organes de la transition.
La fin de cette crise a été marquée par le rétablissement le 23 septembre dans ses fonctions du Président de la Transition, Michel Kafando, et par la tenue, deux jours après, du premier Conseil des ministres post-coup d'État. Bien qu'ils consacrent l'échec du coup de force du RSP et un retour progressif à la normale, ces développements ne doivent pas masquer les nombreuses questions qui restent pendantes.
Le Burkina Faso émerge de sa crise la plus grave depuis l'insurrection d'octobre 2014
L'immixtion du RSP dans la marche de la transition avait été unanimement et fermement condamné par la communauté internationale. Afin d'y mettre un terme, la Communauté économique des États de l’Afrique de l'Ouest (CEDEAO) avait entrepris une médiation qui a abouti le 20 septembre à un projet de sortie de crise. Cette proposition fut cependant vivement contesté par les acteurs burkinabè. Le 22 septembre, à l'issue d'un sommet extraordinaire tenu à Abuja (Nigeria), les Chefs d'Etat de la CEDEAO ont appelé les putschistes à déposer les armes et au rétablissement de la transition.
Dans l'intervalle, des unités des forces armées nationales, en provenance de l'intérieur du pays, avaient convergé le 21 septembre vers la capitale Ouagadougou dans le but de désarmer le RSP. Cette implication du reste de l'armée nationale, si elle a contribué à modifier significativement le rapport de force en défaveur du RSP, a également exacerbé les tensions et fait planer le spectre d'une confrontation. L'affrontement sera évité avec la conclusion dans la nuit du 21 au 22 septembre d'un accord entre le RSP et les forces armées sous l'égide du Mogho Naba, autorité traditionnelle des Mossis.
Alors que le pays tente de remettre sur les rails le processus électoral qui doit mettre fin à la transition plusieurs questions restent en suspens ou sensibles. Il s’agit précisément du sort du RSP et de l'idée d’amnistie pour les actes commis au cours des jours qui ont suivi le putsch, ainsi que la question de la participation de certains candidats de l’ex-majorité aux prochaines élections.
Les actes dont s’est récemment rendu coupable le RSP ont scellé son sort. Ainsi, lors du Conseil des ministres du 25 septembre, la décision a été prise de dissoudre le RSP, réglant définitivement une question qui faisait l’objet de débats depuis plusieurs mois, sans qu’aucune solution concrète et faisant l’unanimité ne soit dégagée.
Cette décision vise à réduire à néant sa capacité à interférer de nouveau dans la marche du pays. Toutefois, la mise en œuvre de cette décision risque de se heurter à une résistance certaine du RSP. Il pourrait ainsi s’avérer difficile de faire disparaître par un seul décret l’influence d’un corps qui aura été étroitement lié à l’histoire du pays et aux soubresauts politiques qui l’ont caractérisé au cours des vingt dernières années.
Ces développements ne doivent pas masquer les nombreuses questions qui restent pendantes au Burkina Faso
Il est pour l’heure question d’encaserner les éléments du RSP à l’intérieur du camp Naaba Koom II, situé derrière le Palais présidentiel de Kosyam. Cette opération, qui a connu un début de mise en œuvre, devrait s’accompagner de l’inventaire de son armement dont une partie a commencé à être déplacée vers d’autres sites de l’armée. Or, cette opération, qui pourrait s’apparenter à un désarmement, se heurte déjà à la résistance des éléments du RSP, en l’absence de garantie pour leur sécurité.
Cette quête de garantie réjoint également la question de l’amnistie des putschistes qui avait été évoquée dans le projet d’accord proposé par la CEDEAO. Cette proposition, s’assimilant à une prime à l’impunité, a indigné une large partie de l’opinion burkinabè et est depuis lors combattue.Elle est d’autant plus mal accueillie que des éléments du RSP sont suspectés de s’être rendus coupables d’actes de violence contre les personnes et les biens ayant occasionné, selon un bilan provisoire, onze (11) morts et deux cent soixante onze (271) blessés.
En ce sens, la décision prise lors du Conseil des ministres du 25 septembre de créer une Commission d’enquête chargée de « situer les responsabilités, identifier les auteurs, complices, militaires et civils impliqués dans la tentative de coup d’État (…) » ne traduit pas une prédisposition des autorités de la transition en faveur d’une quelconque amnistie.
Il en est de même des nombreuses démarches initiées par des syndicats de magistrats et des organisations de défense des droits humains afin de recueillir toutes les preuves des exactions commises dans les jours qui ont suivi le putsch. Ces actions à l’encontre des putschistes pourraient compliquer davantage les efforts visant à désarmer et à démanteler le RSP et pousser certains de ses éléments, se sentant acculés, à des actes désespérés.
Pour justifier leur coup de force, les putschistes avaient également évoqué l’exclusion dont l’ancienne majorité estime avoir été victime dans le cadre du processus électoral. La réintégration des personnalités dont les candidatures aux élections présidentielles et législatives avaient été invalidées par le Conseil constitutionnel figurait dans les propositions de sortie de crise de la CEDEAO.
Toutefois, bien que rétablis, les autorités de la transition, tout comme ce processus politique, demeurent fragiles
Alors que le coup d’État a échoué et que les autorités de la transition s’attèlent à relancer le processus électoral, cette demande ne semble plus d’actualité. Le premier vice-président de l’ancien parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Achille Tapsoba, a d’ailleurs récemment déclaré que la question de la participation des candidats du parti aux élections n’était plus à l’ordre du jour.
Cela étant, une majorité d’acteurs politiques et d’organisations de la société civile n’est pas disposée à revenir sur les décisions déjà prises par le Conseil constitutionnel. De plus, l’attitude ambiguë qu’a adoptée le CDP - certains de ses responsables ont cautionné et même soutenu le coup d’État – au cours des derniers événements ne militera pas dans ce sens.
La normalisation de la situation politique est en cours. Toutefois, bien que rétablis, les autorités de la transition, tout comme ce processus politique, demeurent fragiles. Les acteurs burkinabè devront tirer avec lucidité tous les enseignements de la récente crise et s’atteler à trouver des réponses aux questions en suspens en trouvant un équilibre entre impératifs de justice et nécessité de bâtir un consensus le plus large possible. Il paraît de ce fait important de ne pas donner l’impression qu’un règlement de compte est en œuvre au risque d’accentuer des frustrations qui fragiliseront davantage le pays.
William Assanvo, Chercheur principal; Ella Abatan, Chercheure boursière; et Pascaline Compaoré, Chercheure boursière, Division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS Dakar