Coup d’État militaire au Mali : le mouvement de contestation populaire en pleine lumière
Fatigués de la mauvaise gouvernance et de la corruption, les citoyens maliens espèrent que les manifestations aboutiront à un changement politique.
Le Président Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé sa démission à la télévision nationale malienne dans la nuit du 18 au 19 août. Plus tôt dans la journée, Keïta et son Premier ministre Boubou Cissé avait été arrêté par l’armée.
Ce qui avait débuté par des rumeurs de mutinerie, le 18 août au matin, s’est transformé en un coup d’État militaire qui a abouti au départ de Keïta, sous la contrainte. Les putschistes, qui se font appeler le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), occupent toujours le pouvoir.
Ce coup d’État intervient après des semaines de manifestations et de tensions exacerbées par des élections législatives controversées, sur fond de scandales de corruption liés aux achats militaires et à la mauvaise gouvernance. Le Mali est confronté à de multiples crises qui se manifestent par un regain de l’extrémisme violent, une détérioration des conflits locaux et une aggravation de la criminalité transnationale organisée dans le nord et le centre du pays. Ces crises tendent à se répandre à travers le pays.
L’Union africaine (UA), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les Nations unies et la communauté internationale ont condamné la prise de pouvoir par l’armée. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a suspendu le Mali des instances de l’UA en attendant que l’ordre constitutionnel soit rétabli. L’organe a également demandé la libération de Keïta et des autres responsables gouvernementaux détenus. Quant aux États membres de la CEDEAO, ils ont suspendu le Mali de l’institution et ont fermé leurs frontières avec le pays. L’organisation régionale a également imposé des sanctions aux dirigeants du CNSP et leur a ordonné de rendre le pouvoir à Keïta.
Les contestations populaires traduisent des déficits de gouvernance plus profonds
Le cas du Mali soulève de nombreuses questions sur les mouvements de contestation populaire, les coups d’État militaires et la gouvernance en Afrique, où les soulèvements populaires se multiplient depuis une dizaine d’années. Les événements du printemps arabe, suivis de ceux du Burkina qui ont conduit à la destitution de l’ancien Président Blaise Compaoré en 2014, en ont été le point culminant.
L’année 2019 a également rappelé qu’un régime pouvait être renversé par des manifestations et des interventions militaires. En Algérie et au Soudan, des mois de manifestations soutenues ont conduit à la déposition des présidents Abdelaziz Bouteflika et Omar el-Béchir, tous deux au pouvoir depuis trois décennies.
Il convient de noter que le continent a fait des progrès en matière de coups d’État, dont l'occurrence chute en Afrique. Tout changement anticonstitutionnel de gouvernement est rejeté au niveau continental, comme le stipule la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’UA. La CEDEAO dispose d’un cadre similaire, régit par son Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Cependant, aucune des deux chartes ne traite spécifiquement des soulèvements populaires tels que ceux qui ont conduit aux coups d’État militaires en Algérie, au Soudan et tout dernièrement au Mali.
Les mouvements de contestation populaire posent deux problèmes essentiels. Le premier concerne le moment à partir duquel une contestation peut être considérée comme populaire, ou à tout le moins suffisamment populaire pour justifier un appel à un changement de gouvernement. Le deuxième concerne la nature manifestement inconstitutionnelle de la demande de démission d’un président élu ou de son gouvernement sans passer par les voies prévues dans la constitution, même lorsque cette demande est formulée par des personnes mues par des griefs a priori légitimes.
Au Mali, les élections sont controversées et les résultats sont systématiquement contestés
L’argument selon lequel les dirigeants élus ne sauraient être démis de leurs fonctions que par l’organisation de nouvelles élections, mais en aucun cas sous la pression de la rue ou par un coup d’État militaire, n’est valable que si ces dirigeants ont été élus lors de scrutins crédibles et qu’ils respectent eux-mêmes l’état de droit dans le cadre d’un contrat social constitutionnel.
En 2018, Keïta a peut-être été réélu lors d’élections considérées comme crédibles par la plupart des observateurs, mais il a dû faire face à de vastes contestations populaires dès avril 2019. Plus récemment, une nouvelle vague de manifestations a vu le jour en avril 2020 à la suite d’élections législatives controversées. Les citoyens maliens ont exprimé leur mécontentement face à la pauvreté, l’insécurité, la mauvaise gouvernance et la corruption endémiques.
Ailleurs sur le continent, nombre de dirigeants africains tentent d’amender ou de contourner la constitution de leurs pays pour se maintenir au pouvoir. Ces manipulations, tout comme les coups d’État, militaires ou non, et les mouvements de contestation, génèrent une instabilité institutionnelle qui empêche l’enracinement des normes et des pratiques démocratiques. Dès lors, l’ordre constitutionnel peut être perçu comme facilement modifiable.
Si la charte de l’UA et le protocole de la CEDEAO rejettent les changements anticonstitutionnels de gouvernement, ils énoncent également clairement les normes démocratiques et de bonne gouvernance. Le respect de ces dernières devrait réduire au minimum l’occurrence des premiers.
Les tendances actuelles suggèrent que les manifestations vont se multiplier dans l'espace socio-politique contesté de l'Afrique
Il n’est pas toujours possible de savoir si un mouvement de contestation est légitime, représentatif ou populaire. Mais lorsque des griefs légitimes sont soutenus par une partie importante de la population, il devient difficile de contester le caractère « populaire » d’un soulèvement, ou d’y mettre fin.
Sans que la destitution d’un président ou d’un gouvernement par le biais d’un soulèvement devienne la norme, lorsque les citoyens d’un pays considèrent que leur gouvernement a échoué, ils doivent pouvoir descendre dans la rue pour exiger sa démission.
Ces demandes peuvent être considérées comme légitimes lorsque les élections sont marquées par un manque de liberté, d’équité et de transparence et que les dirigeants au pouvoir ne peuvent être démis par la voie des urnes. Dans de telles situations, l’on constate généralement un manque de confiance envers les institutions étatiques et une remise en question de leur indépendance et de leur impartialité, ce qui discrédite les processus démocratiques.
Si la légitimité, le caractère populaire ou la représentativité d’une manifestation peuvent être remis en question, il en va de même pour un gouvernement. Lorsque les dirigeants sont « élus » à la suite d’élections suspectes dont les résultats sont fortement contestés, leur légitimité est faible.
Au Mali, comme dans de nombreux autres pays africains, les élections sont généralement controversées et les résultats systématiquement contestés. Lors des élections législatives de mars-avril 2020, la Cour constitutionnelle a attribué la quasi-totalité des 30 sièges contestés au parti au pouvoir et à ses alliés, et ce après plusieurs recours, provoquant des manifestations dans tout le pays.
Le scrutin, initialement prévu en 2018, avait été reporté en partie pour permettre l’adoption d’un amendement constitutionnel qui visait à relancer le processus de décentralisation, conformément à l’accord de paix d’Alger de 2015.
Le coup d’État militaire est intervenu après la tentative de médiation menée par l’ancien Président nigérian Goodluck Jonathan et le déploiement d’une mission des chefs d’État de la CEDEAO. Ces initiatives ont toutefois échoué à dénouer les désaccords entre Keïta et la coalition du Mouvement du 5 Juin - Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), chef de file des manifestations antigouvernementales.
Si l’on se fie à la tendance actuelle, il est possible que les mouvements de contestation populaire se multiplient dans l’espace sociopolitique africain. Les prévisions selon lesquelles la COVID-19 devrait entraîner une hausse du chômage et de la pauvreté laissent à croire que les gouvernements vus comme peu performants et corrompus continueront à être confrontés à des soulèvements.
Les mouvements de contestation populaire sont le signe d’un important déficit de gouvernance. Une partie de la solution réside dans une application holistique, et non sélective, des normes africaines en matière de démocratie et de bonne gouvernance : il est impossible de condamner les changements anticonstitutionnels de gouvernement tout en tolérant les abus et les excès des dirigeants.
Le Mali est entré dans une période d’incertitude politique. Les accords de transition doivent être soigneusement négociés afin de préserver une certaine stabilité au sein d’un appareil de sécurité fragile, mais engagé dans la lutte contre l’extrémisme violent. L’avenir du Mali en tant que pays dépend du succès de la transition actuelle.
Mohamed M Diatta, chercheur, Rapport CPS, ISS Addis-Abeba
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