Le retour à l’ordre constitutionnel en Guinée: un test majeur
Des efforts soutenus pour stabiliser la Guinée pourraient contribuer à redorer le blason de la CEDEAO et de l’Union africaine.
L’adoption de la nouvelle Constitution avec 89,39 % des voix exprimées lors du référendum du 21 septembre a ouvert la voie à l’élection présidentielle du 28 décembre. Ce scrutin et les élections législatives et locales qui suivront sont une étape clé du processus de retour à l’ordre constitutionnel en Guinée. Ils marqueront la fin de la transition ouverte après le coup d'État du 5 septembre 2021 qui a renversé le président Alpha Condé.
Le régime de Condé avait été contesté après l’adoption d’une constitution en 2020 qui lui a permis de briguer un troisième mandat. A l'approche du scrutin de décembre, des interrogations subsistent sur les conditions de son organisation ainsi que sur le rôle de l’Union africaine (UA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans la gestion de la transition.
Une conduite unilatérale de la transition
En réaction au coup d'État militaire, la Guinée avait été suspendue des organes de décision de l’UA et de la CEDEAO qui ont aussi exigé qu'un chronogramme de transition soit adopté. Plus d’un an après, les autorités guinéennes et la CEDEAO se sont accordées sur une période de transition de 24 mois qui a débuté en décembre 2022, puis a été prolongée jusqu’en 2025. L’accord prévoit une transition articulée autour d’un chronogramme qui doit permettre à la Guinée de rétablir l’ordre constitutionnel et de s'engager sur la voie de la stabilité.
La Constitution adoptée en septembre fait partie des dix éléments du chronogramme que les autorités considèrent comme nécessaires pour entreprendre des réformes sociopolitiques profondes. Elle introduit des changements importants sur les droits fondamentaux tels que le droit de pétition. Pour ce qui est du système politique et institutionnel, elle prévoit une rationalisation des pouvoirs du président de la République et l’introduction du bicaméralisme avec la création d’un sénat. Sur le plan judiciaire, elle prévoit la création d’une cour spéciale de justice de la République reposant sur un régime d’engagement de la responsabilité pénale du gouvernement.
Les parties prenantes doivent coordonner leurs efforts diplomatiques et de médiation avant les élections
Si les changements dans la nouvelle Constitution paraissent ambitieux, ils restent perçus par une partie de la classe politique comme déconnectés d’un véritable processus inclusif, ce qui fragilise leur légitimité. Une frange de la classe politique et de la société civile avait appelé à ne pas voter, estimant que le texte constitutionnel servait davantage à légitimer le maintien de l’équipe dirigeante à la tête du pays. L’appel a eu un impact limité, car 86 % des électeurs inscrits se sont rendus aux urnes.
Aux doutes exacerbés par les retards et le manque de lisibilité du calendrier se sont ajoutées les critiques sur la conduite unilatérale de la transition. Elles résultent notamment de l’interdiction des manifestations depuis mai 2022, des enlèvements et des disparitions des voix discordantes ainsi que du rétrécissement de l’espace médiatique.
Des partis politiques de premier plan, tels que l’Union des forces démocratiques de Guinée et le Rassemblement du peuple de Guinée, ont été suspendus lors d’une évaluation des partis politiques initiée par les autorités de transition. Sur fond de querelles intra partisanes, ces suspensions suscitent de vives réactions au sein de la classe politique qui estime qu’elles contribuent à consolider la position des autorités de transition dans la perspective des différentes élections.
L’UA avait demandé aux autorités d’exécuter le calendrier de transition convenu et de dialoguer avec la CEDEAO. Toutefois, cette dernière ne semble pas avoir de marge de manœuvre pour peser sur la trajectoire de la transition. En septembre 2021, l’organisation régionale avait pris des sanctions contre la Guinée qu’elle a levées par la suite afin de relancer le dialogue et les négociations.
Cependant ces initiatives se sont heurtées à des questions d’inclusion et de participation des acteurs politiques, malgré les appels de la CEDEAO et de l’UA à un processus inclusif. Le comité de suivi et d'évaluation du chronogramme n’a pas été installé alors qu’il aurait permis non seulement de préserver l'esprit de l'accord d'octobre 2022, mais aussi de renforcer la confiance des acteurs politiques.
Un processus électoral en question
La Constitution prévoit la création d’un organe technique indépendant chargé de la gestion des élections, composé des représentants de partis politiques et de la société civile. Toutefois, le Code électoral promulgué le 27 septembre permet à la Direction générale électorale du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation d’assurer l’organisation de l’ensemble des scrutins de fin de transition, ce qui alimente les craintes d’élections inéquitables.
Les missions d’observation citoyenne et d’alerte précoce doivent être soutenues
S’y ajoutent l’absence des grandes figures de l’opposition à la course à la présidentielle ainsi que celle de la candidature du président de la transition, le général Mamadi Doumbouya, validée par la Cour suprême. Pourtant, Doumbouya avait fait à plusieurs reprises la promesse solennelle que ni lui, ni aucun membre du gouvernement de transition ou du Conseil national de transition (CNT) ne seraient candidats à une élection de fin de transition. Cette décision contrevient à la charte de la transition et aux cadres normatifs de la CEDEAO et de l’UA.
La multiplication des soutiens en faveur d’une candidature de Doumbouya à la prochaine présidentielle coïncide avec les dispositions controversées du nouveau Code électoral. Ces dernières semblent avantager le pouvoir militaire puisqu’elles exigent qu’une candidature indépendante à la présidentielle soit parrainée par au moins 30 % des maires d’au moins 70 % des communes. Depuis la dissolution des conseils communaux, les présidents des délégations spéciales, directement nommés par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), ont succédé aux maires élus.
Cette situation fait peser le risque d’une remise en cause de l’intégrité et de la légitimité des processus électoraux de fin de transition et, plus largement, d’un retour à un ordre constitutionnel tumultueux marqué par des contestations politiques et sociales.
Œuvrer pour un scrutin apaisé
Le contexte ne favorise pas l’application de certains cadres normatifs et instruments politiques par la CEDEAO, l’UA et les Nations unies ou les partenaires bilatéraux. Cependant, ces parties prenantes doivent garder à l’esprit que les crises électorales ont constitué de tout temps un facteur d’instabilité en Guinée. En complément de la création d’un mécanisme de suivi de la transition demandée par le Conseil de paix et sécurité (CPS) de l’UA en septembre 2021, elles doivent coordonner leurs efforts diplomatiques et de médiation non seulement dans la perspective de l’élection présidentielle, mais aussi des législatives et des locales subséquentes. L’enjeu est de contribuer à rompre le cycle de crises électorales souvent marquées par la violence, en tirant les leçons des scrutins précédents.
La réussite de la transition dépend de réformes structurantes inclusives
La CEDEAO et l’UA doivent continuer d’encourager le dialogue sincère entre les acteurs nationaux. Il doit leur permettre de surmonter les désaccords et de trouver un compromis pour une réouverture de l’espace démocratique, tel que préconisé par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples de l’Union africaine, dans son communiqué de presse d’août 2025.
Les autorités de transition ayant réaffirmé leur attachement à la CEDEAO et à l’UA, ces dernières devraient leur rappeler les règles auxquelles le pays a souscrit en tant qu’État membre. Elles devraient les inciter à diffuser plus largement le nouveau Code électoral, qui fixe les nouvelles règles pour la compétition élective, afin de permettre à davantage de citoyens d’en prendre connaissance.
Bien que les autorités affirment mener le processus de manière souveraine, la CEDEAO et l’UA doivent maintenir et communiquer sur leur disponibilité à accompagner la Guinée dans la mobilisation les ressources financières et logistiques nécessaires à l’organisation des différents scrutins. Cette démarche est cohérente avec la demande de la CEDEAO aux autorités guinéennes d’accélérer la mise en place d’un comité conjoint de suivi et d’évaluation de la feuille de route de la transition. En mai, le CPS de l’UA a effectué une mission de terrain à Conakry pour évaluer le processus de transition. Cette démarche s'inscrit aussi dans les efforts de la CEDEAO et de l’UA qui ont déployé des missions d’évaluation des besoins électoraux du pays, respectivement en avril et en juillet.
La CEDEAO et l’UA, qui avaient dépêché des experts dans les bureaux de vote en marge du référendum, doivent une nouvelle fois conjuguer leurs efforts en envoyant, lors des différents scrutins, des missions d’observation qui, en toute transparence, relèveront toute anomalie.
Ces actions doivent s’accompagner d’une intensification du soutien aux organisations de la société civile qui mènent des activités de missions d’observation citoyenne, de sensibilisation, d’information et d’alerte précoce. Ceci est d’autant plus essentiel dans un contexte de fragilisation de l’espace civique, qui favorise la désinformation au risque d’accentuer les clivages et les risques de tensions sociopolitiques.
Un moment charnière
L’accompagnement du processus de retour à l’ordre constitutionnel en Guinée constitue un test majeur pour la CEDEAO et l’UA, alors qu’elles traversent une crise de légitimité exacerbée par les failles de la gestion des coups d'État intervenus depuis 2020. Cette situation met à l'épreuve leur capacité à défendre leurs textes et principes démocratiques. Le coup d’État de 2021 s’est déroulé dans le contexte d’une forte demande populaire contre les dérives passées. La réussite de la transition dépend moins de scrutins de fin de transition que de réformes structurantes inclusives qui posent les bases d’une stabilité durable. À défaut, la Guinée risque de replonger dans le cycle des crises institutionnelles.
La récente vague de coups d’État en Afrique de l’Ouest montre que la persistance d’une gouvernance marquée par le clientélisme, la corruption et l'autoritarisme prépare le terrain à une rupture prochaine de l'ordre constitutionnel. Par conséquent, la CEDEAO et l’UA doivent identifier les mécanismes pour que les autorités élues au terme de la transition soient également liées par les réformes structurantes amorcées pendant la période de transition.