PATRICK MEINHARDT / AFP

Les enjeux du retour à l’ordre constitutionnel en Guinée

L’adoption de la nouvelle Constitution est un jalon déterminant pour le processus de normalisation de la vie politique.

Ce 21 septembre, près de 6,7 millions de Guinéens sont attendus aux urnes pour se prononcer sur l’adoption ou non de la nouvelle Constitution. Ce scrutin est une étape clé du processus de normalisation de la vie politique du pays, traversée par une crise de confiance entre les acteurs nationaux.

Le référendum prépare les élections présidentielle et législatives censées clore la transition ouverte après le coup d'État du 5 septembre 2021 qui a renversé le régime du président Alpha Condé, contesté après l’adoption d’une Constitution de 2020 qui lui a permis de briguer un troisième mandat. Cependant, les retards et le manque de lisibilité du calendrier ont accentué le doute parmi les citoyens et nourri l’idée d’une conduite unilatérale de la transition.

Cette nouvelle Constitution, issue des consultations et des symposiums, introduit des changements importants sur les droits fondamentaux, la gouvernance et l’architecture institutionnelle. Toutefois, ces changements s’ils paraissent ambitieux, restent perçus par une partie de la classe politique comme déconnectés d’un processus inclusif véritable, ce qui fragilise leur légitimité.

En bonne place figure l’introduction du droit de pétition par tous les citoyens, avec l’obligation d’inscrire à l’ordre du jour le sujet ayant recueilli le nombre de signatures requis par la loi. Pour une révision constitutionnelle, les citoyens ont 30 jours entre la fin du débat parlementaire et la soumission du texte au référendum pour s’y opposer par une pétition. Ce droit peut également être exercé dans une procédure de mise en accusation pour haute trahison du président de la République.

Face à la perception d’un développement inégal entre les régions, la nouvelle constitution prévoit la création d’une commission nationale pour le développement (CND). Composée de membres des secteurs public et privé, de la société civile et du monde universitaire, elle contribue à définir les stratégies nationales et régionales dans des domaines tels que la gestion des ressources, du foncier, des collectivités territoriales et l’égalité des chances.

Le CND peut être considéré comme un mécanisme clé pour garantir l’implication des citoyens dans la gouvernance, au même titre que l’ouverture des élections aux candidatures indépendantes. Cette participation est d’autant plus importante que le désir de démocratie des Guinéens demeure élevé.

La Constitution introduit des changements sur les droits fondamentaux, la gouvernance et l’architecture institutionnelle

Sur le plan institutionnel, le projet de constitution maintient un bicéphalisme de l'exécutif (président de la République et Premier ministre) tout en rationalisant les pouvoirs du président de la République, traditionnellement hypertrophiques, en augmentant ceux du Premier ministre, dont le gouvernement qu'il dirige définit la politique de la nation sous l’autorité du président de la République.

Cette rationalisation du pouvoir présidentiel repose aussi sur l’introduction du bicaméralisme, avec la création du Sénat, aux côtés de l’Assemblée nationale. Le Sénat donne son avis sur les nominations à de hautes fonctions civiles, limitant ainsi les prérogatives présidentielles.

La création d’un sénat répond théoriquement à la demande d’une meilleure représentativité des régions naturelles du pays, dont le sentiment d’appartenance a souvent fait l’objet d’instrumentalisation électoralistes, dans les instances de décisions ainsi qu'à la demande de redistribution des ressources, notamment à travers des missions de prévention et de gestion de conflits entre les communautés ainsi que de sauvegarde des us et coutumes guinéens.

Sur le plan judiciaire, le projet de constitution prévoit une cour constitutionnelle qui peut être saisie directement par des associations agréées, pour l’abrogation d’une loi considérée comme inconstitutionnelle ainsi que la création d’une cour spéciale de justice de la République, reposant sur un régime d’engagement de la responsabilité pénale du gouvernement.

Malgré ces réformes, qui pourraient contribuer à engager la Guinée sur la voie de la stabilité durable, ce référendum constitutionnel est vivement contesté par une frange de la classe politique et de la société civile, qui ont appelé à son boycott, estimant que le texte constitutionnel sert davantage à légitimer le maintien de l’équipe dirigeante à la tête du pays.

L’interdiction de manifestations depuis mai 2022, les enlèvements et les disparitions de voix discordantes ainsi que le rétrécissement de l’espace médiatique ont nourri les critiques sur la conduite peu inclusive de la transition. Une manifestation récente de cette fragilisation de l’espace civique est la suspension de partis politiques de premier plan tels que l’Union des forces démocratiques de Guinée et le Rassemblement du peuple de Guinée.

La persistance du clientélisme et de l'autoritarisme prépare le terrain à la prochaine rupture

À cela s’ajoute la perspective risquée de la candidature du président de la transition, le général Mamadi Doumbouya, pour laquelle les soutiens se sont multipliés ces derniers mois en dépit de sa promesse solennelle de n’être candidat à aucun scrutin.

Par ailleurs, le manque de consensus quant à la conduite des opérations électorales confiée au ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation suscite la crainte de fraude tandis que l’Observatoire National Autonome de Supervision du Référendum constitutionnel n'a été installé que trois jours avant le scrutin.

Cette situation fait peser un risque d’une remise en cause de l’intégrité et de la légitimité du processus référendaire et plus largement d’un retour à l’ordre constitutionnel tumultueux marqué par des contestations politiques et sociales.

La CEDEAO, l’UA et les Nations unies ainsi que les partenaires bilatéraux doivent avoir à l’esprit que les crises électorales constituent historiquement un facteur d’instabilité en Guinée et mener des efforts coordonnés dans la perspective des élections présidentielles et législatives. L’enjeu est de contribuer à rompre le cycle de conflits électoraux souvent marqué par la violence.

En tirant les leçons des scrutins précédents, ils doivent encourager le dialogue sincère entre les acteurs nationaux. L’objectif est de surmonter les désaccords et trouver un compromis pour une réouverture de l’espace démocratique et l’organisation de scrutins inclusifs, transparents et crédibles.

Cet effort doit être accompagné d’une intensification du soutien à la société civile active dans ses activités de sensibilisation et d’information ainsi qu’en matière d’alerte précoce et de missions d’observation citoyenne. Ceci est d’autant plus essentiel dans un contexte de fragilisation de l’espace civique, favorisant la désinformation pouvant accentuer les clivages et les risques de tensions socio-politiques.

Le retour à l'ordre constitutionnel exige une attention soutenue des parties prenantes

Le processus de retour à l’ordre constitutionnel est un moment charnière qui exige une attention soutenue de l’ensemble des parties prenantes.

Le coup d’État du 5 septembre a eu lieu dans le contexte d’une forte demande populaire contre les dérives passées. La réussite de la transition dépend moins de scrutins de fin de transition que de la mise en œuvre de réformes structurantes inclusives qui posent les bases d’une stabilité durable. À défaut, la Guinée risque de replonger dans le cycle des crises institutionnelles.

La récente vague de coups d’État en Afrique de l’Ouest montre que la persistance d’une gouvernance marquée par le clientélisme, la corruption et l'autoritarisme prépare le terrain à la prochaine rupture de l'ordre constitutionnel.

De ce fait, la CEDEAO et l’Union africaine doivent, par conséquent, identifier les mécanismes garantissant que les autorités élues à l’issue de la transition demeurent tenues de poursuivre et de mettre en œuvre les réformes structurantes engagées avant leur prise de fonction.

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