Tshisekedi doit faire le ménage dans son entourage

Cela pourrait combler le manque d'investissements internationaux en RDC, un pays aux potentiels immenses.

Cette semaine, le président Félix Tshisekedi s'est montré lyrique en parlant des opportunités que son pays, la République démocratique du Congo (RDC), offre aux investisseurs internationaux. Il était l'orateur principal du Financial Times (FT) Africa Summit consacré à l'investissement en Afrique.

Tshisekedi a vanté les attraits des énormes réserves de minéraux de la RDC, essentiels à la révolution industrielle verte, tels que le cobalt, le lithium, le cuivre et le chrome. Il en va de même pour l'énorme potentiel agricole du pays avec ses 80 millions d'hectares de terres arables, dont seulement 10 millions sont exploitées, et les immenses possibilités de création d'hydrogène vert qu’offre le fleuve Congo.

Le président de la RDC reconnaît que les investisseurs internationaux peuvent avoir des doutes sur le climat des affaires, notamment sur la solidité des institutions et l'insécurité dans l'est du pays. Cependant, il impute cette incertitude au « pouvoir prédateur » du Rwanda et à son soutien au groupe « terroriste » M23.Tshisekedi s'en est pris à la communauté internationale, en particulier aux médias pour leur « passivité complice » qui laisse persister l'impression d'un continent à problèmes.

Cela dit, la RDC est-elle vraiment si séduisante pour les investisseurs, et son président travaille-t-il à maintenir son attractivité ? Tout le monde sait que Tshisekedi n'a pas remporté l'élection présidentielle de 2018 et qu'un accord a été conclu avec le président sortant Joseph Kabila, permettant à ce dernier de conserver un pouvoir considérable tandis que Tshisekedi obtenait le poste suprême.

Les États-Unis semblent déterminés à neutraliser l'emprise de Gertler sur la RDC dans le but d'éliminer la corruption

Dans ces circonstances, les États-Unis et d'autres sont arrivés à la conclusion que le mieux qu'ils pouvaient faire était de favoriser le transfert du pouvoir de Kabila à Tshisekedi. Les États-Unis ont apporté leur aide en imposant des sanctions aux principaux alliés de Kabila encore présents au gouvernement.

Tshisekedi n’a reconnu le prétendu accord qu’en disant qu'il n'avait réussi à contrôler le Parlement que deux ans après son entrée en fonction, en formant sa coalition d'« union sacrée » qui a évincé celle de Kabila. Lors de l'événement organisé par le FT, Peter Pham, envoyé spécial des États-Unis dans la région des Grands Lacs lors de la prise de fonction de Tshisekedi, a observé que ce dernier semblait désormais confiant dans son pouvoir présidentiel et a jugé la transition réussie.

De nombreuses questions subsistent néanmoins quant au degré de cette réussite. Par exemple, pourquoi les investissements internationaux n'ont-ils pas afflué dans ce pays au potentiel si riche. Lorsqu'on lui a demandé de faire le point sur le projet hydroélectrique quasi-mythique de Grand Inga, Tshisekedi s'est étonnamment déclaré mystifié par les retards qui durent depuis des décennies. Il a parlé des investisseurs étrangers qui ont manifesté leur intérêt, notamment un consortium sino-espagnol, un ancien fonctionnaire de la Banque mondiale et, plus récemment, la société australienne Fortescue.

Encore une fois, Tshisekedi a tenté de blâmer les investisseurs internationaux et peut-être les gouvernements, en suggérant que le projet avancerait si les États-Unis et l'Europe étaient impliqués. Il a reconnu que cela signifiait que le retard était « politique » en déclarant : « Je pense qu'il y a des problèmes au niveau international parce que je vois que personne ne voulait qu'il (le patron de Fortescue, Andrew Forest) aille seul en RDC et fasse quelque chose ».

Gertler semble prêt à faire des efforts extraordinaires pour maintenir son influence sur Tshisekedi

Mais est-ce là le seul obstacle aux investissements dont la RDC a cruellement besoin, à Inga et ailleurs ? S'agit-il uniquement de politique internationale et de rivalités entre puissances étrangères, comme le président semble le laisser entendre ?

La saga persistante de Dan Gertler laisse supposer que quelque chose d'autre se prépare. Gertler est l'homme d'affaires israélien qui a « amassé sa fortune grâce à des centaines de dollars de transactions minières et pétrolières opaques et entachées de corruption » en RDC, comme l'a déclaré le Trésor américain lorsqu'il a gelé ses avoirs américains en 2017. Il aurait profité de son amitié avec Kabila pour acheter des actifs miniers à un prix inférieur à leur valeur marchande et les revendre avec des bénéfices considérables. On peut supposer que Kabila et ses amis ont profité largement de ces transactions.

Gertler a persuadé l'administration Trump de suspendre ces sanctions, mais l'administration Biden les a rétablies presque immédiatement. Les États-Unis semblent déterminés à neutraliser l'emprise de Gertler sur la RDC, première étape du nettoyage de la corruption massive qui a gangrené le pays, notamment sous Kabila.

Mais Gertler est un individu déterminé « qui fait tout ce qu'il peut pour lever les obstacles qui l'empêchent de poursuivre ses activités en RDC », a déclaré à ISS Today Stephanie Wolters, spécialiste de la RDC au South African Institute of International Affairs. Et ce, parce que, comme elle le fait remarquer, Gertler « n’a qu’une seule corde à son arc. La RDC représente l'ensemble de sa carrière de multimilliardaire ».

Comment peut #Tshisekedi espérer que des investisseurs honnêtes engagent leurs fonds dans un tel cloaque ?

En février, la RDC a annoncé qu'elle avait conclu un accord avec Gertler dans lequel il devait remettre à l'État des milliards de dollars d'actifs en échange du remboursement de ses dépenses et du soutien de Kinshasa pour la levée des sanctions américaines. Mais aucune des deux parties n'a publié l'intégralité de l'accord, ce qui laisse soupçonner en RDC que l'accord est meilleur pour Gertler que ce que le gouvernement de Tshisekedi ne veut bien l'admettre.

Et cette semaine, Africa Intelligence a révélé que Gertler semblait prêt à faire des efforts extraordinaires pour maintenir son influence dans l'administration Tshisekedi. Cela suggère fortement qu'il a toujours des ambitions commerciales litigieuses dans le pays.

L’article indique que Gertler a lancé des opérations d'infiltration contre des hauts fonctionnaires du cercle restreint de Tshisekedi qui agissaient contre ses intérêts. Africa Intelligence a déclaré que Gertler a utilisé des détectives privés qui se sont fait passer pour des investisseurs potentiels pour attirer le ministre des Hydrocarbures de Tshisekedi, Didier Budimbu Ntubuanga, et le conseiller du président, Vidiye Tshimanga, à des réunions à Bruxelles et à Londres respectivement. Tous deux auraient été enregistrés en train de recevoir des pots-de-vin et auraient été contraints de démissionner.

Wolters en conclut que les efforts de Gertler pour intimider les éventuels ennemis qui entoureraient Tshisekedi semblent avoir payé : « D’autres ministres qui ne sont pas de son côté se sentent de plus en plus menacés et renforcent leur propre sécurité ».

Quelle est la position de Tshisekedi à ce sujet ? Wolters note : « Il ne peut pas faire affaire avec Gertler à moins qu'il ne choisisse de tourner le dos ou de faire face à la colère des États-Unis ». Elle ajoute : «  [Tshisekedi] semble vouloir appuyer les efforts de Gertler visant à obtenir une levée des sanctions, mais c'est une question très délicate et Tshisekedi doit faire preuve de prudence car les États-Unis sont un soutien très important du gouvernement congolais ». Toute cette intrigue laisse planer des doutes sur les véritables intentions de Tshisekedi à l'égard de Gertler.

Plutôt que de faire des déclarations extravagantes sur les opportunités d'investissement en RDC et d'imputer le manque d'investissement à des préjugés sur l'Afrique, Tshisekedi devrait se débarrasser de manière ferme et transparente de personnes comme Gertler. Comment peut-il espérer que des investisseurs honnêtes engagent leurs fonds dans un tel cloaque ?

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : © Présidence de la RDC

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigeria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigeria qui souhaitent republier des articles et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Partenaires de développement
l’ISS exprime sa reconnaissance aux membres suivants du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié