Avis partagés sur « l’union sacrée » en RDC
Le partage du pouvoir n'a pas apporté la stabilité dans le passé, cette alliance sera-t-elle différente ?
Après avoir été déclaré vainqueur d’une élection contestée en décembre 2018, le président Félix Tshisekedi, à la tête du parti Cap pour le Changement (CACH), a scellé une alliance gouvernementale avec son puissant prédécesseur, Joseph Kabila et son Front commun pour le Congo (FCC).
Cet accord n’a toutefois pas joué en faveur du président. Au contraire, il a permis aux alliés de Kabila d’occuper les deux tiers des postes ministériels et de limiter la capacité de Tshisekedi à gouverner. Ce dernier a ainsi annoncé la dissolution de l’alliance le 6 décembre 2020.
En ouvrant la voie à un vote de défiance envers le Premier ministre et allié de Kabila, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 27 janvier, Tshisekedi a franchi une nouvelle étape dans sa stratégie visant à remodeler le soutien parlementaire en sa faveur et à réduire l’influence de Kabila.
Le président Tshisekedi peut désormais compter sur le soutien de poids lourds de l’opposition, tels que Möise Katumbi et Jean-Pierre Bemba, avec lesquels il entend construire une nouvelle « union sacrée » majoritaire. S’il y parvient, il aura une plus grande marge de manœuvre pour préparer les élections de 2023.
Malgré quelques batailles remportées par Tshisekedi, les objectifs et la composition de cette « union sacrée » restent flous. Cette entreprise ressemble de manière inquiétante aux accords de partage du pouvoir qui ont prévalu dans le passé, et dont les bilans en matière de démocratie, de stabilité et de bonne gouvernance se sont révélés médiocre.
Ces vingt dernières années, les compromis politiques ont paralysé la gouvernance et la sécurité en RDC
Quelques jours après le discours de Tshisekedi prononcé le 6 décembre, la destitution de la présidente de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda, suivie de celle du Premier ministre Ilunkamba, a démontré la détermination du président à rompre l’alliance.
Il a lourdement pesé sur toutes les initiatives ultérieures visant à consolider l’assise de son pouvoir. Tshisekedi a notamment nommé un cabinet provisoire, dirigé par Mboso N’kodia Mpwanga, chargé des affaires courantes, en attendant l’élection d’un nouveau président du Parlement. Mpwanga est vétéran du régime de Mobutu Sese Seko, ancien membre du FCC et doyen actuel du Parlement siégeant à l’Assemblée nationale.
Le président s’est assuré le soutien de plus de 200 des 367 députés favorables à Kabila, qui ont accepté ouvertement et par écrit d’appuyer son action. Mpwanga se verra probablement récompensé par le poste de président de l’Assemblée nationale.
Alors qu’il prend l’avantage, le rapport de force évolue rapidement en faveur de Tshisekedi. Lorsqu’il a nommé le sénateur Modeste Bahati Lukwebo comme « informateur » chargé d’identifier les membres d’une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale, le processus s’est vu officialisé. Lukwebo est un dissident du FCC et dirige l’Alliance démocratique du Congo et Alliés.
Il s’agissait là de la partie la plus délicate de son plan pour obtenir une nouvelle majorité au Parlement. La base juridique de cette entreprise repose sur une décision de la Cour constitutionnelle levant l’interdiction pour les députés de changer d’allégeance en cours de mandat.
Il est difficile de prédire ce que la nouvelle majorité parlementaire pourra accomplir au cours des dernières années du mandat de Tshisekedi
Lukwebo vient de rendre officielle la nouvelle majorité, composée de 391 parlementaires issus de différents partis politiques. Si les membres de cette nouvelle majorité forment une « union sacrée », ils n’ont ni vision, ni engagement communs, hormis l’objectif d’affaiblir la mainmise de Kabila ou de conserver leurs postes.
Plus important encore, on ne sait pas très bien ce que cette nouvelle majorité peut accomplir d’ici la fin du mandat de Tshisekedi et de graves divergences politiques se font jour entre Tshisekedi et certains de ses principaux alliés, dont Katumbi et Bemba.
Dès le départ, les partisans de Katumbi, ainsi que d’autres acteurs politiques, ont fait part de leurs inquiétudes quant à la présence écrasante de membres du FCC dans l’union sacrée. Ils craignent qu’il ne s’agisse d’une manœuvre stratégique visant à affaiblir Tshisekedi de l’intérieur.
En RDC, le personnel politique n’est pas étranger à l’opportunisme et au sabotage, et la présence de partisans de la ligne dure tels que Lambert Mende Omalanga, ancien ministre des Communications, et Ilunkamba, renforce ces soupçons. L’attribution des postes ministériels avant la nomination du nouveau cabinet serait également à l’origine de désaccords.
Ce paysage politique en pleine évolution pourrait amener la nouvelle majorité au Parlement, ainsi que le nouveau Premier ministre et son gouvernement, à soutenir des réformes législatives clés en amont des élections de 2023. On pourrait en outre s'attendre à ce qu’ils soutiennent l’action de Tshisekedi visant à sortir le pays de la crise politique et de l’insécurité chroniques.
Des voix s’élèvent quant à la présence écrasante de membres du FCC au sein de l’union sacrée
Cependant, Tshisekedi conserve par-devers lui l’une de ses cartes les plus redoutées ; la dissolution du Parlement et l’appel à des élections anticipées, prévus par l’article 148 de la Constitution. Toutefois, cette possibilité représente un risque à la fois politique et financier.
La répétition à l’envi de compromis politiques et d’accords de partage du pouvoir paralyse la gouvernance et la sécurité en RDC depuis vingt ans. Pour rompre ce cycle, il convient de mener plusieurs réformes urgentes, dont celle du droit électoral. Il s’agit d’un préalable essentiel qui permettra de placer les citoyens au centre de la démocratie et de légitimer le processus politique.
Un groupe de 13 personnalités (le G13) issues de divers partis politiques et organisations de la société civile propose des réformes qui comprennent la dépolitisation de la Commission électorale nationale indépendante, une élection présidentielle avec un éventuel second tour et de nouvelles lois sur le financement des processus électoraux.
Maintenant que Tshisekedi est susceptible de bénéficier d’un large soutien politique, il n’y a plus d'obstacles à l’adoption de ces réformes juridiques clés. Il reste néanmoins à voir si les réformes seront inclusives, transparentes, justes et complètes, ou si elles seront à nouveau taillées sur-mesure, de manière à répondre aux ambitions du président, provoquant ainsi une nouvelle crise.
Trois ans avant la fin du mandat de Tshisekedi, il est nécessaire de se concentrer sur la restauration de la légitimité populaire des processus politiques et sur le renforcement des institutions de gouvernance de la RDC. Cela est impératif, non seulement pour la paix et la stabilité en RDC, mais aussi dans toute la région des Grands Lacs.
David Zounmenou, chercheur principal consultant, ISS
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