La RDC met la démocratie au vestiaire

Les Congolais ont choisi le changement, mais les réponses africaines et internationales les en ont privés.

Martin Fayulu, chef de la coalition Lamuka et vainqueur de la récente élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC) – mais pas son nouveau président – a adressé une lettre aux dirigeants de l’Afrique réunis la semaine dernière à l’occasion du Sommet de l’Union africaine (UA).

Dans sa lettre, il évoque deux possibilités : mettre sur pied une commission spéciale de l’UA afin de vérifier « la vérité des urnes » en RDC ou bien organiser de nouvelles élections dans six mois. La lettre de Fayulu n’a eu aucun effet et l’idée de débattre de ses propositions au sommet n’a même pas été évoquée.

L’UA et les chefs d’État africains ont plutôt choisi d’accueillir à bras ouverts l’homme dont la victoire électorale contestée avait, quelques semaines auparavant, déclenché à l’UA une « réunion consultative de haut niveau ». Il en était ressorti une demande inédite de l’UA, enjoignant la RDC de suspendre la proclamation des résultats définitifs.

Dans sa lettre, Fayulu résume bien les enjeux de cette situation pour l’avenir de la RDC et, plus généralement, pour la démocratie en Afrique : « [Si l’UA n’agit pas] les Congolais n’auront plus foi dans les élections et ce sera un échec pour la démocratie qui aura des répercussions au-delà de la RDC ».

Quel sera le prix de la capitulation de l’UA, de la SADC et plus largement de la communauté internationale en RDC ?

Alors quel est le prix de la capitulation de l’UA, de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et, plus largement, de la communauté internationale en RDC ? Et pourquoi les réponses apportées face à la contestation de cette élection sont-elles différentes de celles données à d’autres élections controversées ?

Plus important encore, il y avait des preuves. Des preuves solides, objectives, rassemblées par une entité crédible selon laquelle les résultats annoncés par le Commission électorale nationale indépendante (CENI) étaient entachés de fraude. En effet, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) de l’Église catholique, un acteur fiable de la société civile, avait déployé 40 000 observateurs sur le terrain le jour du scrutin.

De par son ampleur, ce déploiement avait éclipsé la mission d’observation de l’UA, qui rassemblait 80 observateurs, et celle de la SADC, qui en comptait 93 – seules missions internationales accréditées par le gouvernement. Elles avaient pris fin peu après les élections du 30 décembre.

En plus de disposer d’observateurs dans plus de la moitié des bureaux de vote, la CENCO a procédé à un comptage parallèle sur la base des résultats qui ont été affichés à l’extérieur des bureaux de vote, ce que la loi électorale congolaise exige. Le résultat de ce processus, par extrapolation, a donné Fayulu vainqueur avec 62 % des voix, Félix Tshisekedi récoltant 19 % des suffrages et Ramazani Shadary, le candidat du parti au pouvoir, 18 %.

Ce qui fait la différence entre la récente contestation en RDC et les nombreuses autres élections contestées, comme au Gabon ou au Zimbabwe, c’est justement l’existence de telles informations. Dans les deux cas cités ci-dessus, il n’y avait pas de preuve de fraude recevable comme celle que la CENCO a pu apporter en RDC. À de nombreux égards, la CENCO a fixé un nouveau standard en matière de rigueur et d’objectivité.

La CENCO, un acteur fiable de la société civile, a fixé de nouveaux standards de rigueur en matière de surveillance électorale

En l’absence de ce type de preuve les organes continentaux et régionaux s’étaient détournés de la contestation des élections. Mais en RDC, la situation est inverse. La CENCO a publié ses conclusions, avec des chiffres ventilés par province, contrairement à la CENI qui n’a toujours pas étayé les résultats qu’elle a annoncés. Si l’UA et la SADC ignorent ces preuves, la conclusion est qu’elles manquent de la volonté politique nécessaire pour prendre des mesures. Les répercussions sur la démocratie dans tout le continent sont dévastatrices.

C’est d’autant plus le cas alors que la SADC et l’Afrique du Sud arguent qu’elles ne peuvent s’ingérer dans les affaires intérieures d’une nation souveraine. Ce n’est cependant un secret pour personne qu’en RDC – comme dans de nombreux pays africains, notamment dans certains États de la SADC – les institutions impliquées dans les élections sont fortement politisées et manquent d’indépendance pour livrer les véritables résultats des scrutins.

C’est là que la société civile intervient et c’est la raison pour laquelle une surveillance rigoureuse des élections est si nécessaire. Le rejet des conclusions de la CENCO signifie que, pour les questions importantes, la société civile est écartée par les organes continentaux et régionaux, et ce, même lorsque sa voix est aussi crédible que celle de l’Église catholique en RDC.

Les organes africains ne sont pas les seuls à avoir fait défaut aux citoyens de la RDC. Ces trois dernières années, la communauté internationale a joué un rôle clé. Son engagement a engendré des attentes légitimes car la société civile et l’opposition n’étaient pas seules dans la lutte pour des élections libres et équitables. Finalement, la plupart se sont détournés des Congolais au moment où ces derniers avaient le plus besoin de leur voix et de leur influence.

S’il lui avait été permis de prendre ses fonctions, Fayulu l’aurait fait en tant que candidat de tous les Congolais

Six semaines après les élections, personne ne prend plus la défense de Fayulu. Cela aurait sans doute été différent si des acteurs africains de premier plan – l’UA, la SADC et l’Afrique du Sud – avaient adopté une position ferme. Mais, ni les États-Unis ni l’Union européenne n’ont reçu le soutien des Africains lorsqu’ils ont imposé des sanctions à la RDC en raison des violations de droits humains.

L’argument fréquemment évoqué est celui du choix entre la stabilité et la guerre – une dramatisation des conséquences possibles si des pressions avaient été exercées pour laisser Fayulu prendre ses fonctions. Mais le peuple congolais a choisi le changement et non le statu quo, et la réponse régionale, continentale et internationale le prive de ce changement.

Ces trois dernières années, les Congolais ont prouvé leur endurance lorsqu’il s’est agi de défendre leurs droits constitutionnels. Le 30 décembre, l’électorat a démontré sa maturité en votant pour un homme politique relativement discret et en s’affranchissant des tendances électorales ethniques et géographiques qui caractérisent de nombreuses élections africaines.

Fayulu a obtenu de bons scores partout dans le pays, sûrement en partie grâce à la diversité géographique de sa coalition. S’il lui avait été permis de prendre ses fonctions, Fayulu – grâce à son importante victoire – l’aurait fait en tant que candidat de tous les Congolais.

Quelles possibilités s’offrent donc aux citoyens des pays africains lorsqu’une élite politique restreinte s’empare des institutions nationales ? Les récentes réponses de l’UA, de la SADC et de la communauté internationale semblent indiquer qu’elles sont extrêmement limitées.

Stephanie Wolters, Chargée de recherche principale, ISS Pretoria

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