Traité sur la haute mer : le rôle de l’Afrique dans la sauvegarde des océans

Si le continent signe et ratifie le traité sur la haute mer, il pourrait entrer dans l’histoire de la préservation des océans.

Le traité sur la haute mer, officiellement « traité sur la biodiversité marine des zones situées au-delà des juridictions nationales », doit être signé et ratifié d’ici le 20 septembre 2025. Il constitue le premier cadre juridique international contraignant visant à protéger la haute mer et les zones situées au-delà des juridictions nationales. Son objectif est de conserver et d’utiliser durablement la biodiversité marine dans cet espace qui couvre près des deux tiers des océans de la planète.

Cependant, l’Afrique est à la traîne dans l’effort mondial de sauvegarde des océans de la planète. Un engagement collectif plus important du continent est essentiel pour la réussite du traité.

Si le groupe de négociateurs africains a joué un rôle crucial dans l’élaboration du texte final, celui-ci doit encore être ratifié par les États africains. Depuis l’ouverture du traité aux signatures des États le 20 septembre, 12 pays africains seulement l’ont signé parmi les 84 pays signataires. Le soutien de l’Afrique est essentiel pour atteindre les 60 ratifications nécessaires à l’entrée en vigueur du traité. Avec 54 États membres, elle détient la majorité des votes aux Nations unies (ONU).

Le vote de l’Afrique à l’ONU est essentiel à la mise en vigueur du traité sur la haute mer

Les traités internationaux, même quand ils font l’objet d’un consensus mondial, demandent généralement des années pour prendre effet. Le traité sur la haute mer doit être mis en œuvre plus rapidement que la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), qui a pris 12 ans pour finalement entrer en vigueur en 1994.

Haute mer (en vert clair) et zones économiques exclusives (en blanc)

 High-Seas Ecosystems High seas (light green) and exclusive economic zones (white)

Source : Sumaila et al. En préparation/Global Ocean Commission/La haute mer et nous — Comprendre la valeur des écosystèmes de haute mer (cliquez sur la carte pour agrandir l’image).

L’enjeu est de taille pour l’Afrique, dont la vie marine diversifiée constitue une ressource vitale pour des millions de personnes, stimulant les économies et façonnant les identités culturelles. Les États-nations du système international ont le droit d’utiliser les eaux territoriales et les zones situées au-delà de leur juridiction nationale de façon durable, comme le prévoit la CNUDM. Cependant, ces droits doivent être exercés en respectant l’obligation de sauvegarder et de conserver les océans au profit des générations futures, en vertu du principe du « patrimoine commun de l’humanité ».

Le traité sur la haute mer peut contribuer à la mise en place d’économies bleues durables, en conciliant croissance économique et protection de l’environnement. Pour ce faire, il peut promouvoir une gestion responsable de la pêche, un partage équitable des ressources génétiques marines susceptibles de servir à la recherche scientifique, au développement de nouveaux produits pharmaceutiques et d’applications biotechnologiques, ainsi qu’à l’exploitation des sources d’énergie renouvelables en milieu océanique.

Plusieurs pays africains militent en faveur de pratiques durables à travers des stratégies nationales d’économie bleue. L’initiative de la Grande Muraille bleue et d’autres efforts communautaires devraient permettre aux communautés côtières de préserver leur patrimoine marin. Cette démarche s’inscrirait dans la vision de l’Agenda 2063 et orienterait l’Afrique vers un avenir durable et prospère. Des recherches récentes menées par le groupe d’experts de haut niveau pour une économie durable des océans (Ocean Panel) suggèrent qu’un dollar investi dans des « actions clés pour les océans » pourrait rapporter au moins 5 dollars de bénéfices mondiaux d’ici 2050.

Alors que l’accord offre des possibilités variées et prometteuses, l’Afrique doit relever le défi de l’appliquer de manière significative. Il est impératif d’accroître la sensibilisation et de fournir davantage de connaissances sur les avantages potentiels et l’importance du traité à divers niveaux de gouvernance.

Les traités mondiaux, même consensuels, prennent effet généralement après plusieurs années

Au niveau national, des campagnes de sensibilisation et des programmes de formation pourraient informer les fonctionnaires, les décideurs politiques et les parties prenantes des implications et des avantages du traité, traçant ainsi la voie à la ratification pour qu’il prenne effet rapidement.

Les États africains devraient également évaluer leurs politiques et législations nationales liées à la biodiversité marine et les aligner sur le traité de la haute mer. Il s’agirait de mettre à jour et de promulguer de nouvelles lois et réglementations afin de garantir la conformité avec les exigences de l’accord, en étroite consultation avec les groupes de réflexion politique, le milieu universitaire, les groupes de jeunes et surtout les communautés côtières et les groupes autochtones. Les pays africains pourraient allouer des ressources financières suffisantes à la réalisation du traité, notamment pour financer la recherche et les études scientifiques, les initiatives de renforcement des capacités et le développement des infrastructures.

Néanmoins,  un obstacle subsiste : l’Afrique ne dispose que de ressources financières et techniques limitées pour mettre en œuvre efficacement les dispositions du traité sur la haute mer. Les contraintes de ressources compliquent l’allocation de fonds et l’investissement dans les infrastructures et le renforcement des capacités nécessaires. Les déséquilibres de pouvoir dans les négociations internationales et les processus décisionnels peuvent également empêcher les pays africains de participer et d’influencer efficacement l’élaboration et la mise en œuvre du traité.

Les communautés économiques régionales peuvent en faciliter la ratification et l’application au niveau régional en fournissant une assistance technique, en partageant les meilleures pratiques et en coordonnant les efforts entre les États membres. Des efforts régionaux concertés sont nécessaires pour garantir l’adoption et l’exécution réussies de ces dispositions.

Le traité sur la haute mer allie croissance économique et préservation des ressources marines

Enfin, l’Union africaine (UA) pourrait adopter plusieurs mesures en s’appuyant sur les succès existants. Il s’agit pour la Commission de l’UA de continuer à convoquer le groupe africain de négociateurs pour des initiatives de renforcement des capacités et de sensibilisation, comme celle organisée pour marquer la 40e célébration de la contribution de l’Afrique à la CNUDM en fin 2022.

Ces réunions ont influencé le processus en améliorant la connaissance et l’adhésion des principaux intervenants, tels que les décideurs politiques et les fonctionnaires, aux dispositions du traité, à ses objectifs et à ses implications pour l’Afrique. Il est essentiel de lui donner la priorité dans les ordres du jour et d’encourager les États membres à s’impliquer activement dans les discussions connexes.

La Commission de l’UA peut également promouvoir des initiatives de renforcement des capacités, en s’appuyant sur les centres d’excellence de l’UA pour améliorer les capacités scientifiques et technologiques dans la recherche et la gestion de la biodiversité marine. Ces centres peuvent jouer un rôle essentiel dans le renforcement des capacités de connaissance du continent sur les composantes du traité de la haute mer.

Cette mise en œuvre à plusieurs niveaux sera difficile, bien que l’exemple de l’Accord de Paris, entré en vigueur en novembre 2016, 12 mois après son adoption, ravive l’espoir de voir le traité prendre effet d’ici 2025, ouvrant ainsi la voie à un avenir durable et prospère pour les océans du monde.

En cas de réussite, l’Afrique pourra combler le fossé entre la conception et la réalisation du mandat ambitieux du traité. Son engagement permettra de préserver les écosystèmes marins et d’apporter des avantages économiques et environnementaux substantiels aux générations futures.

Ilhan Dahir, chercheur principal, Risque climatique et Sécurité humaine, ISS, et David Willima, chargé de recherche, Sécurité maritime et Développement (programme pour l’Afrique australe), ISS

Image : © Giuseppe Milo/Flickr

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