Le manque de financement nuit aux efforts de protection des océans de l'Afrique

L'Afrique doit investir dans la « vie sous l'eau », l'objectif de développement durable qui peut générer des bénéfices économiques et climatiques.

Plus de 11 millions de tonnes de plastiques sont déversées chaque année dans les océans et 90 % de la population de poissons a été surexploitée. Poumons bleus de la planète, les océans sont en grande difficulté et risquent de subir des dommages irréversibles.

Pourtant, l'objectif de développement durable 14 (ODD) de l'Organisation des Nations unies (ONU),  qui vise à préserver et utiliser durablement les ressources des océans, reste le moins financé de tous les ODD. À mi-parcours de leur réalisation, seuls 3,5 % du financement total des ODD sont alloués à la « vie sous l'eau ».

Trouver une solution à ce déficit de financement est une question mondiale qui requiert une attention immédiate. Les nations africaines peuvent s’engager en investissant davantage de ressources dans la réalisation de l'ODD 14.

Plusieurs accords mondiaux soulignent l'importance des océans pour stimuler le développement et atténuer le changement climatique. On estime que les solutions climatiques liées aux océans pourraient contribuer à hauteur de 35 % à la réduction des émissions annuelles de gaz à effet de serre. La Décennie des Nations unies des sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) relie les résultats obtenus dans le domaine des océans à dix autres ODD.

À mi-parcours de la réalisation des ODD, la « vie sous l'eau » reste l'objectif le moins financé

Mais récolter ces bénéfices nécessite beaucoup plus de financement dans le monde et en Afrique. Le Forum économique mondial prévoit qu'un investissement annuel de 175 milliards de dollars US est nécessaire pour atteindre les objectifs au niveau mondial de l'ODD 14 d'ici à 2030.

En Afrique, les faibles niveaux de financement de la « vie sous l'eau » par les gouvernements, le secteur privé et les bailleurs de fonds indiquent que l'indifférence à l'égard de la mer prévaut encore. Pourtant, l'économie bleue de l'Afrique génère déjà 300 milliards de dollars US et soutient environ 50 millions d'emplois directs, dont 12 millions dans le seul secteur de la pêche. D'ici 2030, ces chiffres pourraient dépasser les 400 milliards de dollars et atteindre près de 60 millions d'emplois.

L'Afrique doit exploiter le potentiel de ses océans. Les 13 millions de kilomètres carrés de zones économiques exclusives maritimes du continent pourraient débloquer d'importants bénéfices en termes de développement. Ces paysages marins abritent des écosystèmes regorgeant de biodiversité qui constituent la base de l'économie bleue de l'Afrique et doivent être mieux protégés.

Le domaine maritime du continent est vital pour son développement et joue un rôle essentiel dans l'éradication de la pauvreté, l'amélioration de la sécurité alimentaire et l'action climatique. Investir dans la « vie sous l'eau » permettrait également de promouvoir des pêcheries durables et des sociétés inclusives.

Les solutions climatiques basées sur les océans réduiraient les émissions annuelles de gaz à effet de serre de 35 %

L'ODD 14 souligne l'importance d'une pêche durable, un secteur vital pour la sécurité alimentaire de 200 millions d'Africains. En empêchant la surexploitation des écosystèmes marins, les pays africains peuvent garantir l'avenir de leur industrie de la pêche et offrir aux communautés côtières une source de revenus fiable. Dans des pays comme la Namibie, par exemple, une gestion intelligente des ressources a permis la prospérité des pêcheries, la croissance économique et l'équité sociale.

Cependant, la coordination des parties prenantes est un défi majeur pour la réalisation de l'ODD 14 en Afrique. Une mise en œuvre efficace nécessite une collaboration entre les gouvernements, la société civile et le secteur privé, mais les initiatives de gouvernance des océans sont souvent fragmentées et inefficaces.

Pour améliorer la collaboration, l'Union africaine (UA) devrait créer un groupe consultatif sur la gouvernance des océans en Afrique afin de guider la Commission de l'UA, les communautés économiques régionales et les États membres. Ce groupe pourrait élaborer des propositions de loi et des initiatives politiques, et promouvoir les partenariats public-privé et des mécanismes de financement innovants tels que les « obligations bleues » lancées par les Seychelles en 2018.

Bien qu’il progresse peu dans d'autres ODD, le Gabon est un leader mondial dans le domaine du climat grâce à son plan de transition de dépendance au pétrole vers un Gabon vert, qui canalise les investissements publics et privés vers des modèles économiques durables. Le Gabon est également le pays africain à avoir dernièrement obtenu des obligations bleues par le biais d'un échange de dette souveraine contre nature en août 2023. S'il est géré correctement, cet accord constituera une étape importante dans la conservation des océans, avec des avantages en cascade pour les écosystèmes marins et les populations locales.

L'UA devrait créer un groupe consultatif africain sur la gouvernance des océans

Toutefois, l'utilisation durable du domaine maritime africain nécessite une gouvernance et une planification coordonnées. Les pays doivent d'abord appliquer localement la stratégie de l'UA pour l'économie bleue en Afrique, qui repose sur cinq piliers pour le développement de l'économie bleue. Ces piliers permettront au continent de réaliser les cinq avancées océaniques de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques d'ici à 2030, à savoir la conservation marine, le transport maritime, les énergies renouvelables océaniques, l'alimentation aquatique et le tourisme côtier.

Rebecca Hubbard, directrice de l'Alliance de la haute mer, a déclaré à ISS Today que si le financement de l'ODD 14 est limité, le défi à relever est tout autant celui d'une meilleure gouvernance. Il s’agit « de s'assurer que l'argent investi se multiplie en offrant des avantages environnementaux et des récompenses sociales qui, en fin de compte, peuvent même rapporter plus d'argent, par opposition à des subventions nuisibles qui diminuent ces autres avantages. »

L'Afrique a déposé le plus faible nombre d'instruments d’acceptation nécessaires pour atteindre le seuil des deux tiers pour la mise en œuvre de l'accord de l'Organisation mondiale du commerce (164 membres) visant à mettre fin aux subventions nocives pour la pêche. Pourtant, elle subit d'importantes pertes financières dues à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, principalement pratiquée dans ses eaux par des navires étrangers subventionnés qui se livrent à la pêche au long cours.

Pour exploiter le potentiel de croissance de l'économie bleue de l'Afrique, l'UA et les blocs régionaux devraient encourager les États membres à allouer une partie de leurs budgets nationaux de financement du climat à des initiatives liées aux océans.

L'UA devrait également plaider en faveur d'une augmentation du financement international du climat pour les projets liés aux océans en s'engageant avec des fonds climatiques tels que le Fonds vert pour le climat. Cela permettrait d'aligner les projets d'économie bleue au niveau national ou régional sur les cadres mondiaux de gouvernance des océans.

David Willima, chargé de recherche, secteur maritime, ISS Pretoria

Image : © Daniel Lamborn / Alamy Stock Photo

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