Le traité sur la haute mer a besoin du soutien de l’Afrique

L’Afrique fait déjà preuve d’innovation et de leadership sur la conservation des océans ; il faut maintenant faire pression pour une ratification rapide.

À l’issue de près de vingt ans de négociations, les Nations unies sont enfin parvenues à un consensus sur la protection de la biodiversité marine en haute mer. En effet, le 3 mars, Rena Lee, la présidente de la Conférence intergouvernementale sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, s’est exprimée en ces termes : « Le navire est arrivé à bon port ».

La haute mer, ou « zones ne relevant pas de la juridiction nationale », est l’ensemble des eaux internationales situées au-delà de la zone économique exclusive de 200 milles nautiques (322 km) d’un pays (voir carte) sur laquelle celui-ci jouit d’une juridiction exclusive. Cependant, la gestion de la haute mer est devenue au fil des ans un sujet de préoccupation croissante, car, en l’absence de réglementation, des activités humaines et leurs impacts y persistent tels que la pêche illégale et la pollution aux produits chimiques.

Haute mer (vert clair) et zones économiques exclusives (blanc)

 High-Seas Ecosystems High seas (light green) and exclusive economic zones (white)

Source : Sumaila et al. En préparation/Global Ocean Commission/La haute mer et nous – Comprendre la valeur des écosystèmes de haute mer
(cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)

La haute mer représente 60 % des océans du monde et couvre près de la moitié de la surface de la terre. Cependant, seul 1 % environ de ces eaux bénéficie d’une protection juridique. Cette partie de l’océan est considérée comme vierge en raison de son éloignement. Mais les scientifiques spécialistes de la conservation affirment que seulement 13 % de ces eaux sont des « zones marines sauvages », exemptes de tout impact humain. Cette situation est due à des facteurs de stress humains tels que le transport maritime mondial et la surpêche, qui menacent la biodiversité.

Les effets des activités humaines sur la santé des océans sont aggravés par le changement climatique. L’océan est à la fois un acteur majeur du cycle climatique et un milieu fortement touché par le réchauffement de la planète provoqué par les émissions de gaz à effet de serre. Il constitue un puits de carbone efficace, mais l’augmentation des gaz à effet de serre altère la capacité des océans à stopper la montée des températures à l’échelle mondiale.

Seule 13 % de la haute mer est classée en « zones marines sauvages », soit sans impact humain

La mer absorbe également près de 90 % de la chaleur contenue dans l’atmosphère. La hausse de la température de la mer qui en résulte favorise l’apparition de tempêtes plus fréquentes et plus dévastatrices, comme en Afrique australe. L’acidification concomitante des océans risque de compromettre les ressources marines, vivantes ou minérales. L’élévation du niveau de la mer est préoccupante pour les communautés côtières et pour les États insulaires.

Compte tenu de l’impact des activités humaines, de la rareté des ressources marines, des risques météorologiques plus élevés et de l’augmentation de la criminalité maritime, un environnement de la haute mer fondé sur des règles, tel que l’annonce le nouvel accord, est prometteur.

Le traité sur la haute mer témoigne d’un changement de mentalité par rapport au concept de mare liberum (liberté des mers), qui a longtemps caractérisé le droit international. La notion de « mers libres » laissait penser que tout un chacun pouvait en disposer et qu’on pouvait les exploiter en dehors de toute réglementation. Or, le nouveau traité montre que les pays reconnaissent désormais la nécessité de coopérer pour protéger le « patrimoine commun de l’humanité », pour reprendre les termes de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

L’avocat Thembile Joyini, conseiller juridique au ministère des Relations internationales et de la Coopération de l’Afrique du Sud et membre du Groupe africain de négociateurs du traité sur la haute mer, a déclaré à ISS Today : « L’Afrique du Sud et le Groupe africain étaient d’avis, dès le premier jour, que le patrimoine commun de l’humanité devait figurer dans le nouvel instrument, et c’est ce qui s’est produit. Nous nous félicitons donc de l’inclusion du patrimoine commun de l’humanité en tant que principe directeur pour l’interprétation et l’application du [traité] ».

Premier bloc régional, l’Afrique est cheffe de file en matière de gouvernance des océans

Les délégués de 160 pays se sont mis d’accord sur un cadre qui comprend la création d’un réseau de zones marines protégées en haute mer et la mise en place d’évaluations d’impact pour garantir l’utilisation responsable des ressources marines. Le traité prévoit également des mécanismes pour un partage équitable des ressources. S’il est mis en œuvre, il jouera un rôle essentiel dans la réalisation du Cadre mondial pour la biodiversité récemment adopté à Kunming-Montréal, qui s’engage à protéger 30 % des habitats terrestres et marins d’ici à 2030.

À une époque où les dirigeants du monde entier semblent divisés sur de nombreux sujets, l’accord sur le traité de la haute mer est un rare succès du multilatéralisme. Il donne l’occasion à la coopération entre les pays de jouer un rôle crucial dans la gouvernance des océans.

L’Afrique est touchée de manière disproportionnée par les activités maritimes illicites liées à la criminalité environnementale, à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée et à d’autres problèmes qui sévissent en haute mer. Les pays du continent doivent jouer un rôle de premier plan pour garantir l’entrée en vigueur de l’accord sur le traité de la haute mer.

Avec 54 États africains représentés aux Nations unies, le continent est le premier bloc régional au monde, et, à ce titre, pèse dans les votes. En outre, l’Afrique a hérité d’une forte position de leader en matière de gouvernance des océans. Le concept de zone économique exclusive est le fruit des contributions des juristes kenyans Frank Xavier Njenga et Andronico Adede. Ce concept confère aux États côtiers des droits souverains sur leurs eaux et leurs fonds marins à l’intérieur de leur zone, afin de garantir un accès équitable et un partage des ressources entre tous les États.

Il faut agir vite, car 60 ratifications sont requises pour que le traité entre en vigueur

Les pays africains nouvellement indépendants avaient joué un rôle essentiel dans les négociations sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer entre 1973 et 1982 en parrainant une résolution visant à créer un comité permanent chargé d’étudier l’utilisation équitable des ressources océaniques en haute mer. Vingt-six pays africains, représentant 48 % du total des voix, avaient ratifié la Convention dès 1992, démontrant le principe selon lequel l’union fait la force.

Célébrer l’arrivée du navire à bon port est certes important, mais il semble que le navire n’ait pas encore accosté. Il faut donc agir de toute urgence. En effet, il faudra 60 ratifications pour que l’accord entre en vigueur, et plus on attendra, plus grand sera le risque de dégradation irréversible de la biodiversité marine.

L’Union africaine (UA) a un rôle essentiel à jouer dans la recherche d’un consensus entre les pays africains sur la ratification de l’accord. Le Groupe de négociateurs africains du traité sur la haute mer est rompu à ce genre de tractations. Joyini a déclaré : « Le groupe africain a négocié en tant que groupe, et l’unité au sein du groupe était étonnante ».

L’UA doit tirer parti de cette dynamique en encourageant les États membres à signer et à ratifier le traité. Ce plaidoyer devrait s’accompagner d’appels continus à ratifier les cadres de gouvernance maritime de l’Afrique, notamment la Charte africaine révisée du transport maritime et la Charte africaine sur la sûreté et la sécurité maritimes et le développement en Afrique (ou Charte de Lomé).

La lenteur de l’engagement en faveur de ces deux chartes est préoccupante, mais la ratification rapide de l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine et la force du groupe africain laissent entrevoir de bonnes perspectives.

L’Afrique fait déjà preuve d’innovation et de leadership en matière de conservation des océans. Des initiatives menées par l’Afrique, telles que la Grande muraille bleue, peuvent créer des paysages marins interconnectés et protégés grâce à la coopération internationale et à la protection de 30 % des océans d’ici à 2030, tout en responsabilisant les communautés locales grâce à une gouvernance équitable, inclusive et participative.

Timothy Walker, chef de projet et chercheur principal, Projet maritime, Dhesigen Naidoo, chercheur principal associé, Changement climatique, et David Willima, chargé de recherche, Projet maritime, ISS

Image : © Alamy Stock Photo

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