Sauvons nos océans grâce à la Grande muraille bleue d’Afrique
Ce plan innovant peut stimuler les investissements dans l’économie bleue et restaurer la santé de notre milieu marin.
Si le secteur de la marine marchande était un pays, il serait le sixième plus grand émetteur de dioxyde de carbone au monde. Ainsi l’a constaté Zoe Schlanger, journaliste spécialisée dans l’environnement chez Quartz, dans un article rédigé en 2018. Ce secteur joue donc un rôle important dans la crise climatique mondiale.
La marine marchande est responsable de 1 % à 15 % des émissions mondiales de soufre et d’oxyde d’azote, qui détruisent les récifs coralliens et la couche d’ozone et aggravent les effets dévastateurs du changement climatique.
C’est pour cette raison que des initiatives comme celle de la Grande muraille bleue sont d’une grande importance. Il s’agit de l’une des nombreuses mesures encourageantes prises lors de la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP 26) qui s’est tenue à Glasgow en 2021. Bien qu’elle ne soit pas très médiatisée, cette stratégie est porteuse d’un potentiel et d’une importance considérables.
La Grande muraille bleue est une initiative africaine dont l’objectif est l’adaptation aux effets du changement climatique et leur atténuation. Elle encourage les investissements dans l’économie bleue au moyen d’instruments financiers innovants, tels que les obligations bleues, qui visent à restaurer la santé des océans, à préserver la biodiversité marine et à encourager les pratiques économiques durables.
Le secteur de la marine marchande joue un rôle important dans la crise climatique mondiale
Lancée par les Seychelles et bénéficiant du soutien de son ancien président, James Michel, la Grande muraille bleue est de plus en plus saluée sur la scène internationale. L’influente Union internationale pour la conservation de la nature a approuvé cette initiative, qui a largement été commentée lors de la 7e conférence Our Ocean, organisée à Palau en avril. Elle devrait également occuper une place de choix dans le programme de la conférence des Nations unies sur les questions relatives aux océans qui se tiendra à Lisbonne du 27 juin au 1er juillet.
Environ 8 % (tout au plus) de l’océan Indien fait actuellement l’objet de la protection juridique qui lui est nécessaire. La concrétisation d’une Grande muraille bleue favorise la réalisation de l’objectif mondial de protection de 30 % des océans de la planète d’ici à 2030. Elle renforcera également les mesures de lutte contre le changement climatique et la réalisation des objectifs de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030.
Si un tel projet aboutit, il devrait permettre d’ouvrir et de maintenir des millions d’opportunités d’emploi pour les jeunes en Afrique, dont le nombre ne cesse de croître. L’Union internationale pour la conservation de la nature estime que la Grande muraille bleue pourrait profiter à plus de 70 millions de personnes dans la région de l’océan Indien occidental, voire davantage si d’autres pays y adhèrent.
L’initiative est ouverte à tous les pays et dix États ont déjà donné leur accord de principe pour renforcer la coopération entre les zones de conservation de la région de l’océan Indien. Il s’agit de l’Afrique du Sud, des Comores, du Kenya, de Madagascar, de Maurice, du Mozambique, des Seychelles, de la Somalie et de la Tanzanie. La France a également apporté son concours, car l’île de la Réunion, l’un de ses territoires d’outre-mer, se trouve dans cette région. Ces engagements doivent maintenant être traduits en mesures concrètes.
La Grande muraille bleue devrait créer des millions d’emplois pour les jeunes en Afrique
La Grande muraille bleue témoigne de l’influence de l’Afrique et de l’innovation dont elle fait preuve en matière de protection des océans. Elle constitue un point de référence notable que tous les pays du continent doivent prendre en considération lorsqu’ils planifient et financent leur économie bleue.
L’Union africaine doit endosser son rôle de chef de file et encourager les États membres à y adhérer. Pour ce faire, elle peut se servir des instruments de gouvernance maritime africaine tels que la Charte de Lomé de 2016 et la Stratégie de l’économie bleue de l’Afrique de 2019. Ces documents soulignent déjà les avantages économiques des économies bleues en tant que vecteurs de développement durable, et leur vision correspond largement à celle de la Grande muraille bleue.
Pour aboutir, le projet de la Grande muraille bleue doit cependant bénéficier d’une participation qui dépasse l’Afrique et ne pas rester seulement au niveau des gouvernements. Comme l’initiative cible pour l’instant l’océan Indien, l’Association des États riverains de l’océan Indien devrait se rallier à la Grande muraille bleue, ainsi qu’un plus grand nombre de ses États membres.
C’est également l’occasion pour les partenaires de première importance de l’océan Indien, tels que l’Australie, l’Inde, les Émirats arabes unis et Singapour, d’accorder leur soutien aux initiatives africaines. Ensemble, ils peuvent générer des résultats mutuellement bénéfiques en renforçant la santé et la richesse des océans.
Pour aboutir, le projet de la Grande muraille bleue doit bénéficier d’une participation dépassant Afrique
L’Association des États riverains de l’océan Indien peut également être mise à contribution à des fins de diplomatie climatique. Cela permettrait aux pays africains tels que l’Afrique du Sud d’obtenir le soutien de partenaires de l’Association comme le Japon, les États-Unis et l’Allemagne.
La réussite de la Grande muraille bleue dépendra également de l’adoption de mesures concrètes pour lutter contre le changement climatique, telles que la décarbonation du secteur de la marine marchande. Une étude récente a tiré la sonnette d’alarme sur la nécessité de protéger les récifs coralliens de l’océan Indien. Ceux-ci jouent un rôle capital dans le stockage du carbone, qui est un processus essentiel dans la lutte contre le changement climatique.
Les dernières prévisions de Nature Sustainability indiquent que, sans ces mesures, les récifs coralliens de l’océan Indien risquent de disparaître d’ici 2050 en raison de l’augmentation des pressions exercées par le changement climatique, la surpêche et la pollution. Dans les années 1970, il y a quelques décennies à peine, ces mêmes récifs resplendissaient de santé.
Afin d’empêcher les activités humaines destructrices d’étouffer nos océans et de provoquer des catastrophes climatiques, il est nécessaire que les États prennent immédiatement des mesures et que le secteur public collabore étroitement avec le secteur privé. À cet égard, l’Organisation maritime internationale, l’organe des Nations unies chargé d’élaborer et de faire respecter les réglementations en matière de marine marchande, a un rôle déterminant à jouer. Elle doit relayer les appels à l’accélération de la décarbonation de la marine marchande d’ici à 2030, et préparer la voie à des navires et à des carburants neutres en carbone au moyen de plans d’action nationaux prévoyant des sanctions en cas de non-respect.
La Grande muraille bleue est une initiative très prometteuse, mais elle n’est pas une panacée. L’initiative portera des fruits uniquement si elle s’inscrit dans le cadre d’une solution globale définie dans les politiques intérieures et étrangères de tous les pays. La réussite de sa mise en œuvre permettrait aux communautés africaines et aux gouvernements du continent de s’approprier la conservation des océans et les économies bleues durables. Jusqu’à présent, cette approche fait cruellement défaut.
David Willima, spécialiste de la recherche maritime, ISS Pretoria
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Image : © Darwin Initiative/Flickr
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