Sécurité au Sahel : une multitude de stratégies mais peu de progrès

Malgré des approches de plus en plus holistiques, les réponses aux conflits et à la violence demeurent axées sur la lutte contre le terrorisme.

La crise sécuritaire qui ravage le Sahel depuis neuf ans a provoqué des dizaines de milliers de décès, le déplacement forcé de millions de personnes et des pénuries alimentaires sans précédent. En un an, de janvier 2020 à janvier 2021, cette crise a fait près de 6 500 victimes au Burkina Faso, au Mali et au Niger.

La violence et l’insécurité qui la caractérisent ont engendré une grave crise humanitaire. A la date d’octobre 2020, 13,4 millions de personnes avaient besoin d’une assistance immédiate, soit 20 % de la population totale du Sahel.

La situation est particulièrement alarmante dans la région du Liptako-Gourma, où se rejoignent les frontières poreuses du Mali, du Niger et du Burkina. Les attaques menées par des groupes extrémistes violents et d’autres acteurs armés viennent s’ajouter aux activités illicites, aux conflits locaux et à la violence communautaire pour affaiblir davantage une région qui souffre depuis longtemps d’une gouvernance défectueuse.

Région du Liptako-Gourma

Région du Liptako-Gourma

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Malgré les efforts consentis par les États et leurs partenaires internationaux pour juguler la menace que représentent les groupes armés et terroristes, les attaques visant les forces de sécurité et les civils se poursuivent. Récemment, au moins 100 civils ont été tués dans l’attaque de deux villages de la région de Tillabéry au Niger. En 2019, des atrocités de masse visant des civils ont eu lieu au Mali et au Burkina voisins, mais c’est la première fois que le Niger connaît un massacre de civils de cette ampleur depuis le début de la crise.

Les États ont consenti des efforts importants pour répondre à la crise et traiter ses répercussions, notamment à travers des initiatives de coordination, tant au niveau bilatéral que dans le cadre de la Force conjointe du G5 Sahel. L’opération antiterroriste française Barkhane couvre l’ensemble de la région, et le Mali reçoit également le soutien de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali et de la Mission de formation de l'Union européenne (EUTM Mali). L’UE a en outre déployé une mission visant à renforcer les capacités des forces de sécurité intérieure du Mali et du Niger (EUCAP Sahel).

Le Mali, le Burkina et le Niger ont essayé de mettre en œuvre des approches de sécurité plus globales

Ces efforts n’ont toutefois pas permis d’assurer la sécurité des populations locales. Une étude menée récemment par l’Institut d’études de sécurité (ISS) examine certaines des stratégies utilisées par les États dans le Liptako-Gourma et tire les leçons de ces expériences.

Elle constate que le recours aux réponses militaires, prédominant dans les stratégies mises en place par les Etats, néglige généralement les liens entre sécurité, gouvernance et développement. Ces trois dimensions doivent être abordées dans le cadre d’une approche globale et selon un séquençage approprié.

La nécessité de se doter de telles stratégies holistiques n’a rien de nouveau. Le Mali et le Burkina ont tous deux essayé de mettre en œuvre cette recommandation bien connue, en élaborant des programmes dédiés tels que le Plan de sécurisation intégrée de sécurité du Mali pour les régions du centre et le Plan d’urgence pour le Sahel au Burkina.

Si ces plans illustrent la volonté des États de juguler l’insécurité, les recherches de l’ISS ont démontré qu’ils avaient été conçus dans l’urgence et ne reposaient pas sur une analyse suffisamment approfondie du contexte. En cela, ils reflétaient une compréhension limitée de la nature et de la dynamique des phénomènes qui alimentent l’insécurité. Par conséquent, les problèmes n’étaient pas tous pris en compte et, dans certains cas, la situation s’est détériorée. Par exemple, le fait d’aborder l’insécurité dans le centre du Mali principalement sous l’angle de la lutte contre le terrorisme a conduit à une aggravation des conflits locaux.

Le pouvoir judiciaire doit réagir rapidement aux graves violations des droits humains, telles que les massacres de civils

Au Burkina, la deuxième itération du Plan d’urgence pour le Sahel proposait un modèle amélioré, après qu’une révision du programme en 2018 a révélé la nécessité d’une plus grande adaptabilité aux contextes locaux. Cela prouve que les États sont disposés à apprendre et à améliorer leurs approches, une évolution positive qui doit s’étendre aux responsables de la mise en œuvre des programmes.

Contrairement au Mali et au Burkina, qui ont dû élaborer rapidement des programmes ad hoc dans un contexte d’insécurité croissante, le Niger s’est appuyé sur des institutions existantes, telles que la Haute autorité à la consolidation de la paix, pour mener une réflexion stratégique sur l’insécurité. Le pays a ainsi pu bénéficier d’infrastructures et de capacités institutionnelles, témoignant de l’intérêt que présente un investissement national à long terme dans la consolidation de la paix.

D’autres institutions, telles que le Centre national d’études stratégiques et de sécurité du Niger, ont également contribué à l’analyse de la situation sécuritaire. Toutefois, ces initiatives sont restées largement étatiques et auraient pu bénéficier d’une participation plus significative de la société civile et de l’expérience de première main des communautés locales, y compris des femmes et des jeunes.

D’autres conclusions de l’étude soulignent la nécessité pour le système judiciaire de réagir rapidement aux graves violations des droits humains, tels que les massacres de civils commis dans les villages du Liptako-Gourma depuis 2019. Cela est essentiel pour mettre fin au cycle de violence et de représailles intercommunautaires qui se nourrit de sentiments d’injustice, de stigmatisation et d’abandon par l’État.

2021 est une année de transferts de pouvoir au Sahel; c’est le moment de repenser les stratégies de sécurité

Le besoin de justice s’applique également aux allégations de violations des droits humains par les forces de défense et de sécurité. Qu’il s’agisse d’une perception ou d’un fait établi, l’absence de redevabilité des forces armées pour les abus commis mine leurs relations avec les civils. Elle renforce également la perception populaire de l’État comme acteur prédateur, faisant écho à la propagande des groupes extrémistes violents.

Les gouvernements doivent faire de la lutte contre l’impunité une priorité et une composante essentielle d’un engagement plus ferme à protéger les civils et à faire respecter l’état de droit. Plus important encore, la protection des civils doit devenir une priorité stratégique qui sous-tend l’action de toutes les forces de défense et de sécurité nationales et internationales sur le terrain.

L’efficacité de leur travail ne doit plus être évaluée exclusivement en fonction du nombre de « terroristes neutralisés » ou de « bataillons/contingents formés », mais aussi du nombre de civils sauvés et de villages secourus à temps.

Ce changement nécessitera de passer d’un mode de fonctionnement essentiellement réactif à un mode de fonctionnement qui investit davantage dans l’anticipation et la prévention. La prévention doit être à la fois opérationnelle (en évitant les tragédies immédiates ou imminentes) et structurelle (en s’attaquant aux causes profondes de la violence). Ces facteurs de causalité comprennent les frustrations liées à des questions telles que la gestion des terres, l’accès aux ressources naturelles et l’inclusion dans les processus décisionnels locaux.

L’année 2021 verra plusieurs transferts de pouvoir et transitions politiques au Sahel. Les élections de novembre 2020 au Burkina ont renouvelé le gouvernement et l’Assemblée nationale. Le second tour des élections au Niger le 21 février 2021 doit mener un nouveau président au pouvoir. Le Mali quant à lui poursuivra tout au long de 2021 sa transition politique amorcée suite au coup d’État d’août 2020.

C’est l’occasion pour les nouveaux dirigeants de repenser les stratégies de leurs pays en matière d’insécurité dans la région du Liptako-Gourma et au-delà. Cela implique de tirer les leçons des expériences récentes.

Nadia Adam, chargée de recherche, et Ornella Moderan, cheffe du Programme Sahel, ISS Bamako

Cet article a été publié avec le soutien du Fonds britannique pour les conflits, la stabilité et la sécurité et du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas. Il s’appuie sur des recherches financées par la Division sécurité humaine du Département fédéral des affaires étrangères de la Suisse, et soutenues par le projet ENACT financé par l’Union européenne et mis en œuvre par l’ISS et INTERPOL, en partenariat avec l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée.

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