Au Burkina, un scrutin sur fond de crise humanitaire

Le pays traverse une crise humanitaire sans précédent, mais la campagne électorale l’a peu abordée.

À la veille de la clôture, ce 20 novembre, de la campagne pour le premier tour des élections présidentielles et législatives de 2020 au Burkina, les discours des candidats restent largement concentrés sur les défis sécuritaires. Bien que cette préoccupation soit légitime, elle ne reflète pas les multiples dimensions sécuritaire, humanitaire mais aussi de développement de la crise que traverse le pays.

La campagne était pourtant l'occasion pour les partis et candidats en lice d’expliquer clairement comment ils comptent faire face à la complexité de la crise qui touche des millions de personnes dans le pays. Mais la plupart ont manqué le coche.

Que la crise humanitaire soit largement restée dans l’angle mort des discours de campagne ne présage rien de bon pour les changements de stratégies qui seront nécessaires au lendemain du scrutin. Cela illustre plutôt la vision morcelée qui a mené les autorités à privilégier des réponses militarisées ces dernières années, une approche parcellaire qui a montré ses limites.

Le Burkina se trouve au cœur d'une région du Sahel qui est frappée par l'une des crises humanitaires à la croissance la plus rapide au monde, mais les candidats semblent l'ignorer. Quelque 13,4 millions de personnes, soit plus de 20 % de la population de la région, ont actuellement besoin d'une assistance et d'une protection vitales. Des chiffres sans précédent. Parmi elles, 7,4 millions sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, trois fois plus qu'il y a un an.

Depuis 2018, le nombre de personnes déplacées dans la région est passé de 70 000 à 1,6 million. Cette augmentation de plus de plus de 2000 % est largement due à la crise humanitaire au Burkina, qui représente à lui seul près des deux tiers des personnes déplacées au Sahel.

La région du Sahel est frappée par l'une des crises humanitaires à la croissance la plus rapide au monde

L'inaptitude des autorités électorales à réellement adapter le processus et les opérations électorales à la crise de déplacement qui touche une part non négligeable des électeurs constitue également un signe révélateur de la difficulté qu’éprouve l’ensemble des acteurs à aborder la situation de manière globale.

Cette situation continue à se détériorer sous l’effet de la violence et de l'insécurité, que viennent aggraver les conséquences socio-économiques de la pandémie de COVID-19. Les mesures prises pour lutter contre la pandémie, telles que les restrictions à la mobilité des personnes et la fermeture des frontières, ont considérablement ralenti l'activité économique, avec un impact désastreux sur les plus vulnérables.

Selon le Programme alimentaire mondial, l'insécurité alimentaire dans le pays a augmenté de plus de 50 % entre mars et août, 3,3 millions de Burkinabé se retrouvant dans une situation préoccupante d’insécurité alimentaire aiguë.

Des données suggèrent une corrélation entre la violence contre les civils, l'insécurité alimentaire et les déplacements forcés, les régions du nord du pays, le long de la frontière malienne, étant les plus touchées. L'exclusion électorale vient désormais s’ajouter à la liste.

La région burkinabè du Sahel, qui est la plus sévèrement touchée par ces trois phénomènes, abrite à elle seule 55 % des villages où les opérations électorales ne pourront pas se tenir, en raison de l'insécurité et de « circonstances exceptionnelles », selon le terme consacré par la révision de la loi électorale en août dernier.

Les autorités électorales reconnaissent les défis que représente l'organisation d'un processus électoral inclusif dans ce contexte. Pour autant, elles n'ont pas été en mesure de prendre les dispositions pour faciliter le vote des plus d'un million de personnes déplacées internes que compte le Burkina.

Des élections qui délaissent de nombreux citoyens, risquent d'aggraver une situation déjà fragile

Certes, les déplacés sont officiellement autorisés à voter là où ils se trouvent, mais la plupart d'entre eux ont perdu tous leurs documents d'état civil en fuyant pour sauver leur vie, ce qui les exclut de fait du processus électoral.

Les rares qui sont parvenus à conserver leurs documents officiels pourront peut-être participer au scrutin depuis leur lieu de déplacement. Mais il reste à voir s’ils auront envie de  participer à un scrutin qui clôt une campagne qui a fait si peu de cas de leur sort. Dans l’hypothèse où le vote des déplacés devait renverser les résultats des législatives dans certaines circonscriptions, l’impact que cela pourrait avoir sur les dynamiques locales de conflit reste également incertain.

Diverses formes de marginalisation ont longtemps alimenté les tensions et conflits, et le sentiment d'exclusion est régulièrement exploité par les groupes armés pour exacerber les cycles de violence. Dans ce contexte, un processus électoral qui laisse un grand nombre de citoyens sur le bord du chemin risque d'aggraver une situation déjà fragile.

Indépendamment de leur coloration politique, les prochains élus du Burkina auront la lourde tâche de concevoir des stratégies nationales mieux intégrées pour atténuer les crises. Il en va de même pour le Niger, où des élections locales, législatives et présidentielles sont prévues en décembre, et pour le Mali, où la mise en place du Conseil national de transition devient urgente pour compléter les autorités de transition.

Tirant les leçons de l'expérience récente, la prochaine Assemblée nationale du Burkina devra reconsidérer la sur-sécurisation du budget national, qui reflète la prédominance accordée aux réponses militaires. Les dépenses importantes de défense et de sécurité consenties par la législature sortante en vue d’un retour à la paix et à la sécurité n’ont pas porté les fruits escomptés.

Les acteurs humanitaires doivent exiger de la nouvelle administration qu'elle respecte les promesses de l’administration sortante

Au lieu de cela, ces choix budgétaires ont pesé sur la capacité d’investissement dans les services sociaux de base tels que la santé, l'éducation et l’accès à l’eau, à un moment où la pandémie de COVID-19 a accentué ces besoins. Quant à la violence contre les civils, elle est loin d’avoir cessé.

Un changement de cap est nécessaire à l’issue du scrutin du 22 novembre. Mais pour cela, la conversation doit commencer dès maintenant. Il convient notamment que les groupements citoyens et organisations de la société civile dénoncent les projets de société et discours de campagne qui n'abordent pas de manière cohérente les dimensions humanitaire, sécuritaire et de développement de la crise.

Dans le contexte de systèmes de gouvernance où prévaut un déficit de redevabilité, l’influence des citoyens sur les décideurs après leur élection peut s’avérer limitée. Par conséquent, il n’y a pas de meilleur moment que maintenant, pour exiger des engagements de campagne clairs et convenir de mécanismes inclusifs pour le suivi de leur mise en œuvre.

Pour leur part, les acteurs humanitaires devront tenir le prochain gouvernement comptable des promesses de ses prédécesseurs, notamment celles faites lors de la table ronde ministérielle du 20 octobre sur le Sahel central, et de la réunion des hauts représentants qui l’a précédée, le 8 septembre.

Cela inclut des engagements financiers, mais aussi politiques, sur des questions essentielles telles que la préservation de l'accès et des principes humanitaires, les efforts visant à renforcer les services de base, et le respect de la convention de Kampala en tant qu'instrument juridique majeur pour protéger les personnes déplacées internes et promouvoir leurs droits à des solutions durables.

Les élections sont l’occasion de rappeler aux candidats que la réponse au volet humanitaire de la crise ne peut plus être traitée comme une question purement technique ; elle doit faire l’objet d’un engagement et d’une prise en charge politiques par les dirigeants nationaux.

Ornella Moderan, cheffe de Programme, Sahel, ISS Bamako

Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni, de la Fondation Hanns Seidel et du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

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