S’unir dans une approche holistique face aux menaces de la piraterie somalienne
Élue au Conseil de sécurité de l’ONU, la Somalie peut désormais influer sur les politiques internationales en matière de sécurité maritime.
Publié le 07 novembre 2024 dans
ISS Today
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Des signes d’une résurgence possible de la piraterie en Somalie sont apparus en 2024, le plus récent étant l’opération ATALANTA, menée par la force navale de l’Union européenne, qui a signalé la présence d’un groupe de pirates présumés au large des côtes somaliennes. Le 23 octobre, le Centre de sécurité maritime pour la Corne de l’Afrique a lancé une alerte aux navires, signalant que 13 pirates armés avaient quitté Ceel Huur et Hobyo, deux plaques tournantes historiques de la piraterie sur la côte somalienne.
Les prédictions d’une résurgence ont régulièrement refait surface au cours des années 2010, généralement sur fond d’événements suspects. Bien qu’un retour global aux niveaux observés entre 2008 et 2012 (graphique 1) reste improbable, le nombre croissant d’attaques réussies soulève des inquiétudes quant à l’efficacité des mesures classiques de lutte contre ce fléau.
Contrairement aux années précédentes, où les incidents étaient plus sporadiques, l’activité de piraterie s’est intensifiée régulièrement depuis la fin de l’année 2023, avec plusieurs tentatives d’attaques et deux détournements confirmés de navires marchands. Le MV Ruen et le MV Abdullah ont été les premiers navires capturés avec succès par des pirates depuis 2017 (graphique 2).
La dernière activité pirate signalée dans la région avant la récente alerte a eu lieu le 7 juin – une approche suspecte sur le cargo Pacific Honor.
Plusieurs facteurs expliquent la recrudescence des attaques. Les faits donnent à penser que les groupes de pirates ont à nouveau développé des capacités opérationnelles sophistiquées. Par ailleurs, les vents de mousson ont baissé. La mer agitée et les vents violents de la mousson du sud-ouest, de juin à septembre, rendent difficiles les opérations des petits bateaux. Comme la saison s’estompe jusqu’en mars de l’année prochaine, la piraterie pourrait refaire surface.
Cette recrudescence est également liée aux attaques des Houthis en mer Rouge, qui repoussent les routes maritimes vers le sud. La situation a fait grimper l’activité des navires au large des côtes somaliennes, créant des occasions pour les pirates d’exploiter les vulnérabilités maritimes.
Les navires s’écartant des routes établies, les forces de sécurité maritime ont été mises à rude épreuve par le redéploiement en mer Rouge de forces navales telles que celles du Royaume-Uni et des États-Unis. Cette situation a créé des failles que les pirates peuvent exploiter.
Cette évolution met également en évidence le rôle croissant de nouveaux partenaires, tels que l’Inde et la Turquie, dont l’implication récente souligne l’évolution vers des réactions internationales diversifiées à l’égard de la piraterie dans l’océan Indien.
L’implication de l’Inde et de la Turquie montre une évolution vers des réponses diversifiées à la piraterie
L’Inde a joué un rôle actif, en particulier depuis la résurgence de la piraterie somalienne. La présence de sa marine ajoute une couche de dissuasion et une solide capacité de réaction. L’Inde a joué un rôle crucial dans le sauvetage de navires détournés, comme le MV Ruen, à la suite d’une longue prise d’otages au début de 2024.
Les opérations navales de l’Inde s’inscrivent dans le cadre de son action globale visant à sauvegarder ses routes commerciales maritimes et à garantir la stabilité régionale dans l’océan Indien, deux objectifs cruciaux pour ses intérêts économiques et sécuritaires. Les efforts déployés par l’Inde pour lutter contre la piraterie complètent les opérations internationales, notamment l’opération ATALANTA, en renforçant les patrouilles alors que les pirates prennent de plus en plus pour cible les navires empruntant des routes maritimes cruciales.
De 2008 à 2012, le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) a publié des résolutions annuelles autorisant les forces navales internationales à lutter contre la piraterie dans les eaux somaliennes. Ces résolutions autorisaient notamment les marines étrangères à opérer dans les eaux territoriales de la Somalie. Ces résolutions ont établi le cadre juridique permettant de poursuivre et d’arrêter les pirates dans le cadre des opérations telles que l’opération ATALANTA et l’opération Ocean Shield de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
En 2022, la piraterie somalienne avait considérablement diminué, ce qui a incité le Conseil de sécurité des Nations unies à reconnaître le transfert de responsabilité de la sécurité maritime à la Somalie et à ses pays voisins. La Somalie s’est opposée à l’extension des résolutions, les considérant comme une atteinte à sa souveraineté et estimant qu’elle avait acquis une capacité suffisante pour sécuriser ses propres eaux territoriales.
Malgré l’action internationale contre la piraterie, les griefs locaux incitent plusieurs à cette activité
Mais les attaques actuelles en haute mer pourraient donner lieu à de nouvelles discussions sur la meilleure façon de soutenir la Somalie et la région en l’absence de mandats du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le siège que le pays occupera au CSNU de 2025 à 2026 devrait lui permettre d’influencer directement la politique internationale en matière de sécurité maritime. La Somalie devrait utiliser sa position au sein du Conseil pour plaider en faveur d’une sécurité et d’un développement maritimes durables, composantes essentielles de la lutte contre la piraterie. Elle devrait inviter les parties prenantes de tous bords à participer à une stratégie globale qui profiterait à la fois aux communautés somaliennes et aux intérêts mondiaux en matière de transport maritime.
Mais elle pourrait aussi être soumise à des pressions accrues pour lutter davantage contre la piraterie, renforcer les capacités de ses garde-côtes et établir des partenariats régionaux qui dissuadent les pirates et s’attaquent aux causes profondes de la piraterie.
Si la Somalie plaide en faveur d’une collaboration internationale renouvelée à travers des conseils et un renforcement des capacités sans rétablir les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, l’attention se portera probablement sur la Turquie en 2025. Cela s’explique par le renforcement du partenariat entre la Turquie et la Somalie qui est officialisé par un protocole d’accord exigeant un renforcement substantiel des capacités de la Turquie en tant qu’acteur majeur de la sécurité maritime.
La Somalie pourrait influencer les politiques maritimes en mettant l’accent sur des solutions durables
Grâce à un nouvel accord économique et de sécurité maritime, la Turquie aura une influence accrue sur des aspects cruciaux du secteur maritime somalien. Il s’agira notamment d’une part de 30% des revenus tirés des activités de la zone économique exclusive de la Somalie, en échange d’un soutien à la transition de la Somalie par la formation, les opérations conjointes, le partage d’informations et les acquisitions navales.
La résurgence de la piraterie somalienne est alimentée par les problèmes socio-économiques persistants dans tout le pays. Malgré les efforts déployés à l’international pour endiguer la piraterie, les griefs locaux ne cessent de s’accumuler, notamment en ce qui concerne la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, pratiquée par des navires étrangers et les impacts environnementaux liés à ces activités.
De nombreux pêcheurs somaliens doivent faire face à l’épuisement de leurs stocks et à la réduction de leurs moyens de subsistance, ce qui suscite en eux un intérêt accru pour la piraterie comme source alternative de revenus, et la conviction profonde que les pirates luttent contre la pêche illégale.
Pour lutter durablement contre la piraterie, il faudrait adopter une approche multidimensionnelle qui va au-delà des patrouilles militaires et met l’accent sur le développement économique, la création d’emplois et la gestion durable de la pêche dans les eaux somaliennes. Cette réalité devrait pousser à une réflexion sérieuse sur le succès des initiatives mandatées par le Conseil de sécurité des Nations unies qui, depuis 2008, visent à atteindre ces objectifs de développement.
Les rôles croissants de l’Inde et de la Turquie dans la région montrent qu’il est de plus en plus admis qu’une solution à long terme doit intégrer les voix régionales et investir dans le renforcement des capacités locales. Les initiatives de collaboration visant à renforcer les capacités des garde-côtes somaliens et à faire respecter les lois locales sur la pêche, associées à des projets de développement durable, pourraient s’avérer plus efficaces que les patrouilles militaires pour lutter contre la piraterie.
Le rôle imminent de la Somalie au sein du Conseil de sécurité des Nations unies est l’occasion de plaider en faveur de ces approches. Le pays pourrait influencer la politique maritime internationale pour qu’elle mette l’accent sur le renforcement des capacités et les solutions durables plutôt que de s’en remettre uniquement à l’intervention militaire étrangère.
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