L’Afrique doit s’opposer à l’exploitation minière des fonds marins
L’exploitation minière unilatérale des fonds marins, comme l’envisage l’administration Trump, pourrait avoir de graves répercussions sur l’Afrique.
Publié le 04 juillet 2025 dans
ISS Today
Par
David Willima
chargé de recherche, sécurité maritime, ISS Pretoria
Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis se ruent vers les minerais essentiels situés en Ukraine, au Groenland, en République démocratique du Congo (RDC), et maintenant dans les fonds marins.
Un récent décret de la Maison Blanche vise à faire des États-Unis un « chef de file mondial de l’exploration et de l’exploitation des ressources minérales des fonds marins ».
L’exploitation minière des fonds marins (DSM) causerait des dommages irréversibles aux écosystèmes des océans. Elle consiste à extraire des minéraux essentiels comme le cobalt, le cuivre, le manganèse, le nickel et les éléments de terres rares du fond des océans par dragage, systèmes hydrauliques et forage sous-marin.
Ces projets diffèrent des priorités économiques et environnementales à long terme de l’Afrique. Alors que le débat mondial conduit par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) des Nations unies s’intensifie, la gouvernance des océans est redéfinie. Les pays africains doivent s’engager collectivement sous peine d’être écartés.
Les avantages économiques à court terme pour les exploitants miniers sont évidents, mais les parties prenantes s’inquiètent de la viabilité financière à long terme et de l’impact environnemental. Cette situation a retardé la finalisation du code minier de l’AIFM relatif aux activités de la DSM, en préparation depuis 2014.
Lors de la réunion du Conseil de l’AIFM en mars, la Sierra Leone, au nom du groupe africain, s’est dite préoccupée par le lancement de la DSM avant l’achèvement du code, notamment concernant les impacts sur les économies minières terrestres et le renforcement du fonds d’assistance économique. Il faut également fixer des seuils environnementaux et mettre en place des mécanismes de conformité efficaces, des mesures de transparence et de lutte contre la corruption, ainsi qu’un modèle financier équitable pour le partage des bénéfices.
Le décret de Trump pourrait saper des décennies d’efforts multilatéraux de protection des océans
Le projet d’exploration hors des eaux américaines va à l’encontre du principe du « patrimoine commun de l’humanité » énoncé dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). Ce principe exige une gouvernance mondiale des ressources des fonds marins.
Certes, les États-Unis ne sont ni membres de l’AIFM ni parties à la CNUDM, mais ils ont toujours respecté le traité comme relevant du droit international coutumier, même si le décret de Trump vise l’exploitation unilatérale des fonds marins mondiaux.
Le projet a été annoncé un mois après que l’entreprise canadienne The Metals Company (TMC) a dit vouloir contourner l’AIFM en demandant des licences d’exploitation minière. En avril, TMC USA a déposé une demande de licence conformément à la loi américaine de 1980 sur les ressources minérales dures des fonds marins, pour exploiter la zone Clarion-Clipperton de l’océan Pacifique.
Le décret de Trump pourrait compromettre des décennies d’efforts multilatéraux de protection des océans. La secrétaire générale de l’AIFM, Leticia Carvalho affirme : « Toute action unilatérale menace non seulement ce traité (CNUDM) et des décennies de mise en œuvre et de coopération internationale, mais crée également un dangereux précédent qui pourrait déstabiliser le système de gouvernance mondiale des océans ».
La Chine — qui a des intérêts dans la DSM —, la France et la Commission européenne ont également critiqué le décret en raison de son apparente violation du droit international. Avant même sa publication, 33 pays développés et en développement ont appelé à une pause de précaution en attendant que des certitudes scientifiques garantissent que la DSM est sans danger.
La DSM pourrait nuire aux économies africaines, surtout aux pays exportateurs de minerais terrestres
Lors de la Conférence des Nations unies sur les océans (UNOC3), organisée en juin en France, l’opposition mondiale à la DSM s’est renforcée, 37 pays soutenant un moratoire. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a déclaré que les fonds marins ne devraient pas devenir un « Far West ».
Malgré cette contestation mondiale, les pays africains sont peu virulents. « Ils devraient plaider pour une prise de décision corroborée par la science et combler le manque de connaissances environnementales afin de protéger les ressources marines partagées », déclare le Dr Kirsty McQuaid, chercheuse à l’Institut de recherche côtière et marine de l’université Nelson Mandela et coordinatrice du Réseau africain de chercheurs en eaux profondes.
Il est essentiel de pallier à ce défaut de connaissances. Une étude récente dans la zone de Clarion-Clipperton a révélé que 44 ans après les expériences de la DSM en 1979, il subsiste des traces d’équipement minier, des panaches de sédiments et des modifications de la topographie du plancher océanique. La biodiversité a également été affectée, notamment les espèces à croissance lente et les espèces endémiques. Les scientifiques continuent de tirer la sonnette d’alarme sur les dommages irréversibles causés aux écosystèmes marins.
La DSM pourrait nuire aux économies africaines, surtout aux pays exportateurs de minéraux terrestres. En remplaçant les minéraux terrestres, les minéraux des fonds marins pourraient réduire la valeur des exportations du cobalt, du nickel et du manganèse, sources importantes de revenus en Afrique. La RDC, l’Érythrée, le Gabon, Madagascar, la Mauritanie, la Namibie, la Zambie et le Zimbabwe sont particulièrement vulnérables. Ces métaux produisent plus de la moitié des recettes d’exportation et une part substantielle du produit intérieur brut de la Zambie et de la RDC. L’Afrique du Sud, le Ghana et la Côte d’Ivoire, producteurs de manganèse, pourraient également en pâtir.
La Dr Ifesinachi Okafor-Yarwood, experte en gouvernance des océans et en sécurité maritime, a déclaré à ISS Today que le décret américain « pourrait augmenter la concurrence pour l’exploitation des fonds marins et la dégradation des océans ». Cela compromettrait l’équité sociale et la conservation écologique, « fait préoccupant étant donné le rôle vital des pêcheries marines dans les moyens de subsistance de millions d’Africains. L’Afrique doit adopter une position claire sur la DSM ».
Le professeur Edwin Egede, expert en droit international de la mer et membre de la commission juridique et technique de l’AIFM, partage cet avis. Toute appropriation unilatérale des grands fonds marins contrevient à la CNUDM et au droit international coutumier.
L’Afrique pourrait solliciter une pause dans la DSM avant l’assemblée générale de l’AIFM
L’Afrique doit défendre son patrimoine, protéger le patrimoine commun de l’humanité, et s’assurer que la coopération internationale et l’équité inspirent les décisions pour l’avenir commun de l’humanité.
Deux options s’offrent aux États africains. Premièrement, ils pourraient demander à la Cour internationale de justice et au Tribunal international du droit de la mer de clarifier les obligations des États conformément au principe du « patrimoine commun de l’humanité ». En 2011, le Tribunal a affirmé que les États qui parrainent un projet doivent respecter les normes environnementales et la diligence raisonnable de la CNUDM, une décision qui dissuade l’octroi de licences unilatérales.
Deuxièmement, avant l’assemblée générale de l’AIFM en mi-juillet, les pays africains pourraient solliciter une pause de la DSM afin de garantir la protection de l’environnement et de combler les lacunes réglementaires.
La dynamique impulsée au traité sur la haute mer lors de l’UNOC3, avec 50 ratifications sur les 60 requises, est menacée par l’essor des activités unilatérales de gestion durable des océans.
L’Afrique détient un rôle essentiel dans la gestion des océans au niveau mondial et dans la préservation de l’avenir commun de l’humanité. En préconisant des garanties environnementales rigoureuses et un partage équitable des bénéfices dans les discussions politiques de l’AIFM, les pays africains peuvent empêcher la DSM de compromettre la vitalité des océans et les droits des générations futures.
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