Quels enjeux pour l’Afrique dans l’accord sur les subventions à la pêche ?
Malgré les pertes financières dues à la pêche illégale, seul un tiers des pays africains a signé cet accord historique de l’OMC.
Publié le 27 juin 2025 dans
ISS Today
Par
Denys Reva
chercheur, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
David Willima
chargé de recherche, sécurité maritime, ISS Pretoria
L’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les subventions à la pêche devrait être adopté cette année, le Ghana étant le dernier pays africain à l’avoir signé. Il faudra néanmoins neuf ratifications supplémentaires pour atteindre les 111 signatures requises. Cet accord historique entrera en vigueur durant la « super année » pour la gouvernance des océans.
Pourtant, seul un tiers des États africains l’ont ratifié, ce qui soulève la question des réelles retombées du bien-fondé de l’accord.
Le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture révèle que les pêcheries africaines sont parmi les plus touchées par la surpêche et la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. La pêche durable est quasi-inexistante en Afrique.
Le continent est donc confronté à trois problèmes qui compromettent la durabilité des ressources marines : les subventions aux flottes étrangères, l’inadéquation de la gouvernance des océans et le changement climatique. Les stocks de petits pélagiques en Afrique de l’Ouest se sont effondrés, les pêcheries de récifs coralliens d’Afrique de l’Est sont en deçà des rendements durables, et les moyens de subsistance des populations côtières sont menacés.
L’on estime que l’exploitation illégale fait perdre au moins 11,2 milliards de dollars US chaque année à L’Afrique. Dans ce contexte, l’accord sur la pêche constitue une étape majeure dans la lutte contre la pêche illégale et les subventions qui alimentent la surpêche.
Cent deux pays dans le monde ont officiellement ratifié l’accord. Plusieurs autres, dont le Ghana, ont achevé leur processus national de ratification, mais ne figureront dans le décompte officiel qu’après la finalisation de la procédure.
L’accord cible trois domaines qui contribuent à l’épuisement des ressources marines, avec deux phases de mise en œuvre. Premièrement, il interdit les financements touchant des stocks surexploités, afin de renforcer la conservation et de sensibiliser au dysfonctionnement de la surveillance réglementaire.
Deuxièmement, il interdit les subventions à la pêche en haute mer située hors de la compétence des organismes régionaux de pêche, là où l’application des réglementations est souvent défaillante et où les stocks de poissons migrateurs sont vulnérables. Enfin, il défend les subventions aux navires impliqués dans la pêche illégale.
Ces mesures répondent aux préoccupations de longue date concernant les subventions qui favorisent la surpêche et la pêche illégale, surtout dans la pêche hauturière.
Bien que les avantages pour l’Afrique soient évidents, seuls 20 pays africains ont officiellement ratifié l’accord, signe d’une certaine réticence. Les pays de l’Afrique de l’Ouest ont appuyé cette initiative, encouragés par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Pays africains ayant accepté l’accord de l’OMC sur les subventions à la pêche
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En Afrique de l’Est et australe, seuls quatre États côtiers ont ratifié l’accord (les Comores, Maurice, les Seychelles et l’Afrique du Sud), probablement en raison du manque de capacités techniques, car l’accord est un instrument commercial et non un traité conventionnel sur la pêche ou l’environnement. Pour connaitre les tenants et les aboutissants de l’accord, une coordination entre les organismes nationaux responsables de la pêche, de l’environnement, du commerce et des affaires étrangères s’avère nécessaire.
L’accord devrait néanmoins entrer en vigueur avant la fin de l’année et il faut que l’Afrique soit être prête à l’exécuter.
La mise en œuvre nécessitera des ressources y compris financières. Tous les membres de l’OMC doivent créer un inventaire national des subventions qui documente la nature et l’objectif des subventions à la pêche ainsi que les bénéficiaires. Cette démarche demandera une coordination inter-agences, un engagement politique et de nouveaux systèmes de rapports numériques, qui pourraient induire des coûts supplémentaires.
En même temps, les pays deviendront une cible pour les flottes illégales si les politiques n’appliquent pas l’accord, car sa portée dépend de la capacité des États à le faire respecter.
En effet, l’interdiction n’est pas déclenchée automatiquement, mais seulement lorsqu’une partie s’estime victime de transgression. Il peut s’agir de l’État qui a subi l’infraction, de celui dont le pavillon est utilisé par le navire contrevenant ou d’une organisation régionale de gestion des pêches (ORGP/A).
L’accord est un instrument commercial, non un traité conventionnel sur la pêche ou l’environnement
Toutefois, les ORGP ne sont pas suffisamment équipées contre la pêche illégale et leur intervention dépend de l’engagement des États membres. Et les États du pavillon, notamment ceux qui fournissent des pavillons de complaisance, sont rarement disposés à appliquer des règles défavorables. De fait, pour un accord réussi, les pays devront recueillir les preuves des activités illégales.
L’initiative est utile mais contraignante pour les pays africains. Pour optimiser les avantages de l’accord, ils devraient privilégier trois actions.
Premièrement, ils doivent exploiter l’outil d’auto-évaluation de l’OMC pour harmoniser les politiques nationales avec les exigences de l’accord. L’identification des lacunes législatives, réglementaires et institutionnelles peut nécessiter une assistance technique pour le renforcement des capacités.
Deuxièmement, les États devraient renforcer la coordination entre les ministères de la pêche, du commerce et des finances afin de garantir une application cohérente des politiques et un rapport transparent sur les subventions et les mesures de conservation, comme le prévoit l’accord.
Enfin, les pays africains devraient exploiter le mécanisme de financement de la pêche de l’OMC, lequel propose des ressources pour améliorer la gestion de la pêche, renforcer la conformité et aider les petits pêcheurs à adopter des pratiques durables. Cette aide est accessible aux États membres dès la ratification de l’accord.
L’utilisation réussie de l’accord dépendra de la capacité des pays à détecter les activités illégales
Toutefois, l’accord n’est pas une panacée. Il appuie les pays dans leur lutte contre la pêche illégale et non durable, mais son efficacité dépendra des actions des États côtiers et des États du pavillon africains.
Les codes de conduite de Djibouti et de Yaoundé, ainsi que leurs stratégies régionales de sécurité maritime sont des outils incontournables. L’Union africaine (UA) et son Agence de développement pourraient apporter un soutien technique et sensibiliser les États membres.
L’absence d’un mécanisme solide d’application des règles de l’OMC contraint les pays africains à renforcer de manière simultanée leur sécurité maritime et à exécuter des accords internationaux tels que l’accord sur les mesures du ressort de l’État du port.
Le renforcement de la surveillance, des inspections portuaires et une collaboration régionale sont essentiels pour intercepter les captures illégales et dissuader les contrevenants. Sans ces mesures complémentaires, les risques pour la sécurité alimentaire, la stabilité économique et la sécurité régionale de l’Afrique persisteront.
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