Remous dans l’océan Indien occidental : des problèmes qui dépassent la seule question de la piraterie

Une approche plus globale en matière de sécurité maritime serait la bienvenue, mais les intérêts de l’industrie navale et des États côtiers peuvent-ils converger ?

Depuis bientôt deux décennies, la sécurité maritime dans l’océan Indien occidental est associée à la lutte contre les pirates au large des côtes somaliennes. Face à la diminution des actes de piraterie et la montée d’autres formes de criminalité maritime ces initiatives doivent êtres revues. La pêche illégale, la contrebande et le trafic de personnes et de marchandises illicites, comme les narcotiques, sont tous en hausse.

Les conflits dans la région comportent également une forte dimension maritime. Ils touchent le littoral du Yémen, le détroit d’Ormuz entre le golfe Persique et le golfe d’Oman et le canal du Mozambique, les rendant peu sûrs pour les marins, pour les États qui utilisent les voies de navigation situées à proximité ainsi que pour l’extraction des ressources maritimes.

Très tôt, les initiatives pour renforcer les forces de l’ordre et les marines régionales ont reconnu la nécessité de se pencher sur d’autres problèmes que celui de la piraterie. Parmi ces initiatives figurent le Code de conduite de Djibouti et le Forum régional de l’océan Indien sur la criminalité maritime organisé par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.

En comparaison, la réponse de l’outil politique central de coordination des efforts locaux et internationaux de lutte contre la piraterie — le Groupe de contact sur la piraterie au large des côtes somaliennes (CGPCS) — s’est fait attendre. Le CGPCS a été créé en 2009 sous les auspices des Nations unies afin de faciliter et de coordonner la lutte contre la piraterie menée par les organisations et les États confrontés à la piraterie somalienne ou touchés par celle-ci.

Il est peu probable que les futures sessions plénières abordent les questions qui préoccupent le plus le secteur du transport maritime

En 2016, la piraterie était en déclin et peu susceptible d’atteindre à nouveau les niveaux de décembre 2008. Toutefois, le CGPCS a eu du mal à décider si sa mission devait s’achever et s’il devait être dissous, ou s’il pouvait être transformé de façon à s’attaquer à d’autres problèmes de sécurité maritimes comme ceux observés lors des patrouilles de lutte contre la piraterie.

Six ans plus tard, des conclusions ont enfin été tirées. En janvier, le groupe a décidé d’adopter une vision élargie et de se rebaptiser le Groupe de contact sur les activités maritimes illicites dans l’océan Indien occidental. Ce nom est le résultat typique d’un compromis diplomatique offrant diverses interprétations sur la meilleure façon de traiter la criminalité maritime qui nuit à l’environnement maritime. La nécessité d’une coordination étroite avec d’autres initiatives et institutions a également été soulignée — un défi soulevé dans plusieurs rapports soumis à la plénière du CGPCS.

Qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Deux scénarios paraissent envisageables.

Le CGPCS a toujours été un forum tourné vers le consensus, ce qui pourrait être remis en question car il est peu probable que les futures plénières abordent les questions qui préoccupent le plus le secteur du transport maritime. Parmi elles figurent notamment les répercussions du conflit au Yémen et des récentes activités de la zone grise du détroit d’Ormuz.

Si le secteur des transports maritimes se désengageait, cela pourrait nuire à la crédibilité du Groupe de contact en matière de sécurité maritime

Les États côtiers considèrent probablement que la contrebande liée à la drogue et la pêche illégale dans l’océan Indien occidental sont les deux problèmes principaux auxquels le Groupe pourrait s’attaquer. Or ces questions ne sont pas prioritaires aux yeux de l’industrie du transport maritime, ce qui pourrait devenir problématique. Si l’industrie se désengageait de cette initiative, cela pourrait nuire à la crédibilité du Groupe de contact en tant qu’institution viable en matière de renforcement de la sécurité maritime.

Plusieurs organisations — telles que les Forces maritimes combinées et la Force navale de l’Union européenne au large de la Somalie — s’occupent déjà du trafic de drogue et de la pêche illicite et devraient être conviées à ces réunions. Le CGPCS est le ciment qui a permis à la plupart de ces initiatives multilatérales de collaborer à des objectifs communs.

Dans le cas de la pêche illégale, le Groupe devrait entreprendre des actions pour remédier aux problèmes environnementaux ou économiques qui engendrent de l’insécurité maritime. La pêche est un domaine de gouvernance à part entière, complexe, fragmenté et très technique. Elle est coordonnée, entre autres, par la Commission des thons de l’océan Indien, l’Organisation maritime internationale et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture.

La question de savoir comment élargir le Groupe de contact recentré afin qu’il soit aussi complet que possible sans devenir ingérable reste donc ouverte. Il est certain qu’il sera nécessaire de travailler de concert pour bénéficier d’un large soutien et d’une légitimité reconnue.

La façon dont le Groupe de contact recentré peut être élargi sans devenir ingérable est ouverte au débat

Le second scénario est bien plus ambitieux. La région dispose de nombreux forums techniques dédiés à ces enjeux en particulier tels que notamment les groupes de travail sur la sécurité maritime de l’Association des États riverains de l’océan Indien, du symposium naval de l’océan Indien, du Code de conduite de Djibouti et du Forum régional de l’océan Indien sur la criminalité maritime. Mais les interventions sont souvent fragmentées et gagneraient à être considérées sous un angle plus global. Il convient d’examiner les recoupements et d’accorder une attention diplomatique et politique à ces questions.

Plutôt que de se concentrer sur des activités maritimes illicites particulières, le Groupe pourrait s’engager dans un dialogue diplomatique ouvert afin d’améliorer la compréhension globale des problèmes de sécurité de la région. Il pourrait également contribuer à préparer des propositions à soumettre à la délibération d’autres organes tels que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et le Conseil de sécurité de l’ONU.

Le groupe pourrait s’inspirer des formats qui ont fait leurs preuves dans d’autres régions, comme le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, le Shangri-La Dialogue en Asie et la Conférence de Munich sur la sécurité en Europe.

Quelles que soient ses conclusions, le Groupe de contact devra conserver son précieux héritage d’organisation inclusive qui a permis aux États, aux organisations régionales et internationales, aux acteurs du secteur et aux organisations non gouvernementales de s’exprimer. Le Groupe a également fait preuve d’efficacité en expérimentant des solutions de manière souple. Le CGPCS a montré que de nombreux crimes et menaces maritimes ont une portée et un impact transnationaux et nécessitent une coopération en vue de la sécurité et du développement maritimes dans la région.

Christian Bueger, professeur de relations internationales à l’université de Copenhague et codirecteur du réseau SafeSeas, et Timothy Walker, chercheur principal et chef du Projet maritime, ISS Pretoria.

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