Niger : ce qui ne défait pas Boko Haram le rend plus fort

Les divergences au sein du groupe terroriste concernant son leadership, sa stratégie offensive et son idéologie semblent avoir accru sa résilience.

Depuis le début de l’année 2019, un nombre croissant d’attaques, principalement revendiquées par l’État islamique en l’Afrique de l’Ouest (EIAO), une faction de Boko Haram, ont été enregistrées dans la région de Diffa au Niger. Entre janvier et avril, plus de 60 incidents ont été dénombrés, dépassant déjà le nombre annuel d’incidents depuis que Boko Haram a attaqué Diffa pour la première fois en 2015. Les incursions de l'EIAO au Niger sont variées et stratégiques, visant à la fois les civils et les forces de défense et de sécurité. En effet, au mois de mars, un bilan de 88 morts parmi les civils a été enregistré.

 

L'EIAO a attaqué le poste militaire de Toumour le 17 janvier 2018, et le 29 avril suivant, une position militaire à 50 km de Diffa. Ces deux offensives avaient pour objectif la saisie d’armes et de munitions. Le 9 avril 2019, le groupe a lancé un attentat suicide coordonné contre un poste de gendarmerie à Diffa qui a causé deux morts et cinq blessés parmi les gendarmes. Puis, le 26 avril, pour la première fois dans la région, l’EIAO a attaqué le siège d’une organisation humanitaire.

La recrudescence des incursions de l’EIAO au Niger coïncide avec un changement récent de leadership dans le groupe. Les attaques suscitent des inquiétudes quant à la résilience et à la capacité d’adaptation du groupe, malgré les réponses apportées aux niveaux national et régional.

Boko Haram
Attaques de Boko Haram dans la région de Diffa

Au cours de la dernière décennie, trois épisodes de luttes de leadership entre factions ont mis à l’épreuve la résilience de Boko Haram. Le premier conflit idéologique et stratégique survenu en 2012 a conduit à la création de la faction Jama’atu Ansarul Muslimina fi Biladis Sudan, plus connue sous le nom d’Ansaru.

Le second a entraîné la division de Boko Haram en 2016. Abubakar Shekau, qui a succédé au fondateur de Boko Haram, Muhammed Yusuf, en 2009, a prêté allégeance au dirigeant de l'État islamique en Irak et en Syrie (Abou Bakr al-Baghdadi) en 2015. Puis, en 2016, Abou Moussab al-Barnawi, fils de feu Muhammed Yusuf, a quitté la faction de Shekau et a été reconnu par al-Baghdadi comme le chef de l'EIAO, et ce, aux dépens de Shekau, qui dirige la faction Jama’atu Ahlus-Sunna Lidda’Awati Wal Jihad (JAS).

Les scissions ont créé de nouvelles factions offrant des alternatives aux potentiels sympathisants et renforçant les capacités de recrutement

Le troisième différend a eu lieu vers le mois de mars 2019 quand al-Barnawi – perçu comme faible, modéré et trop enclin à négocier avec les autorités nigérianes – a été destitué en faveur d'Abdullah Ibn Umar al-Barnawi. Ceci semblait être le dernier acte d'une lutte de pouvoir au sein de l'EIAO avec le triumvirat composé d'Abou-Moussab al-Barnawi, de Mamman Nur et d'Ali Gaga.

Les attaques récentes de l’EIAO au Niger et dans les pays voisins du bassin du lac Tchad montrent que ces changements à la tête des factions n’ont pas affecté sensiblement les capacités opérationnelles du groupe. Les réorganisations qui se sont opérées à l’issue de règlements de comptes internes ont démontré sa capacité à se régénérer. La multiplication des attaques en est la manifestation.

Les divergences au sein du groupe, concernant notamment le style de leadership, la stratégie offensive et l’idéologie, semblent avoir accru la résilience de l’EIAO au lieu de l’affaiblir. Les scissions ont créé de nouvelles factions offrant des alternatives aux potentiels sympathisants et renforçant les capacités de recrutement.

Ainsi, alors que l’EIAO était disposé à négocier la libération des filles de Dapchi un mois après leur enlèvement en février 2018, le JAS s’y est opposé pendant trois ans. Les divergences entre les factions constituent un éventail de choix pour les futures recrues, selon leurs opinions, modérées ou plus rigides. Cette scission permet également aux factions émergentes de négocier des alliances avec des réseaux terroristes régionaux et internationaux.

La nouvelle vague d’attaques montre la capacité d’adaptation, de nuisance et la résilience de l’EIAO. Le positionnement stratégique des différentes factions leur offre la possibilité d'élargir leurs champs d'action et de contrôler des réseaux économiques vitaux dans le bassin du lac Tchad.

Pour contrer et prévenir l’extrémisme violent, le Niger et ses partenaires régionaux et internationaux ont adopté, au fil des ans, une série de mesures qui, bien que nécessaires, n’ont pas permis d’éradiquer la menace.

Les caches d’armes doivent être protégées afin qu’elles ne soient pas utilisées pour réapprovisionner les groupes terroristes

Après la première attaque de Boko Haram à Diffa le 6 février 2015, les autorités nigériennes ont pris des mesures pour neutraliser le groupe aux plans militaire et financier. Les opérations militaires ont été accompagnées de l’instauration de l’état d'urgence dans la région de Diffa, de la restriction de la mobilité des personnes afin de limiter l’infiltration du groupe et de l’interdiction de la production et de la commercialisation de poivre et de poisson fumé – un moyen de subsistance pour beaucoup – pour endiguer le financement de Boko Haram.

En mars 2015, le gouvernement a prolongé de trois mois le couvre-feu et la durée de l'état d'urgence, ce qui a conduit à des manifestations du Comité de veille citoyen. Cette coalition d'organisations de la société civile de la région de Diffa a déclaré que ces mesures n’avaient pas mis fin aux attaques de Boko Haram dans la région.

En décembre 2016, le Niger a développé un programme d'amnistie, de réhabilitation et de réintégration socioéconomique pour les personnes qui ont volontairement quitté Boko Haram. Bien qu’une partie de la population considère l'amnistie comme une prime à la violence et craint les représailles de Boko Haram, le gouvernement a construit un camp à Goudoumaria pour abriter le premier groupe de repentis de Boko Haram. Ce camp accueille actuellement plus de 250 personnes.

Cependant, ces désertions n’ont pas affecté suffisamment le groupe et la mise en œuvre du programme de réintégration a rencontré des difficultés. Cette situation est source de frustrations pour une population qui continue de subir des attaques et pour les repentis de Boko Haram qui sont dans l’incapacité de quitter le camp de transit.

La résilience de l’EIAO est un défi majeur pour le Niger et ses partenaires notamment sur le plan décisionnel. Leurs interventions doivent prendre en compte les facteurs qui permettent à Boko Haram de résister. Pour endiguer le recrutement à la fois par l’EIAO et la JAS, il faut éviter les mesures qui affecteraient la population et viser les causes profondes de l'adhésion au groupe.

La protection civile doit être une priorité, et les caches d’armes doivent être protégées afin qu’elles ne soient pas utilisées pour réapprovisionner les groupes terroristes. Ce n’est que par le biais d’approches qui protègeront et responsabiliseront les communautés et renforceront leur résistance que le Niger inversera le cours de la lutte contre Boko Haram.

Fonteh Akum, chercheur principal, Illiassou Abdoulaye Alio, chercheur boursier et Habibou Souley Bako, chercheur boursier, ISS, Dakar

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Photo : TRT World

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