La résurgence de Boko Haram au Tchad
La capacité du groupe à recruter est une dimension clé de son expansion qui mérite d’être mieux appréhendée
Les attaques perpétrées par Boko Haram au Tchad ont augmenté depuis 2018, remettant en question l'efficacité de la réponse militaire face à l'extrémisme violent. Une offensive du groupe « djihadiste » contre l'armée le 22 mars 2019 a tué 23 soldats et en a blessé quatre.
Elle a été suivie, à la mi-avril, par des combats entre l'armée tchadienne et des éléments de Boko Haram qui se sont soldés par la mort de 63 combattants du groupe et de sept soldats tchadiens. On soupçonne la faction de Boko Haram, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), d’en être à l’origine.
Actif depuis 2009 au Nigeria, Boko Haram étend ses exactions à tous les pays riverains du lac Tchad. Ses attaques au Tchad ont commencé en mars 2015. Le gouvernement y a répondu par une série de mesures sécuritaires visant à neutraliser le groupe. Le Tchad a aussi conduit des opérations militaires contre Boko Haram au-delà de ses frontières.
Zones d’action de Boko Haram au Tchad (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
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L’expansion géographique des opérations de Boko Haram du Nigeria aux trois autres pays du bassin du lac Tchad (Tchad, Niger et Cameroun) a conduit à la réactivation, en juillet 2015, de la Force multinationale mixte (FMM), dont le mandat est désormais focalisé sur la lutte contre Boko Haram. Les opérations menées par l’armée tchadienne et la FMM ont permis de réduire le nombre des attaques du groupe au Tchad entre 2016 et 2017.
En 2016, Boko Haram s’est scindé en deux factions : l’EIAO, plus actif dans la partie tchadienne du lac et dirigé à l’époque par Abou Moussab al-Barnawi et le Jama'atu Ahlis Sunna Liddaawati Wal-Jihad (JAS), dirigé par Abubakar Shekau. Certains anciens combattants de Boko Haram sont volontairement retournés au Tchad à cette période.
Actif depuis 2009 au Nigeria, Boko Haram s'est étendu à tous les pays riverains du lac Tchad
Les activités de Boko Haram ont connu une résurgence, avec au moins 12 attaques meurtrières au Tchad entre mars 2018 et avril 2019. Lors de ces attaques le mode opératoire du groupe semble avoir changé, passant principalement des attentats-suicides – courants avant la scission du groupe en 2015 – à des assauts de villages et de campements d’éleveurs pour tuer et piller autant que possible, ou encore à des raids contre des positions de l'armée.
Trente-cinq soldats et 40 civils ont péri dans ces attaques. Environ 30 personnes, dont des femmes, auraient été enlevées et plus de 4 000 têtes de bétail volées. Les zones de la cuvette nord du lac, en particulier autour de Ngouboua, ont été les plus touchées pendant cette période.
En mars et avril de cette année, des attentats ont eu lieu à Dangdala, une petite localité proche de Ngouboua, et à Bouhama, tuant au total 30 soldats et blessant 21 autres. Ces incidents avaient été précédés par l’arrestation de cinq membres présumés de Boko Haram par la police à N’Djamena en février, renforçant les craintes d’une reprise éventuelle des attaques kamikazes dans la capitale tchadienne.
Ces attaques et ces pertes en vies humaines, après une année 2017 relativement moins meurtrière, ont suscité des inquiétudes quant à la résistance des deux factions de Boko Haram, et remettent en question l'efficacité des réponses essentiellement militaires aux menaces qu’elles représentent.
Les opérations militaires seules ne suffiront pas - une approche plus globale incluant une diversité de mesures est nécessaire
Leur retour en force démontre leur capacité de nuisance et de résilience. Il confirme également les résultats des recherches qui ont mis en lumière les limites des réponses sécuritaires aux activités terroristes. L’aptitude du groupe à infliger continuellement de graves pertes humaines et matérielles, malgré les déploiements et les opérations militaires d'envergure, constitue une illustration supplémentaire de leur souplesse et de leur adaptabilité.
La présence des éléments de l’EIAO à N’Djamena en février dernier témoigne également de cette dynamique. La nature particulière du champ d’action, à savoir les milliers d’archipels et des îles du lac Tchad, et la familiarité des combattants de Boko Haram avec ce milieu participent aussi de cette résilience.
La capacité des factions de Boko Haram à récupérer du matériel et des armes en attaquant les positions et les détachements des armées de la région augmente leur puissance de feu. En outre, la multiplication des attaques signifie que le groupe continue d'attirer des combattants issus des communautés.
Initialement, la scission de Boko Haram en deux factions semblait avoir affaibli le mouvement, mais cette division et la compétition à laquelle celles-ci se sont livrées ont eu l’effet contraire. Depuis 2018, la concurrence au sein et entre les deux factions a entraîné une violence encore plus extrême sur les champs de bataille du bassin du lac Tchad, chacune d’elles cherchant à démontrer sa supériorité.
L'aspect idéologique de la crise doit être traité
L’année dernière, Maman Nur, second d’Abou Moussab al-Barnawi, aurait été exécuté par ses propres combattants parce qu’il était considéré comme trop modéré et enclin à discuter avec le gouvernement nigérian. Cet événement a marqué une montée en puissance des éléments radicaux de la faction et un accroissement des attaques contre les civils. La rupture entre et au sein des factions s'est poursuivie. En mars 2019, le chef de l'État islamique Abou Bakr al-Baghdadi a remplacé Abou Moussab al-Barnawi par Abou Abdullah Ibn Umar al-Barnawi à la tête de l'EIAO.
Les zones les plus attaquées au Tchad sont celles où l’EIAO est le plus présent (autour de Ngouboua et de Kaiga Kindjiria). Contrairement à la faction JAS, l’EIAO est plus connu pour ses attaques contre les forces de sécurité et moins pour celles contre les civils. Cependant, depuis 2018, les civils tchadiens n’ont pas été épargnés par les combattants de l’EIAO.
Cette nouvelle dynamique suggère que les opérations militaires seules ne suffiront pas à contrer Boko Haram. La coopération sous-régionale doit être renforcée et l’accent doit être mis sur l’amélioration de la gouvernance et la promotion du développement afin de limiter la résilience et la capacité d’adaptation de Boko Haram. Une approche plus globale incluant une diversité de mesures est nécessaire. Ces mesures sont assez largement prises en compte par la stratégie de stabilisation de la Commission du bassin du lac Tchad.
Une partie de cette approche devrait également impliquer des prises de décisions contre l’aspect idéologique de la crise. La capacité de recrutement du groupe est l’une des principales raisons de son expansion. Il est donc crucial de mieux comprendre les schémas et les mécanismes de recrutement.
Au Tchad, comme dans les trois autres pays, les anciens otages et les combattants qui ont quitté Boko Haram peuvent aider à mieux comprendre les dynamiques internes du groupe. Leur donner la parole ainsi qu’à leurs communautés et tirer des leçons de leurs expériences pourraient permettre de prévenir les nouveaux recrutements et d’encourager le désengagement des membres du groupe. En plus de comprendre les raisons profondes de l’intégration des individus ou de leur départ du groupe, cette approche pourrait également jeter les bases d’une réconciliation communautaire durable.
Remadji Hoinathy, chercheur principal, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
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