Les objectifs ambitieux du Sénégal pour sa présidence de l’Union africaine
Le pays pourra-t-il s’appuyer sur sa légitimité nationale et internationale pour atteindre ses objectifs de stabilité en Afrique de l’Ouest ?
Publié le 16 mars 2022 dans
ISS Today
Par
Aïssatou Kanté
chercheuse, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Lors du sommet de l’Union africaine (UA) en février, le président Macky Sall a officiellement pris la présidence tournante de l’UA pour 2022. Outre le financement du développement de l’Afrique et la relance des économies africaines après le COVID-19, la stabilité du continent et la lutte contre le terrorisme comptent parmi les priorités annoncées de son mandat.
Le Sénégal prend la présidence de l’UA alors que l’Afrique est confrontée à des défis politiques et sécuritaires majeurs, notamment en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Si son mandat à la tête de l’organisation suscite des attentes, celui-ci ne dure qu’un an.
Quel rôle le Sénégal peut-il jouer dans la recherche de solutions durables en accord avec les principes de subsidiarité et de complémentarité entre l’UA et les communautés économiques régionales ? Le pays est à la fois président de l’UA cette année et membre du Conseil de paix et de sécurité (CPS) – une position unique qui lui confère des avantages pour mettre en œuvre ses priorités définies en tant que leader de l’organisation continentale.
Sur le plan interne, le Sénégal est perçu comme un pays stable dans une région troublée. Il n’a jamais connu de coup d’État et a vécu deux alternances pacifiques du pouvoir. Bien qu’exposé aux menaces de l’extrémisme violent, en raison de sa situation géographique en bordure du Sahel, aucune attaque terroriste ne s’est produite sur son sol.
Malgré la petite taille de son territoire et de son économie, le Sénégal s’est positionné comme un acteur influent
Malgré la petite taille de son territoire et de son économie, le Sénégal s’est positionné comme un acteur influent, notamment grâce à sa participation remarquée aux opérations de maintien de la paix des Nations unies (ONU) et des instances régionales. Une diplomatie active lui a également permis de gérer diverses crises dans les pays voisins, comme la Guinée-Bissau et la Gambie, dont les résolutions ont eu des impacts positifs sur sa sécurité intérieure.
Définie depuis 2011 par le président Sall, alors candidat à la présidentielle, la « diplomatie du bon voisinage » est l’un des axes majeurs de la politique étrangère du Sénégal. Elle repose sur une concertation et une coopération renforcée avec ses pays frontaliers. Le pays tente également d’appliquer cette démarche pour résoudre la crise en Casamance, région dont le Mouvement des forces démocratiques revendique l’indépendance depuis 40 ans.
Cette légitimité nationale et internationale est particulièrement importante dans un contexte où les institutions régionales telles que l’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) peinent à émettre un discours cohérent, notamment en raison de dissensions internes et de décisions à géométrie variable lors des récents coups d’État militaires au Mali, en Guinée, et au Burkina. Pour faire face à cette situation, la CEDEAO entend faire évoluer son cadre normatif et ses pratiques afin de s’outiller pour une gestion plus cohérente des changements anticonstitutionnels de régime. Elle a ainsi initié une révision du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance.
Au niveau de l’UA, le Sénégal devrait poursuivre des efforts similaires dans le cadre du CPS. Sous la présidence du Ghana, le CPS a lancé une dynamique de réforme des mécanismes visant à proscrire les changements anticonstitutionnels de gouvernement. L’UA se réunit à Accra cette semaine pour discuter de la question avant un sommet extraordinaire à Malabo en mai.
Face à la multiplication des coups d’État en Afrique, le Sénégal adopte une position ferme en les condamnant
Si la réforme des textes est nécessaire, c’est leur respect par les États membres qui compte avant tout. Le silence de la plupart d’entre eux sur la question des troisièmes mandats et leur réprobation des coups d’État militaires ont souvent donné l’impression d’une prime aux sortants.
Face à la multiplication des coups d’État en Afrique, le Sénégal adopte une position ferme en les condamnant et en soutenant les décisions de la CEDEAO contre les gouvernements de transition. Sur le plan de la politique intérieure, cette position contraint le président Macky Sall à une forme d’exemplarité, notamment en matière de consolidation des acquis démocratiques. À deux ans de la fin de son mandat, des soupçons subsistent quant à la volonté du président Sall d’en briguer un troisième.
En tant que président de l’UA, Macky Sall souhaite également aborder la question du financement des mesures antiterroristes, qui soulève celle de la capacité des pays africains à mobiliser leurs propres ressources et donc à conserver la main sur leurs initiatives. L’échec des institutions africaines à trouver les financements nécessaires au début de la crise malienne en 2012 en est un exemple. L’ambitieux plan de lutte contre le terrorisme de la CEDEAO pour la période 2020-24, dont la mise en œuvre piétine en partie du fait du manque de ressources, illustre également cette situation.
Lancé en 2018, le Fonds pour la paix de l’UA s’élève en mars à 315 millions de dollars, contre les 400 millions de dollars prévus. Pour pallier cette insuffisance, l’UA souhaite lever des contributions auprès de l’ONU, convaincue qu’il s’agit d’un mécanisme de financement apte à garantir la visibilité et la pérennité des opérations.
Le président Sall a proposé qu’une partie de la Facilité européenne pour la paix soit réorientée vers l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
À l’occasion du récent sommet UA-Union européenne (UE) à Bruxelles, Macky Sall a proposé qu’une partie de la Facilité européenne pour la paix soit réorientée vers l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. Les récents développements en Europe de l’Est et le soutien de l’UE à l’Ukraine rappellent que l’Afrique doit élaborer une stratégie qui lui permettra de mobiliser ses propres ressources pour assurer la paix et la sécurité, au lieu de compter sur l’appui de la communauté internationale.
Le financement des opérations africaines par l’Afrique et l’ancrage de la stabilité politique en Afrique de l’Ouest sur de bonnes pratiques de gouvernance sont des projets ambitieux. Étant donné la courte durée de la présidence de l’UA, les objectifs en matière de paix et de sécurité doivent être réalistes et mesurables. Ce mandat doit davantage être envisagé comme une occasion pour le Sénégal d’impulser une dynamique à même de générer un impact à moyen et long terme.
Aïssatou Kanté, chercheure, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
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