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Mali, Mauritanie et Sénégal : renforcer la coopération transfrontalière face au terrorisme

Un éventuel blocus terroriste des villes de Kayes et de Nioro au Mali serait désastreux pour les trois pays.

L'ouest du Mali, frontalier de la Mauritanie et du Sénégal, est de plus en plus la cible d'attaques terroristes. Compte tenu de l'importance stratégique de cette zone pour l'économie et la sécurité des trois pays, une coopération renforcée est essentielle pour endiguer cette menace croissante.

Le 1er juillet 2025, le Jama'at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a lancé sept attaques simultanées contre des positions de l'armée malienne à Niono, Molodo, Sandaré, Nioro du Sahel, Gogui, Kayes et Diboli.

Après avoir subi des pertes importantes, le JNIM a annoncé un blocus des villes de Kayes et de Nioro en représailles au soutien présumé de leurs populations à l'armée. Au-delà des défis sécuritaires et de l’urgence humanitaire, une telle action nuirait gravement à la stabilité socio-économique non seulement de ces deux villes, mais aussi du Sénégal et de la Mauritanie, qui partagent cette zone transfrontalière vitale avec le Mali.

Zone transfrontalière Mali–Mauritanie–Sénégal
Zone transfrontalière Mali–Mauritanie–Sénégal

 

La région de Kayes constitue le principal couloir d'approvisionnement du Mali et abrite de nombreuses infrastructures industrielles et minières. La dégradation de la sécurité dans cette zone pourrait perturber les échanges commerciaux avec les pays voisins et saper la croissance économique nationale, notamment dans le secteur minier, pilier de la balance des paiements et des recettes fiscales du Mali. Les blocus de Kayes et de Nioro perturberont également les deux corridors stratégiques que sont Dakar-Bamako et Nouakchott-Bamako.

La route Dakar-Bamako est un axe commercial essentiel entre le Mali et le Sénégal. Le port de Dakar, par lequel transitent 70 % des importations et exportations du Mali, constitue une porte d'entrée naturelle pour ce pays enclavé.

En 2024, le Mali représentait 20,54 % des exportations du Sénégal, évaluées à 802,75 milliards de francs CFA, soulignant l'importance stratégique du corridor. Les marchandises transportées le long de cet axe routier du Sénégal vers le Mali comprennent des produits alimentaires et agricoles, des produits pétroliers et des matériaux de construction comme le ciment.

De même, le corridor Nouakchott-Bamako, revitalisé après l'accord de partenariat économique et commercial de 2022 entre le Mali et la Mauritanie, facilite la circulation des marchandises via le port de Nouakchott. Tout ralentissement des échanges commerciaux sur ces deux axes aura des répercussions sociales majeures pour les trois pays, en termes de pertes d'emplois dans le transport, la logistique et le transit.

L'intensification des activités du JNIM dans la région de Kayes pourrait en outre perturber l'exploitation aurifère. L'or représente 25 % du budget national du Mali et 75 % de ses recettes d'exportation. Kayes est la principale zone aurifère du pays, contribuant à elle seule 78 % de la production industrielle d'or.

La région de Kayes, axe vital du Mali, abrite d'importantes infrastructures minières et industrielles

La région abrite par ailleurs les barrages hydroélectriques de Manantali, de Félou et de Gouina, trois infrastructures essentielles de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), qui alimentent en électricité le Mali, la Mauritanie, le Sénégal et la Guinée. Un blocus de Kayes constituerait une menace pour le fonctionnement optimal de ces trois barrages vitaux.

Les récentes attaques de Kayes illustrent la complexité des défis sécuritaires auxquels sont confrontés le Mali et ses deux voisins. Une réponse multidimensionnelle et coordonnée impliquant les trois pays est désormais nécessaire.

Sur le plan sécuritaire, un mécanisme de coopération transfrontalière existe depuis 2007. Des réunions tripartites périodiques se tiennent entre les commandements de la zone militaire n°4 de Tambacounda et Kédougou (Sénégal) et des régions militaires de Kayes (Mali) et de Sélibaby (Mauritanie), dans le but de planifier des patrouilles conjointes et partager des renseignements.

Face à l'escalade de la menace, les trois pays devraient renforcer la capacité opérationnelle des forces déployées dans la zone concernée et dynamiser leurs échanges de renseignements. Cette montée en puissance devrait intégrer l'acquisition de systèmes de détection et de neutralisation des drones espions ou kamikazes, qui représentent un risque important pour les soldats, les infrastructures et les sociétés minières de la région. Compte tenu de sa proximité et des risques d’infiltration terroriste dans sa partie Nord, la Guinée pourrait être invitée à rejoindre ce mécanisme de coopération transfrontalière.

La réponse sécuritaire devrait cependant être bien équilibrée afin d’éviter d'exacerber les conflits locaux existants et les vulnérabilités communautaires que les groupes armés exploitent pour s’implanter. Les recherches de l'Institut d'études de sécurité ont montré que les dynamiques de recrutement terroriste dans le Sahel central reposent souvent sur l’instrumentalisation des conflits intra- et intercommunautaires.

La Guinée pourrait utilement rejoindre la coopération transfrontalière face au risque djihadiste

Dans la zone frontalière entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, les structures sociales héritées du système des castes (nobles et descendants d'anciens esclaves) nourrissent souvent des tensions autour de l’accès à la chefferie traditionnelle, à la propriété terrienne et à la fonction d'autorité religieuse (imam). Des tensions fréquentes entre agriculteurs et éleveurs, le plus souvent mal arbitrées par les administrations, sont un autre facteur de vulnérabilité. Une meilleure prise en charge de ces conflits renforcerait la capacité des États à résister à l'expansion de la menace terroriste.

Les trois pays devraient également s'attaquer aux déséquilibres socioéconomiques, qui alimentent les frustrations des populations et constituent un terreau fertile pour l’endoctrinement et le recrutement par les terroristes. Malgré un potentiel agropastoral et aurifère considérable de part et d'autre de la frontière sénégalo-malienne, les populations locales restent pauvres et les investissements dans les infrastructures, la santé, l'éducation, l'eau et l'électricité sont minimes.

Des initiatives de développement économique transfrontalier, ciblant les jeunes et impliquant la Guinée, doivent être explorées. Elles pourraient être menées dans le cadre de coopérations bilatérales ou via de l'OMVS.

Enfin, cette approche de coopération sécuritaire et économique devrait être intégrée aux négociations en cours entre l'Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, dont la Mauritanie est membre associé. Face à la fragmentation de la coopération sécuritaire régionale, le renforcement des mécanismes transfrontaliers est essentiel pour affaiblir les réseaux terroristes et prévenir leur expansion dans les pays voisins.

Cette coopération pourrait s'inscrire dans le cadre de la revitalisation du Processus de Nouakchott, lancé par l'Union africaine en 2013 pour renforcer la collaboration et le partage de renseignements entre les États sahélo-sahariens confrontés au terrorisme et à la criminalité transnationale.

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