L’accréditation d’Israël auprès de l’UA divise l’Afrique

De nombreux États africains campent sur leur position concernant l’octroi par l’Union africaine du statut d’observateur à Israël.

Israël a longtemps cherché à reprendre son statut de membre observateur de l’Union africaine (UA). Le pays s’était vu octroyer ce statut par l’Organisation de l’Unité africaine jusqu’à ce que cet organisme continental devienne l’UA en 2002. Le président de la Commission de l’UA, M. Moussa Faki Mahamat, rouvre aujourd’hui la porte à Israël, mais sa décision ne fait pas l’unanimité.

Quels sont les enjeux pour l’Afrique et pour l’UA ? L’octroi de ce statut impliquera-t-il des changements significatifs dans les relations du continent avec Israël ?

Si son accréditation n’est pas rejetée, Israël rejoindra une liste de plus en plus importante comptant plus de 90 partenaires extérieurs approuvés par l’UA, ce qui lui permettra d’avoir un accès limité aux documents de l’UA et de siéger en tant qu’observateur lorsqu’il sera invité aux réunions. Les États et organisations non africains qui sont accrédités sont censés soutenir le travail de l’UA dans l’esprit de ses principes fondateurs.

La plupart des gouvernements africains ont gardé le silence quant à la décision prise par M. Faki en juillet. Cela pourrait être un signe de l’influence croissante d’Israël sur le continent en raison de l’évolution des dynamiques mondiales, notamment la normalisation des relations avec plusieurs pays arabes en 2020.

M. Faki a souligné que plus de 40 États membres de l’UA entretiennent des relations bilatérales avec Israël

Toutefois, cette décision a contrarié 21 des 55 États de l’UA, dont certains sont membres de la Ligue des États arabes et de la Communauté de développement de l’Afrique australe, à tel point que la question sera réévaluée lors de la réunion des ministres africains des Affaires étrangères en octobre.

La demande d’accréditation d’Israël fait suite à une amélioration de ses relations avec certains membres de la Ligue des États arabes, notamment le Maroc et le Soudan. Plusieurs pays d’Afrique australe et d’Afrique du Nord s’opposent néanmoins à ce qu’ils considèrent comme une décision unilatérale de M. Faki de recevoir les lettres de créance de l’ambassadeur d’Israël en Éthiopie, au Burundi et au Tchad sans avoir préalablement consulté les États membres de l’UA.

La plupart des oppositions relèvent de préoccupations politiques et procédurales. La base juridique de l’accréditation de l’UA suit les critères d’octroi du statut d’observateur, qui sont fondés sur un système adopté par le Conseil exécutif en 2005.

Ce système permet aux États non africains de participer aux sessions ouvertes du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA et aux sessions d’ouverture et de clôture des Sommets de l’UA. Les États se voient également accorder un accès limité aux documents de l’UA et peuvent être invités par le président de la Commission à participer aux réunions et à faire des déclarations. Ils ne peuvent toutefois pas voter.

Si un pays s’oppose à l’accréditation d’un État non africain, c’est le Conseil exécutif de l’UA qui devra trancher

Les critères permettent au président d’examiner les demandes d’accréditation, « en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’Union ainsi que les points de vue et préoccupations connues des États membres ». Ce n’est que s’il est convaincu qu’il « n’existe aucune raison de ne pas accepter la demande » que celle-ci sera approuvée.

Les pays qui ont critiqué la décision de M. Faki affirment qu’aucun État membre africain ne soutiendrait l’accréditation d’Israël, compte tenu de la position politique de l’UA sur la Palestine. L’UA a appelé à « mettre fin à l’occupation israélienne qui a débuté en 1967, [et] à l’indépendance de l’État de Palestine sur les frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale ».

Les détracteurs de M. Faki sur cette question avancent que l’UA avait rejeté deux demandes d’Israël, en 2013 et 2016, pour ce motif. La situation en Palestine n’ayant pas changé, le statut d’Israël ne devrait pas non plus changer, selon eux. Ils estiment que cette démarche irait à l’encontre des principes fondateurs et de la vision de l’UA. Cependant, plusieurs de ces États, dont l’Afrique du Sud et le Botswana, entretiennent des relations bilatérales avec Israël. Cela soulève des questionnements quant à la raison de leurs objections à ce que le continent ait des relations avec Israël.

En guise de réponse à ces critiques, M. Faki a reconnu au début du mois d’août l’engagement continu de l’UA en faveur d’une solution à deux États pour la Palestine, mais a fait valoir que l’accréditation relevait de ses attributions. Il a également indiqué que plus de 40 États membres de l’UA entretiennent des relations bilatérales avec Israël et ne s’opposeront pas nécessairement au changement de son statut.

Si les États entretenant des relations bilatérales avec Israël s’opposent ouvertement à son statut, d’autres pourraient suivre le pas

Ces dernières années, Israël a normalisé ses relations avec de nombreux pays africains en raison de son intérêt croissant pour le continent et de l’évolution de la politique régionale et mondiale en sa faveur. L’amélioration des relations avec le Soudan et avec le Maroc en 2020 a fait suite à une série d’accords de coopération entre Israël et les États arabes, avec les États-Unis pour médiateur.

Les partisans d’Israël dans le débat sur l’accréditation, comparent la situation à l’occupation des îles Chagos de Maurice par le Royaume-Uni. Les dirigeants africains ont toujours appelé à la décolonisation de la Palestine et au retrait de l’occupant israélien, comme ils l’ont fait dans le cas des îles Chagos. Mais puisque l’accréditation du Royaume-Uni auprès de l’UA n’a jamais fait l’objet d’un examen minutieux, celle d’Israël ne devrait pas l’être non plus, affirment-ils.

Les règles et procédures de l’UA prévoient que si un seul État membre s’oppose à l’accréditation d’un État non africain, le Conseil exécutif doit se prononcer. Au vu de l’absence actuelle de consensus, la question sera soumise à un vote. Si les membres conviennent que la question est de nature procédurale, un vote à la majorité simple avec un quorum des deux tiers décidera du statut d’Israël. Dans le cas contraire, une majorité des deux tiers est requise.

À l’approche de la réunion des ministres des Affaires étrangères qui se tiendra en octobre, les opposants et les partisans d’Israël sont en quête de soutien. Si les États ayant des relations bilatérales avec Israël s’opposent ouvertement à son statut, d’autres pourraient suivre le mouvement dans le cas d’un vote secret.

Après avoir attendu près de 20 ans, l’accréditation de l’UA serait un triomphe pour la politique étrangère d’Israël. Même si les pays africains continueront à réclamer une solution politique à l’impasse israélo-palestinienne, les relations avec le continent pourraient se renforcer malgré les incertitudes actuelles.

Au-delà de la question de savoir si Israël doit être accrédité, le Conseil exécutif de l’UA devrait réfléchir à la manière dont ceux qui reçoivent ce statut contribuent aux priorités de l’organisme continental. Le CPS devrait être chargé d’examiner le rôle et l’impact des partenaires extérieurs dans les efforts de l’Afrique pour parvenir à la paix et à la sécurité sur le continent.

Shewit Woldemichael, chercheuse, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba

Cet article a été initialement publié dans le Rapport de l’ISS sur le CPS.

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Crédit photo : Asharq Al-Awsat

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