Les négociations avec Boko Haram remises à l’ordre du jour ?

Loin d’être populaire, le choix de la négociation pourrait à nouveau être envisagé en raison de l’impasse où se trouvent extrémistes et forces armées.

Le bassin du Lac Tchad se retrouve dans une douloureuse impasse. Les pays où opère la Force multinationale mixte (FMM) sont bloqués dans un combat interminable contre deux factions du groupe terroriste Boko Haram.

Le Bénin, le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria, épuisent tous leurs ressources militaires dans des batailles qui semblent ne pas avoir de fin. La démarche antiterroriste prédominante dans la région, essentiellement axée sur l’utilisation de la force, n’a toujours pas assuré la paix aux communautés.

Dans la Corne de l’Afrique, Al-Shabaab a opposé une résistance similaire face aux efforts militaires menés par la Mission de l’Union africaine en Somalie (African Union Mission in Somalia - AMISOM). Tel que récemment exposé dans le cas d’Al-Shabaab, est-ce le moment d’envisager à nouveau la question, certes impopulaire, des négociations avec Boko Haram ? Les négociations peuvent-elles venir en complément au recours à la force ?

Nombreux sont ceux qui estiment que les gouvernements ne doivent en aucun cas négocier avec des terroristes. Il semble aussi qu’il y ait peu de chance de voir des factions terroristes accepter une invitation à la table des négociations. Et les citoyens nigérians, qui sont les plus touchés par cette crise, demeurent divisés sur la question du dialogue.

La crise est plus complexe qu'au cours des années précédentes, lorsque des efforts pour établir un dialogue avaient été entrepris

Boko Haram est actuellement composé de deux factions principales – l’une dirigée par Abubakar Shekau, et l’autre, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Islamic State West Africa Province - ISWAP), avec à sa tête Abu Abdullah Ibn Umar al-Barnawi. La crise provoquée par ces factions est plus complexe qu'au cours des années précédentes, lorsque des efforts pour établir un dialogue avaient été entrepris.

Actuellement, ni la FMM ni les factions terroristes ne pourraient remporter une victoire militaire totale. C'est précisément en raison de cette impasse que le dialogue devrait être envisagé, dans le cadre d'un ensemble exhaustif de choix politiques.

Le choix de l’interlocuteur des négociations, Boko Haram ou ISWAP, est complexe. Quels seraient exactement les points de discussion ou les terrains de compromis pour ces camps opposés ? Par exemple, l’un des désaccords essentiels porte sur le fait que, bien que les factions de Boko Haram visent l’instauration d’un califat islamique, le Titre 10 de la Constitution du Nigeria interdit l’adoption d’une religion d’État.

En comparaison avec la Somalie, dont la Constitution définit l’Islam comme étant religion d’État, dans le cas du Nigeria, le dialogue sur des questions relatives à la charia offre un champ de négociation limité avec les groupes terroristes. Malgré les obstacles, les possibilités d'engager des pourparlers devraient être étudiées plus attentivement, ce qui nécessite un réel effort d’imagination et une forte dose de volonté de la part du gouvernement.

Les administrations précédentes du Nigeria ont tenté d’entamer des discussions. Ces efforts ont échoué non pas parce qu'il était simplement impossible de négocier, mais en raison du manque de volonté politique et de l’absence de consensus sur les objectifs et les résultats de la part des acteurs gouvernementaux. L’ancien président Goodluck Jonathan, par exemple, avait tiré la sonnette d’alarme quant à la présence de sympathisants de Boko Haram au sein de son gouvernement.

Engager des pourparlers implique un réel effort d’imagination et une forte dose de volonté de la part du gouvernement du Nigeria

La première véritable tentative de négociation avec Boko Haram remonte à septembre 2011, lorsqu’une réunion avait été organisée entre l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et Babakura Fugu, le beau-frère de Mohammed Yusuf, dirigeant de Boko Haram aujourd’hui décédé. Ce qui aurait dû être la première étape d’une série de réunions pacifiques a été écourté suite à l’assassinat de Fugu. Au départ, on soupçonnait que Fugu avait été tué par un membre de Boko Haram, mais le groupe a réfuté cette hypothèse.

En mars 2012, Boko Haram a accepté Sheikh Ahmed Datti, le président du Conseil suprême pour la charia au Nigeria, comme intermédiaire. Mais Sheikh Datti a rompu les pourparlers, affirmant que le gouvernement s’était montré indiscret et avait livré des informations à la presse de manière prématurée.

L’enlèvement de jeunes femmes de la ville de Chibok au Nigeria en 2014 puis la libération de certaines d’entre elles indiquaient de nouvelles opportunités de négociation avec Boko Haram. Cela a mis au jour des divisions dans les rangs des insurgés, certains d’entre eux étant dès le départ opposés à l’idée d’enlever des jeunes femmes.

Ceci montre que Boko Haram n’est aucunement homogène, en ce qui concerne les points de vue de ses membres, et que si différentes possibilités sont réellement envisagées, il est effectivement possible de discuter, voire de rallier des adeptes à la cause du gouvernement. Il est déjà arrivé que des membres aient volontairement renoncé aux armes et se soient rendus. Dans de tels cas de figure, les renseignements obtenus grâce à eux ont permis de nourrir une stratégie de communication pour un engagement plus important auprès des factions terroristes.

Boko Haram n’est aucunement homogène et ses adeptes peuvent changer d’avis si toutes les pistes sont envisagées

Pour prendre le chemin du dialogue, quelque premières mesures doivent être prises. Du côté du gouvernement, il faut impérativement parvenir à un accord quant aux objectifs de la phase initiale des pourparlers. Il est également indispensable de mobiliser les communautés locales et de recueillir les points de vue des personnalités et des victimes d’attentats terroristes, qui doivent être à la base des conversations.

Le gouvernement doit consulter divers types de personnes et de groupes, dont des membres de familles des militants, des chefs religieux musulmans, des experts en médiation, des groupes de femmes, des institutions traditionnelles et des organisations de la société civile. Les éclairages apportés par cet échantillon représentatif de la population seraient cruciaux pour déterminer quelles démarches, canaux et phases adopter au cours des négociations.

Il est communément entendu qu’il faut amorcer le dialogue lorsque les groupes terroristes sont sur la défensive. Mais les gouvernements ne se lancent presque jamais dans des pourparlers à ce stade en raison de la perception, à tort, selon laquelle un triomphe militaire serait imminent et qu’il n’y aurait plus que le coup de grâce à donner. Cependant, de même qu’il est essentiel de savoir prendre le pouls du camp adverse en ce qui concerne le moment opportun pour des pourparlers, il faut aussi bien démontrer une volonté de faire certaines concessions lorsqu’on s’engage dans un dialogue.

La distinction entre Boko Haram et ISWAP doit être assimilée et doit éclairer la stratégie de communication du gouvernement. Parallèlement, il faut remédier au manque d'unité entre les acteurs gouvernementaux. Dans la Corne de l’Afrique comme dans le bassin du Lac Tchad, c’est le manque de cohésion et la défiance qui sapent la capacité des gouvernements à faire front commun sur les questions politiques.

Les négociations ne constituent peut-être pas une solution immédiate ou totale au terrorisme. Les pays doivent toutefois dépasser la présomption selon laquelle les groupes extrémistes, où qu’ils soient, peuvent être vaincus uniquement à coups d’armes et de bombes.

Akinola Olojo, Chercheur principal, Menaces transnationales et criminalité internationale, ISS Pretoria

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