En Somalie, l’heure est-elle aux négociations avec Al-Shabaab ?
L’usage de la force a échoué et la négociation constitue l’une des options non militaires de prévention du terrorisme.
« J’ai été capable de fonder Al-Shabaab et je suis capable d’y mettre fin. » Cette phrase choc a été prononcée en 2018 par Mukhtar Robow, ancien numéro 2 du groupe terroriste le plus meurtrier d’Afrique : Al-Shabaab. À cette époque, un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies soulignait que grâce aux efforts de Robow, quelque 20 cadres du groupe Al-Shabaab avaient déserté les rangs de l’organisation terroriste pour se rallier au gouvernement somalien. Lui-même avait officiellement fait défection en 2017 et tentait alors de se faire une place sur la scène politique somalienne.
Ses efforts n’ont toutefois été que de courte durée, les autorités somaliennes l’ayant par la suite mis en détention. Il est possible que cet emprisonnement ait miné la confiance qui aurait aidé d’éventuels désengagés à sauter le pas et aurait ainsi permis une gestion non militaire du problème du terrorisme.
La négociation avec Al-Shabaab constitue l’une des options non militaires à la disposition du gouvernement. Elle peut être utilisée en complément des approches existantes de lutte contre le terrorisme dans un pays où l’usage de la force n’a pour l’heure apporté aucune solution durable contre Al-Shabaab. Alors que le nombre d’attaques et de victimes est en hausse, il peut être intéressant d’étudier la possibilité d’un accord politique négocié.
Pour les États africains comme pour les donateurs occidentaux, le financement de réponses exclusivement militaires est de moins en moins viable
Les pays de la Corne de l’Afrique, notamment Djibouti, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie et l’Ouganda, ont adopté une approche militaire face au défi du terrorisme, sous l’égide de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). Au cours des dernières années, certains acteurs non africains, tels que les États-Unis, se sont également joints à ces efforts, notamment en menant des frappes aériennes.
Au plus fort de sa présence dans le pays, l’AMISOM comptait 22 000 effectifs pour un budget annuel d’environ un milliard de dollars US. En dépit de ces chiffres, les capacités opérationnelles d’Al-Shabaab demeurent intactes. Fin 2018, le groupe comptait parmi les quatre organisations les plus meurtrières au monde, selon le Global Terrorism Index. Pour les États africains comme pour les donateurs occidentaux, le financement de réponses exclusivement militaires est de moins en moins viable
Les trois principaux prérequis à la mise en place de négociations sont la compréhension des objectifs (surtout idéologiques) et de la structure d’Al-Shabaab, l’identification de médiateurs ou de tierces parties convenables aux deux camps et l’implication d’acteurs régionaux et internationaux.
Al-Shabaab vise à renverser le gouvernement fédéral somalien pour imposer sa propre interprétation de la charia ou instaurer un gouvernement islamique. Le groupe réclame également le retrait de toutes les troupes étrangères stationnées dans le pays. Étant donné qu’au vu de la constitution somalienne l’Islam est la religion d’État et que la législation nationale s’inspire de la charia, la mise en place d’un dialogue autour de la loi islamique pourrait donner au gouvernement une certaine marge de manœuvre en cas de négociations. Les divergences d’interprétation de la charia ne sauraient en effet être résolues par l’usage de la force.
Les divergences d’interprétation de la charia ne sauraient être résolues par l’usage de la force
En ce qui concerne l’opposition d’Al-Shabaab à la présence de troupes étrangères sur le sol somalien, il est déjà prévu que les forces de l’AMISOM se retirent du pays d’ici décembre 2021. Il est possible que le gouvernement somalien soit à la hauteur du défi qui lui incombera alors si des mesures urgentes sont adoptées dès à présent pour réformer et renforcer la sécurité du pays.
D’après plusieurs analystes, trois raisons principales pousseraient la population à grossir les rangs d’Al-Shabaab. La première est d’ordre idéologique, la deuxième relève de l’appât du gain et la troisième découle de griefs socioéconomiques et politiques. À l’heure d’expliquer le choix d’un individu d’intégrer le groupe, il convient néanmoins d’apporter certaines nuances. Si l’étude des motifs collectifs présente une utilité certaine, plusieurs experts tels qu’Anneli Botha soulignent que c’est en tentant de comprendre Al-Shabaab du point de vue de ses membres individuels que peuvent s’ouvrir le plus de perspectives de désengagement de ceux-ci.
Une connaissance plus approfondie des membres du groupe permettrait également de mettre en exergue les opportunités d’interactions non militaires avec les militants. Comprendre leurs motivations selon le grade qu’ils occupent permettrait également d’identifier ce qui pourrait pousser les shebabs à joindre les négociations ainsi que de dresser le profil de tierces parties à même de conduire le processus de médiation et de faciliter les discussions.
Tout processus de négociation avec Al-Shabaab devra donner la priorité aux inquiétudes des communautés locales, qui sont les plus touchées par les attaques terroristes
Ces tierces parties doivent rassembler à la fois des organisations et des individus. À l’échelle locale, elles pourraient ainsi être constituées de membres des familles de militants, de clercs islamiques, d’experts en médiation, de groupes de femmes, d’institutions traditionnelles, de chefs de clans et d’organisations de la société civile. Ces acteurs seraient impliqués à différentes étapes des négociations en fonction des thématiques abordées.
Chacune de ces catégories d’acteurs est dotée d’une certaine influence et d’une certaine connaissance des questions abordées, de la théologie à l’idéologie en passant par la connaissance familiale des militants et de leurs motivations. Un dialogue doit être mis en place avec ces acteurs sans toutefois que leur participation ne compromettre leur sécurité. Une commission dédiée devrait également être mise sur pied pour élaborer une stratégie de communication qui permette de toucher les membres d’Al-Shabaab.
Tout processus de négociation nécessite le soutien de parties prenantes régionales et internationales. Outre l’appui apporté par l’UA, les États-Unis sont aussi en mesure de soutenir l’idée d’une solution politique à la crise en cours, comme ils l’ont fait pour les frappes aériennes.
Il est important de se souvenir à quel point le retrait de Washington, en 2017, du nom de Robow de sa liste des terroristes présumés les plus recherchés a amélioré les perspectives d’un revirement de situation positif pour lui. Par ailleurs, si les États-Unis sont réellement désireux d’engager des pourparlers avec les talibans en Afghanistan, un simple appui aux efforts de paix en Somalie sous la forme de moyens non militaires ne devrait pas poser trop de problèmes.
La mise en place d’approches non militaires face aux groupes terroristes devrait devenir une priorité stratégique et à ce titre faire l’objet d’une exploration attentive. Afin que ce type d’approches ait des chances de porter fruit en Somalie, le gouvernement fédéral et les États régionaux devront néanmoins résoudre leurs différends politiques et renforcer la cohésion nationale.
Tout processus de négociation avec Al-Shabaab devra en outre donner la priorité aux inquiétudes des communautés locales, qui sont les plus touchées par les attaques terroristes. Des solutions devront également être trouvées pour assurer le respect des droits humains fondamentaux et pallier les vulnérabilités socioéconomiques les plus patentes. Par ailleurs, il sera essentiel de sonder l’état d’esprit des militants sur le champ de bataille afin de profiter de toute fenêtre d’opportunité pour instaurer le dialogue. Enfin, rien ne pourra émerger sans une réelle volonté politique de surmonter l’impasse dans laquelle se trouvent actuellement le gouvernement somalien et Al-Shabaab.
Akinola Olojo, chercheur principal, Division menaces transnationales et criminalité internationale, ISS Pretoria
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