Les jeunes Africains doivent avoir la chance de diriger la sécurité maritime
Les stratégies maritimes en Afrique négligent le potentiel qu'offre sa vaste population jeune.
Publié le 09 novembre 2021 dans
ISS Today
Par
David Willima
chargé de recherche, sécurité maritime, ISS Pretoria
Denys Reva
chercheur, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
L’Afrique oublie ses espaces maritimes, et les jeunes sont indispensables pour raviver sa mémoire. Cette « amnésie » fait référence au manque de volonté politique des États africains de relever les enjeux liés à la sûreté et au développement maritimes, entravant ainsi les perspectives de croissance économique de l’Afrique.
Les stratégies maritimes du continent omettent également de prendre en compte le potentiel que représentent les jeunes. Par exemple, la Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans à l’horizon 2050 (stratégie AIM 2050) de l’Union africaine (UA) ne mentionne les jeunes qu’une seule fois, en évoquant leur « corruptibilité » si la criminalité devait augmenter dans les zones côtières.
Les organisations de jeunes du continent, telles que Youth for Marine Protected Areas (Youth4MPAs), demandent à jouer un rôle bien plus important dans la promotion de politiques maritimes progressistes et durables.
Avec plus de 400 millions de jeunes âgés de 15 à 35 ans, l’Afrique abrite la plus grande population de jeunes de la planète. Environ 10 % de ces jeunes sont au chômage, et quelque 80 millions de jeunes adultes du continent vivent dans une extrême pauvreté. La pandémie de COVID-19 plongera probablement encore plus de jeunes dans l’insécurité.
Les organisations de jeunes d’Afrique demandent à jouer un rôle plus important dans les politiques maritimes durables
L’Agenda 2063 de l’UA affirme que « la créativité, l’énergie et l’innovation de la jeunesse africaine seront la force motrice de la transformation politique, sociale, culturelle et économique du continent. » L’urbanisation et le chômage poussent de nombreuses personnes à migrer vers les communautés côtières, soumettant ces zones à une pression socioéconomique importante. Cette situation, à laquelle s’ajoutent des problèmes économiques structurels, fait de la création d’emplois en Afrique un enjeu incontournable.
La Stratégie de l’économie bleue de l’Afrique, adoptée en 2019 par l’UA, place l’inclusion des jeunes au cœur de la gouvernance bleue et du changement institutionnel. Elle souligne notamment la nécessité de lutter contre la marginalisation des jeunes et de leur donner les moyens d’agir dans le domaine de la pêche et de l’aquaculture afin de favoriser une croissance économique. Néanmoins, il convient d’étendre ces efforts à d’autres secteurs, tels que le transport maritime, les ports et l’énergie.
Le secteur maritime inclut toutes les activités menées à bord des navires, en mer, ainsi que les services terrestres connexes. Des initiatives telles que la Zone de libre-échange continentale africaine dépendent également du bon fonctionnement et de la sûreté du transport maritime et des ports.
Le secteur maritime offre de nombreuses possibilités de carrière. Il s’agit notamment des métiers de la mer et du transport maritime, de la marine, de la pêche, de l’aquaculture, du droit maritime, de l’inspection maritime et de l’environnement marin. Ceux-ci présentent maintes professions, telles que capitaine de remorqueur, pilote maritime, agent de bord, ou encore personnel d’accueil.
Les jeunes Africains ne pourront pallier la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur maritime que si les gouvernements les soutiennent
On constate également une pénurie mondiale de membres d’équipage, avec un déficit prévu de 89 510 officiers d’ici à 2026. Les jeunes Africains ne pourront profiter de cette pénurie que si les gouvernements aident le secteur maritime à se positionner comme un vivier d’emplois attractifs et accessibles.
Trouver la bonne voie requiert de ne négliger aucune possibilité. L’inspiration peut venir, par exemple, de l’un des essais primés lors de l’édition 2021 du concours Future Maritime Leaders organisé par le Forum maritime mondial, en l’occurrence celui de Stephanie Lolk Larsen, chercheuse au Centre for Maritime Law and Security Africa, au Ghana. Ces essais novateurs, qui considèrent un secteur maritime pérenne, pourraient éclairer la révision de la stratégie AIM 2050.
Une initiative telle que le Conseil consultatif des jeunes de la Journée mondiale des océans est une excellente idée, et les jeunes Africains ont joué un rôle prépondérant dans son succès. Le conseil actuel comprend des représentants des jeunes de l’Ouganda et du Zimbabwe, des pays enclavés où se trouvent de grandes étendues d’eau, que l’UA considère comme faisant partie du domaine maritime. Preuve, s’il en est, que vivre dans un pays sans littoral marin n’empêche pas d’identifier les bonnes pratiques en matière de politique relative à la jeunesse et de politique maritime.
Des dispositions plus fermes et juridiquement contraignantes qui renforcent le rôle central de la jeunesse figurent dans les annexes de la Charte africaine sur la sûreté et la sécurité maritimes et le développement en Afrique (la Charte de Lomé). Il faudra toutefois sans doute attendre longtemps avant que la Charte ne renforce les initiatives des jeunes, car les annexes n’ont pas été adoptées et seules deux des quinze ratifications requises ont été déposées.
Il est essentiel de sensibiliser les jeunes aux métiers du secteur maritime et de susciter leur intérêt à cet égard
L’UA et ses États membres doivent encourager les jeunes champions africains à s’impliquer dans le secteur maritime, en pleine croissance, et leur en donner les moyens. À cette fin, il convient de réaliser des investissements humains et financiers pour stimuler la formation et fournir aux industries maritimes une main-d’œuvre jeune et qualifiée. Les politiques existantes doivent également être mises en œuvre. Par exemple, la Charte africaine de la jeunesse de 2006 pourrait être améliorée si les décideurs reconnaissaient son volet maritime et prenaient des mesures en conséquence.
Il est également essentiel de sensibiliser les jeunes aux métiers du secteur maritime et de susciter leur intérêt à cet égard. L’Afrique du Sud accueille plusieurs organisations qui proposent un enseignement maritime au niveau secondaire et supérieur. Par exemple, le Lawhill Maritime Centre de la Simon’s Town School permet aux lycéens d’acquérir les compétences nécessaires pour poursuivre une carrière dans le secteur maritime. Avec la numérisation du secteur maritime, de nouvelles compétences, spécialisées comme techniques, seront nécessaires et, partant, des infrastructures d’enseignement supérieur.
L’Afrique ne doit pas laisser passer l’occasion d’exploiter le potentiel de sa jeunesse dans le secteur maritime. De nombreux jeunes rejoignent les côtes du continent dans l’espoir de trouver un emploi. Ils ont besoin d’opportunités, de compétences et de soutien pour prendre la barre et guider l’Afrique vers une plus grande intégration des jeunes.
Timothy Walker, chef du projet Maritime et chercheur principal, Muneinazvo Kujeke, chargée de recherche, Denys Reva, chercheur, et David Willima, chargé de recherche, Opérations de paix et de la consolidation de la paix, ISS Pretoria
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Crédit photo : The Maritime Academy of Nigeria