Une ZLECAf prospère requiert davantage de marins, de navires et de ports africains
Le succès de l'accord de libre-échange dépend de l'amélioration de la capacité, de l'efficacité et de la sécurité du commerce et du transport maritimes.
Publié le 20 juillet 2021 dans
ISS Today
Par
Denys Reva
chercheur, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
Les échanges dans le cadre de l'accord de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ont commencé le 1er janvier 2021, marquant ainsi une étape cruciale dans la réalisation des aspirations politiques et économiques de l'Afrique. Cet accord a créé un énorme marché unique, réunissant 1,2 milliard de personnes dans 54 États, avec un PIB combiné de 3 400 milliards de dollars américains.
On s’attend généralement à ce que les échanges de la ZLECAf, qui se déroulent sur un continent qui compte quelques îles et de nombreux États enclavés, aient principalement lieu par train, par route ou par avion. En fait, les premières marchandises échangées sous le régime de la ZLECAf ont été transportées par bateau d'une société ghanéenne de cosmétiques vers la Guinée, le 4 janvier.
L'interconnectivité de la ZLECAf sera indispensable à la promotion de la croissance économique et du développement sur tout le continent dans les années à venir. Les industries et les acteurs maritimes de l’Afrique seront essentiels dans la réalisation de cet objectif, car le transport maritime constitue le moyen le plus rapide et le moins coûteux pour transporter des larges quantités de marchandises sur de longues distances.
Même pour les pays enclavés d’Afrique, le commerce dépend principalement du trafic maritime. D'autres types de fret sont généralement plus coûteux, moins efficaces et moins fiables en raison de systèmes ferroviaires et routiers généralement sous-développés sur le continent.
Le transport maritime est le moyen le moins coûteux et le plus rapide de transporter de grandes quantités de marchandises sur de longues distances
Parvenir à un consensus à l'échelle de l'Afrique sur une question aussi complexe est une première étape primordiale. La Banque mondiale estime que la ZLECAf pourrait augmenter le revenu continental par un montant pouvant atteindre 450 milliards de dollars et sortir près de 30 millions de personnes de l'extrême pauvreté. Toutefois, le succès et les résultats de cette initiative dépendent entièrement de la capacité des États africains à accroître l’efficacité, la capacité et la sécurité de leurs systèmes de transport maritime.
Les décideurs africains doivent donner la priorité à l’expansion et à l’amélioration des infrastructures de transport maritime du continent, qui peine à faire face au volume actuel d’importations et d’exportations. Le développement des infrastructures portuaires dans la plupart des pays africains est à la traîne par rapport au reste du monde. Seuls trois ports africains figurent sur la liste des 100 plus grands ports à conteneurs dans le monde pour l'année 2020.
Les taux de fret élevés, les longs délais de dédouanement des marchandises et les capacités de stockage inadéquates ne sont que quelques exemples des nombreux problèmes qui mettent la compétitivité des ports africains à rude épreuve. La Banque mondiale estime que la durée de séjour des marchandises dans la plupart des ports d'Afrique subsaharienne dépasse 20 jours en moyenne, contre trois à quatre jours dans les principaux ports mondiaux.
Les échanges intraafricains ont toujours été faibles. En 2017, ils ont été estimés à seulement 16,6 % du commerce continental total, chutant à 15 % en 2019. Par conséquent, les pays se concentrent sur l'exportation des matières premières et des produits de base, et la plupart des échanges interafricains ont lieu dans les régions économiques, mais dans une moindre mesure entre les régions.
La ZLECAf requiert une bonne logistique et le secteur maritime assure déjà un passage sûr de 80 % des échanges africains
Compte tenu de ces faibles chiffres, l’on ignore la part précise des échanges intraafricains qui passent actuellement par les ports et les navires, mais elle est probablement infime. Pourtant, parce qu'il reste le moyen le plus rapide et le moins coûteux de transporter une grande quantité de marchandises, cet échange offre à l'Afrique une occasion en or.
Les États africains qui disposent de capacités et d'infrastructures de commerce maritime mieux développées bénéficieront davantage de l'accord de libre-échange. L’Union africaine a reconnu ce fait dans sa Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans à l'horizon 2050 et dans la Charte africaine révisée du transport maritime. Ces deux initiatives nécessitent une mise en œuvre complémentaire pour soutenir les objectifs de la ZLECAf.
L'augmentation du volume du transport maritime entraînera un besoin accru de sécurité en mer pour surveiller, contrôler et diriger le trafic maritime. La plupart des marchandises faisant l'objet d’un échange maritime interafricain seront probablement transportées le long de la côte ou devront passer à proximité des zones où l'instabilité côtière pose des risques coûteux. Les pays africains doivent donc assurer la sécurité de leurs domaines maritimes.
À l’heure actuelle, la ZLECAf semble se concentrer en grande partie sur les négociations concernant les règles d’origine des marchandises commerciales et les tarifs douaniers. Pourtant, il ne s’agit là que d'un des quatre objectifs définis ; l’objectif ultime de l’accord étant de renforcer les relations économiques entre les pays africains et en dehors des unions régionales et douanières traditionnelles.
Un marché unique africain demande davantage d'infrastructures portuaires pour accueillir de plus gros navires et plus de conteneurs
Néanmoins, le projet d’un marché unique à une échelle continentale ne peut aboutir sans une bonne logistique, et le secteur maritime assure déjà un passage sûr pour environ 80 % des marchandises échangées en Afrique. Les inefficacités opérationnelles qui affectent le secteur portuaire africain doivent ainsi être résolues d'urgence.
Selon un rapport publié en 2020 par l’Africa CEO Forum et Okan, les investissements dans les ports africains auraient atteint plus de 50 milliards de dollars en 2019. Pourtant, seulement trois pays (l’Égypte, le Maroc et l’Afrique du Sud) gèrent 51 % des marchandises transportées par mer en Afrique. Les autres, y compris de grandes économies comme le Nigeria, souffrent de lacunes paralysantes dans leur capacité à traiter les marchandises en vrac et conteneurisées.
Les populations urbaines sont en hausse, en particulier dans les mégapoles côtières comme Lagos et Dar es Salaam. Par conséquent, la demande de marchandises généralement expédiées par de grands transporteurs dans des conteneurs devrait monter en flèche.
Un marché unique africain ne saurait être pratique sans infrastructures capables d’accueillir de plus gros navires et plus de conteneurs. La plupart des pays africains continuent d'exporter principalement des produits de base en vrac comme le pétrole, les métaux précieux et les produits agricoles bruts. Parallèlement, le commerce intraafricain est dominé par l'échange de produits fabriqués et transformés.
La participation de l'Afrique à l'industrie du transport maritime reste entravée par la faible part de la flotte que le continent possède. Selon les estimations de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, seul le Nigeria figure parmi les 35 premiers pays propriétaires de navires, avec une part de 0,31 % du tonnage en port en lourd en janvier 2020, et seul le Liberia figure sur la liste des principaux États du pavillon, représentant 13 % du port en lourd total dans le monde.
Cela signifie que dans le cadre de la mise en œuvre de la ZLECAf, l'Afrique se verra contrainte à solliciter l'aide de navires étrangers. Et ce, jusqu'à ce que le continent atteigne le stade où des navires construits, gérés et appartenant à des africains transportent des produits africains sur tout le continent et à travers le monde.
Brian Gicheru Kinyua, Auteur spécialisé dans les affaires maritimes à Mombasa, Timothy Walker, responsable du Projet Maritime et chercheur principal, et Denys Reva, chargé de recherche, ISS Pretoria
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