Comment la nouvelle constitution guinéenne pourrait-elle contribuer à la stabilité post-transition ?
Même si les réformes institutionnelles ne garantissent pas la stabilité post-transition, le processus d'élaboration de la nouvelle constitution et son contenu seront déterminants.
Le 5 septembre 2021, soit moins d'un an après le début d’un troisième mandat controversé, le régime du président Alpha Condé a été renversé par des militaires. Ces derniers ont convenu avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en décembre 2022, d’un chronogramme de deux ans pour le retour du pays à un régime civil.
Ce chronogramme en 10 points comprend l'élaboration d'une nouvelle constitution et son adoption par référendum populaire. Ces deux étapes définiront plusieurs autres éléments de la transition, notamment les lois organiques de la constitution et la tenue des élections locales, législatives et présidentielle.
Le projet de constitution devait être adopté par le Conseil national de la transition avant la fin du mois de juin, mais ce délai n'a pas été respecté. Nombreux sont ceux qui estiment élevé le budget d’environ 600 millions de dollars américains proposé par les autorités de la transition pour mettre en œuvre les 10 points du chronogramme. À ce jour, le gouvernement n'a annoncé la mobilisation que d'environ 40 millions de dollars américains.
Lors d’une interview accordée à TV5 en août, le Premier ministre Bernard Goumou semblait blâmer la communauté internationale, notamment la CEDEAO, pour la lenteur de la mobilisation des ressources. Selon lui, la CEDEAO s'est engagée dans l'accord de décembre 2022 à aider la Guinée à lever des fonds. Pour une mise en œuvre fluide du chronogramme de la transition dans les délais, les autorités guinéennes et leurs partenaires doivent redoubler d’efforts pour mobiliser les ressources nécessaires, quitte à revoir le montant ci-dessus.
Le délai d’adoption de l’avant-projet de la constitution n’a pas été respecté
Néanmoins, la rédaction de la nouvelle constitution peut être achevée d’ici à décembre, la date prévue pour le référendum, avec de la volonté politique et si les rédacteurs de la nouvelle constitution travaillent d’arrache-pied.
En effet, le Conseil national de la transition a déjà mené plusieurs consultations nationales sur le projet de Constitution, ainsi que deux symposiums d'orientation constitutionnelle en mars et en avril. Différents partis politiques, des acteurs de la société civile, des avocats, des leaders religieux et même des éléments des forces de défense et de sécurité ont soumis des propositions écrites ou orales.
L'examen de certaines des contributions permet de mettre en lumière deux aspects importants qui pourraient favoriser l'avènement d'une démocratie stable après la transition.
Plusieurs contributions portent sur les mécanismes garantissant un équilibre des pouvoirs. La plupart, en faveur du maintien du système présidentiel, requièrent une modération des pouvoirs du président. Certains participants souhaitent un renforcement des prérogatives du Parlement et une réduction des pouvoirs de nomination du président. Par exemple, le Parlement et la commission nationale de la magistrature pourraient jouer un rôle accru dans la nomination des juges et magistrats.
Quelles dispositions la nouvelle constitution pourrait-elle inclure pour limiter les mandats ?
Plusieurs contributions proposent de soumettre certaines nominations présidentielles à l'approbation du Parlement et de s’assurer que les mandats des premiers responsables de certaines institutions publiques ne soient pas abrogés ou restreints uniquement par le président.
La question du mandat présidentiel constitue l’autre point phare des contributions. Sous Condé, une nouvelle Constitution avait été rédigée et approuvée pour contourner les dispositions légales empêchant le président de briguer un troisième mandat. Reposant sur le principe juridique de non-rétroactivité automatique des lois, cette « remise des compteurs à zéro » controversée a permis à Condé d’être réélu pour un troisième mandat en 2020, ce qui a contribué à sa chute et à l'avènement de la transition actuelle.
La question du troisième mandat est au cœur des débats politiques actuels en Afrique. Les constitutions de près de 40 pays africains prévoient une limitation des mandats présidentiels. Depuis 1990, quelque 34 dirigeants de 20 pays ont quitté le pouvoir en respectant cette disposition.
Le respect de la limitation des mandats favorise la stabilité politique de deux manières. Premièrement, l’alternance du pouvoir est une source de motivation pour les potentiels candidats car ils peuvent adapter leurs stratégies en conséquence. Dans les 20 pays africains où les dirigeants sortants ont respecté la limitation des mandats, aucun dirigeant élu par la suite n'a remis en cause cette disposition.
L'engagement des dirigeants à respecter la Constitution et ses dispositions sera déterminant
Deuxièmement, avec le respect de la limitation des mandats, les dirigeants sont susceptibles de se préoccuper davantage de leur héritage et donc d'agir autant que possible dans l'intérêt général des citoyens. La satisfaction de ces derniers, concernant notamment le développement socio-économique et la prestation de services devrait contribuer à la stabilité politique.
Si cette disposition participe à la stabilité politique, quelles autres dispositions la nouvelle constitution guinéenne pourrait-elle inclure pour empêcher toute manipulation pour un troisième mandat ? La Constitution de 2010 empêchait la modification de cette disposition, en la mettant dans le même panier que quatre autres « fruits défendus » : la laïcité du pays, sa forme républicaine, son intégrité territoriale et son pluralisme politique et syndical.
Les rédacteurs de la nouvelle Constitution pourraient conserver les mêmes mesures et y ajouter la nullité juridique de tout amendement constitutionnel ou projet de nouvelle Constitution visant à modifier ou contourner l'une de ces dispositions intangibles. Cette action pourrait être considérée comme un acte de haute trahison. Pour contrer les arguments sur le dynamisme et l'adaptabilité des constitutions, les rédacteurs pourraient assortir cette disposition d'une limite temporelle sur plusieurs décennies.
Le caractère inclusif du processus d'élaboration et d'adoption de la nouvelle Constitution sera déterminant pour sa légitimité bien après la transition. L'engagement des dirigeants post-transition à l'égard de la Constitution et de ses dispositions à travers leur respect scrupuleux est de loin la garantie la plus sûre de sa pérennité et de son appropriation par les Guinéens.
Pour cela, les responsables au sein des pouvoirs législatif et judiciaire doivent s’efforcer de préserver leur indépendance et d’agir avec intégrité, et l'exécutif doit s’engager à respecter cette indépendance. Les citoyens conscients et organisés peuvent, à cet égard, jouer un rôle essentiel de sentinelle.
Issaka K. Souaré, conseiller régional principal, bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
Image : © Conseil National de la Transition Guinée
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Cet article fait partie d'une série sur la prévention des prochains coups d'État en Afrique de l'Ouest et au Sahel. La recherche qui sous-tend cet article a été financée par Irish Aid et la Fondation Bosch. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.