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Le retour à l'ordre constitutionnel fragilisé en Guinée ?

Malgré des avancées, un consensus sur le processus électoral et l'ouverture de l'espace démocratique restent cruciaux.

Depuis le coup du 5 septembre 2021 contre le régime du président Alpha Condé, la conduite de la transition vers un régime civil fait l’objet de critiques. Les Forces vives de Guinée (FVG), qui rassemblent des partis politiques et des organisations de la société civile, a fustigé les timides progrès dans sa mise en œuvre.

Les avancées récentes, notamment l'annonce d'une date pour un référendum constitutionnel, ne suffisent pas à instaurer la confiance entre les acteurs politiques et le gouvernement de transition.

Selon le chronogramme en dix points convenu entre les autorités de transition et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) en 2022, la transition devait prendre fin en décembre 2024. Elle a depuis été prolongée jusqu’en 2025.

Le 1er avril, le gouvernement de transition a annoncé la tenue du référendum constitutionnel pour le 21 septembre. Il constituerait un jalon et un préalable aux élections présidentielle, législatives et locales.

Le gouvernement a aussi clarifié les décisions concernant trois des dix points inscrits aux chronogramme de la transition : le recensement administratif à vocation d’état civil (RAVEC), l’établissement du fichier électoral et l’élaboration de la nouvelle constitution.

Dès l’adoption du chronogramme, nombre d’acteurs avaient vivement critiqué la production du fichier électoral à partir du registre d'état civil informatisé généré à partir du RAVEC, et réclamé une révision du fichier existant. Cependant, pour accélérer son établissement, les autorités de transition ont décidé de maintenir le RAVEC et de procéder en parallèle à un recensement électoral jusqu’au 20 juin.

Au vu de l’histoire politique de la Guinée, l’inclusivité du référendum constitutionnel sera déterminant

Le projet de nouvelle constitution, résultat de plusieurs consultations, avait été présenté en juillet 2024 et suivi d’une campagne de vulgarisation. Le texte a été adopté par les membres du CNT le 9 avril et transmis au président de la République. Au regard de l’histoire politique et institutionnelle de la Guinée, le caractère inclusif du référendum de la nouvelle constitution sera déterminant pour garantir une stabilité post-transition.

Le premier ministre, Bah Oury, a évoqué l’éventualité de coupler l’élection présidentielle aux législatives dans la foulée du référendum, répondant ainsi à la demande des FVG. Les élections locales seraient alors laissées à l’initiative de la prochaine équipe dirigeante civile.

Cette approche, qui inverse l’ordre initial d’organisation des élections (de la base au sommet), se veut pragmatique, au vu notamment des difficultés liées à la mobilisation des ressources qui ont jalonné l'exécution du chronogramme de la transition.

Malgré ces avancées et décisions, qui donnent une meilleure lisibilité aux actions devant mettre fin à la transition, la crise de confiance entre les acteurs politiques et les autorités de transition constitue un défi majeur pour un retour à un ordre constitutionnel apaisé.

La crise est alimentée par le manque de consensus sur le processus électoral, la fragilisation de l’espace politique et civique et la cristallisation du débat autour d’une possible candidature du général Doumbouya à la prochaine présidentielle.

L’organisation de l’ensemble des scrutins prévus dans le chronogramme par le ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (MATD) constitue un point d’achoppement. Les principaux partis politiques militent pour qu’une telle responsabilité soit confiée à une commission électorale indépendante et impartiale.

Les principaux partis politiques veulent une commission électorale indépendante et impartiale

Les autorités prévoient la création d’un organe technique indépendant en charge de la gestion des élections, composé des représentants de partis politiques et de la société civile. Celui-ci, qui n’aura pas la charge de l’organisation matérielle des scrutins, assurera le contrôle et la supervision du processus électoral. Le caractère inclusif et la précision des missions qui lui seront dévolues seront déterminants, notamment dans un contexte de fragilisation de l’espace civique.

Cette fragilisation est nourrie notamment par l’interdiction des manifestations en vigueur depuis mai 2022, les disparitions d’individus et le rétrécissement des espaces médiatiques.

S’y ajoute, sur fond de querelles intra partisanes, la suspension des principales formations de l’opposition (Union des forces républicaines et Rassemblement du peuple guinéen) décidée à l’issue d’une évaluation des partis politiques. Bien que provisoire, ces suspensions suscite l’inquiétude de la classe politique qui craint qu’elle contribue à la desservir au profit des autorités de transition. 

Ceci d’autant que les manifestations de soutien au CNRD et à son président se multiplient. Des membres du CNRD et du gouvernement ont publiquement affirmé leur soutien à une candidature de Doumbouya à la prochaine présidentielle.

Pourtant, Doumbouya avait fait à plusieurs reprises la promesse solennelle que ni lui, ni aucun membre du gouvernement de transition ou du Conseil national de transition (CNT) ne seraient candidats à une élection de fin de transition, conformément à la charte de la transition et au cadre normatif de l’Union africaine, organisation à laquelle les autorités de transition ont réaffirmé leur attachement.

Les récents déplacements des membres du CNRD et du gouvernement de transition à l’intérieur du pays sont perçus par certains membres de l’opposition et de la société civile comme des campagnes électorales déguisées visant à préparer l’opinion à une candidature de Doumbouya.

Le soutien technique de la CEDEAO doit s’accompagner d’importants efforts politiques

Toutefois, selon une étude d’Afrobaromètre, si les Guinéens ont relativement confiance envers le gouvernement de transition et sont satisfaits de l’amélioration des infrastructures routières, il n’en demeure pas moins que leur désir de démocratie reste intact.

La Guinée, inscrite dans une dynamique de retour à l’ordre constitutionnel, a besoin de l’appui des acteurs internationaux et de ses partenaires. La mission technique déployée à Conakry par le CEDEAO en avril dans le but de soutenir le processus est une bonne chose. L’appui de la CEDEAO au gouvernement de transition, notamment pour mobiliser les financements nécessaires, est aussi crucial.

Ce soutien, davantage opérationnel, doit être complété par des efforts politiques plus importants appuyés par l’UA et des Nations unies, comme l’indique le rapport de la mission d’évaluation des besoins déployée par l’ONU dans le pays en novembre 2024. Ces efforts doivent tenir compte du contexte régional de crise et de la nécessité pour la CEDEAO d’agir sans compromis et dans le respect de ses principes de gouvernance démocratique.

L’organisation régionale devrait encourager un dialogue entre les acteurs afin qu’ils trouvent un consensus sur les conditions techniques et politiques d’organisation des différents scrutins. Leur déroulement dans un environnement apaisé est d’autant plus nécessaire que les crises électorales sont historiquement un facteur d’instabilité politique en Guinée.

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Cette recherche a bénéficié du soutien financier de la Fondation Robert Bosch et du gouvernement du Danemark. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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