Les élections ne suffiront pas à stabiliser la Guinée-Bissau

Seul un consensus entre les parties prenantes permettra de rendre le processus de réformes irréversible

La situation en Guinée-Bissau était à nouveau à l’ordre du jour du sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui s’est tenu le 31 juillet à Lomé, au Togo. Des avancées notables ont été enregistrées depuis le mois de février, quand l’organisation régionale a décidé d’imposer des sanctions à l’encontre des personnes qui entravent le processus politique.

La nomination d’Aristides Gomes au poste de Premier ministre, le 16 avril, a été suivie par la réouverture de l'Assemblée nationale le 19 avril, la mise en place d'un nouveau gouvernement inclusif le 24 avril et le vote du budget de l'État par les membres du parlement en juin.

L’attention est désormais dirigée sur les élections législatives du 18 novembre. Toutefois, il est peu probable que celles-ci puissent à elles seules garantir la stabilité durable du pays si les faiblesses majeures de l'architecture institutionnelle de l'État ne sont pas corrigées. En effet, plusieurs aspects importants de la Constitution, de la loi sur les partis politiques, du cadre juridique électoral, du système judiciaire ainsi que du système de défense et de sécurité doivent être révisés ou réformés.

Les réformes du secteur de la défense et de la sécurité en Guinée-Bissau sont un sujet récurrent depuis près de deux décennies

Les dirigeants de la CEDEAO ont salué les progrès significatifs qui ont été réalisés dans la résolution de la crise et ont levé les sanctions imposées à certains acteurs politiques en Guinée-Bissau. Ils ont aussi fait part de leur inquiétude quant à la « lenteur dans la mise en œuvre du calendrier des élections législatives ».

Des préoccupations similaires auraient pu être exprimées concernant le manque de progrès dans la définition inclusive des principes devant guider les principales réformes institutionnelles. L'accord de Conakry d'octobre 2016 fournit une feuille de route claire pour résoudre la crise. Après la désignation d'un Premier ministre et la nomination d'un gouvernement représentatif, le nouveau gouvernement devait s’atteler à organiser une table ronde de dialogue nationale et à adopter un pacte de stabilité définissant les principes directeurs des réformes nécessaires pour stabiliser la Guinée-Bissau.

Le communiqué du sommet de la CEDEAO de juillet − tout comme celui du sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement d’avril − ne mentionne ni l’accord de Conakry ni le pacte de stabilité. Ces omissions reflètent soit un changement de stratégie de la part de la CEDEAO, soit une discontinuité dans le suivi des processus décisionnels antérieurs s’agissant de la Guinée-Bissau.

Concernant la Constitution, au lendemain des législatives de 2014, l’Assemblée nationale populaire (ANP) a mis en place une Commission ad hoc sur la réforme constitutionnelle. Peu de progrès ont été constatés avant que la Commission ne se retrouve paralysée par la crise politique de 2015. L’actuelle loi fondamentale manque de clarté et de précision dans un certain nombre de domaines importants. Le pays devrait se doter d’une constitution pensée pour prévenir les blocages politiques, favoriser un fonctionnement harmonieux des institutions et rendre l’État plus effectif et plus juste dans ses missions au bénéfice des populations.

La Guinée-Bissau a fait les frais de règlements de comptes entre les élites politiques et militaires

Depuis son passage au multipartisme en 1991, la Guinée-Bissau a organisé cinq élections législatives et présidentielles. Des efforts importants ont été consentis pour améliorer les textes électoraux avant les dernières élections législatives de 2014, mais des insuffisances évidentes doivent encore être corrigées. Des réformes du cadre électoral sont nécessaires pour améliorer la transparence et l’intégrité des élections, clarifier et renforcer les attributions de la Commission nationale électorale et rectifier les incohérences entre les dispositions constitutionnelles et les lois électorales.

Quant à la législation qui encadre les partis politiques en Guinée-Bissau, elle date de 1991. Les axes de réformes identifiés visent : à renforcer la régulation des activités politiques ; à confirmer la place prépondérante des partis politiques dans l’animation de la vie démocratique ; à promouvoir l’accès équitable des femmes et des hommes aux fonctions politiques ; à préciser, organiser et contrôler le financement public des partis ; à faire de la législation un outil efficace de modification des pratiques politiques.

Au cours des quatre dernières décennies, le pays a fait les frais de règlements de comptes entre les élites politiques et militaires, pour lesquels les victimes n’ont rarement, voire jamais, obtenu justice. Cela a favorisé les actes de vengeance et alimenté le cycle de la violence. L'absence de mécanismes judiciaires formels a conduit les individus à se faire justice eux-mêmes ou à la résolution des conflits sous l’égide des autorités traditionnelles.

Un nouveau programme ambitieux de réforme de la justice (2015-2019) a été élaboré mais il a été bloqué par la crise politique et les divergences entre l'exécutif (le ministère de la Justice) et le pouvoir judiciaire (la Cour suprême de justice). Un consensus est crucial pour la mise en œuvre de cette réforme essentielle pour la construction d'un système de justice indépendant et utile à la population.

Un processus strictement basé sur les urnes risque de créer les conditions de la prochaine crise institutionnelle

Les réformes du secteur de la défense et de la sécurité en Guinée-Bissau sont un sujet de préoccupation récurrent depuis près de deux décennies. Malgré les efforts déployés par les acteurs régionaux et internationaux aux côtés de l'État, des obstacles subsistent. Les causes sous-jacentes de ces obstacles doivent être analysées avant que des solutions techniques, qui ne résoudront pas les problèmes politiques, économiques et sociaux fondamentaux, ne soient suggérées.

Le silence du communiqué final de la CEDEAO quant à l'accord de Conakry risque de priver à la fois l’organisation régionale et les autres acteurs clés impliqués dans le soutien du processus politique (l’Union européenne, l’Union africaine, les Nations unies, la Communauté des pays de langue portugaise) d'un levier utile pour garantir la stabilité à long terme du pays.

La période d’ici les élections du 18 novembre pourrait utilement être mise à profit pour parvenir à un consensus qui rende le processus de réformes irréversible. Les acteurs nationaux et régionaux doivent rester cohérents et maintenir leur position quant à l’importance de mettre en œuvre de façon séquentielle les réformes institutionnelles prévues par Conakry, qui ont en réalité une longue histoire.

Un processus strictement basé sur les urnes, sans garanties postélectorales concernant l’adoption de réformes nécessaires à la stabilité à long terme de la Guinée-Bissau, risque de créer les conditions de la prochaine crise institutionnelle.

Lori-Anne Théroux-Bénoni, Directrice, Aïssatou Kanté, Chercheure junior et Paulin Maurice Toupane, Chercheur, ISS Dakar

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