Guinée Bissau: Crise politique résolue - mais pour combien de temps?
La nomination d'un nouveau Premier ministre aidera à désamorcer les tensions, mais elle ne résoudra pas les causes profondes des crises politiques récurrentes en Guinée-Bissau.
Publié le 23 septembre 2015 dans
ISS Today
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Avec la nomination de Carlos Correia comme nouveau premier ministre, la crise politique qui secouait la Guinée Bissau depuis plus d’un mois vient de connaître son dénouement. Cette nomination est intervenue le 17 septembre, à la suite de la médiation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Menée par l’ancien président du Nigéria, Olusegun Obassanjo, elle visait à trouver une solution à la crise de confiance entre le Président, José Mário Vaz, et son ex Premier ministre, Domingos Simões Pereira.
Les divergences entre le couple exécutif avaient conduit à la dissolution du gouvernement par le Président, le 12 août 2015. Le 20 août, il nommait Baciro Djá au poste de Premier ministre et ce, contre la décision du Parti Africain de l’indépendance de la Guinée Bissau et du Cap-Vert (PAIGC) proposant la reconduction de Pereira, conformément aux statuts du parti.
Cette nomination a été rejetée non seulement par l’Assemblée nationale populaire, à travers sa résolution prise le 24 août, mais également par le PAIGC, parti majoritaire à l’Assemblée nationale populaire avec 57 députés sur 102. Le parti a ensuite introduit un recours en annulation auprès de la Cour suprême. Dans son arrêt rendu le 8 septembre dernier, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la nomination de Baciro Djá, occasionnant la démission de celui-ci le même jour.
La plupart des couples de l'exécutif ont connu des rivalités ayant impacté négativement le fonctionnement des institutions
Le nouveau premier ministre, Carlos Correia, est actuellement le premier vice président du PAIGC. Âgé de 82 ans, cet ancien combattant de la guerre de libération nationale a déjà occupé ce poste à deux reprises dans les années 1990. Sa nomination a, pour le moment, permis de décrisper les tensions. Elle ne résoudra toutefois pas les causes profondes des crises récurrentes en Guinée Bissau. C’est pour éviter la répétition de celles-ci que la CEDEAO a recommandé la révision de la constitution lors de son sommet extraordinaire, tenu le 12 septembre à Dakar, au Sénégal.
De telles tensions au sommet de l’État ne sont en effet pas nouvelles dans le paysage politique bissau guinéen. La plupart des couples de l’exécutif ont connu des rivalités ayant conduit soit à la destitution du Premier ministre soit à un coup d’État, phénomène auquel la Guinée Bissau est habituée depuis le 14 novembre 1980, date du premier coup d’État perpétré par João Bernardo Vieira dit Nino, alors Premier ministre, contre le premier Président de la Guinée Bissau, Luiz Cabral.
Plus récemment, des tensions entre le Président Kumba Yalà et son Premier ministre Alamara Nhassé avaient conduit à la destitution de Nhassé et à la dissolution du Parlement en novembre 2002. En 2005, les tensions entre Nino et Carlos Gomes Junior avaient mené à la destitution de ce dernier. En 2009, la mésentente entre les deux hommes avait également conduit à un coup d’État.
Deux principaux facteurs impactent négativement le fonctionnement des institutions en Guinée Bissau. La première se situe au niveau des luttes de leadership au sein des partis politiques, en particulier le PAIGC. En effet, la crise actuelle semble être la manifestation d’une querelle de positionnement entre Vaz et Pereira au sein du parti. Les tensions entre les deux hommes remontent au congrès de février 2014. Ce congrès visait notamment à élire le Président du PAIGC ainsi que les candidats aux législatives et à la présidentielle.
L’objectif était aussi de réviser les statuts du parti, en particulier l’article 40. Celui-ci dispose que le Président du parti est tête de liste pour les législatives et futur Premier Ministre en cas de victoire. Au terme d’une lutte très vive, Pereira a été élu Président du parti, donc candidat à la primature. Vaz a quant à lui été choisi candidat à l’élection présidentielle, avec le soutien des adversaires internes de Pereira.
En tant que Président du PAIGC et Premier ministre, le rapport de force est favorable à Pereira qui bénéficie du soutien de son parti. L’engagement du PAIGC pour la reconduction de Pereira après sa destitution s’illustre par les nombreuses déclarations contestant la nomination de Baciro Djà. Face à cette situation, Vaz, malgré son titre de président, apparaît comme un simple militant rechignant à se conformer aux décisions du parti.
Ce rapport de force se fonde au départ sur les rôles joués par Pereira et Vaz au sein du parti. Il s’accentue ensuite au sommet de l’État, une fois que chacun occupe sa fonction respective et malgré un apparent renversement des rôles, l’un devenant président et l’autre étant son premier ministre. La destitution de Pereira peut donc être analysée comme une tentative par Vaz de s’affirmer dans un contexte où il n’est pas en position de force.
Le second facteur structurel des crises qui ont jalonné l’histoire politique du pays est lié aux dynamiques institutionnelles issues de la nature du régime politique en Guinée Bissau.
Le changement de régime à lui seul ne suffira pas à mettre fin aux crises politiques récurrentes en Guinée Bissau
Depuis la révision constitutionnelle de 1993, la Guinée Bissau a opté pour un régime semi-présidentiel sur le modèle portugais. C’est un régime combinant à la fois des éléments du régime présidentiel (élection du Chef de l’État au suffrage universel) et ceux du régime parlementaire (responsabilité du gouvernement devant le Parlement et le Président). Dans un pays où les institutions dépendent des agendas de l’élite politique, ce choix d’organisation politique est source d’instabilité opposant le plus souvent Président et Premier ministre.
Contrairement à la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest où le Président concentre l’essentiel des pouvoirs et nomme son Premier ministre, en Guinée Bissau le Premier ministre, chef du gouvernement est choisi par le parti majoritaire à l’Assemblée nationale devant laquelle, il devient donc politiquement responsable. En outre, le Premier ministre conduit la politique du pays et n’a qu’un devoir d’information à l’endroit du Président. C’est dire qu’il détient l’essentiel du pouvoir exécutif.
Le Président, quant à lui, ne dispose que d’un pouvoir symbolique. Il est en effet garant de la souveraineté du pays, de l’unité nationale et du respect de la constitution. L’article 68 de la constitution lui confère toutefois le pouvoir de destituer le chef du gouvernement ou de dissoudre l’Assemblée nationale en cas de crise. En Guinée Bissau, l’Assemblée nationale n’a été dissoute qu’une seule fois, sous la présidence de Kumba Yalà, en novembre 2002.
Ce bicéphalisme du pouvoir exécutif est souvent source de tensions dans d’autres pays avec la même organisation politique. À São Tomé e Príncipe par exemple, un bras de fer qui opposait le Président Manuel Pinto da Costa au Premier ministre Patrice Troavoada en 2012 avait plongé le pays dans une crise. La particularité de la Guinée Bissau, en revanche, est que ces tensions ont le plus souvent été résolues par l’intervention de l’armée.
La révision de la constitution recommandée par la CEDEAO, lors de son sommet extraordinaire, tenu à Dakar à la mi-septembre est en ce sens pertinente. Il revient maintenant à la commission spéciale sur la réforme constitutionnelle, dont les 28 membres ont pris fonction le 16 février 2015, de proposer un régime susceptible d’éviter ces crises au sein de l’exécutif. L’arrêt de la Cour qui précise les domaines de compétences et les prérogatives du couple de l’exécutif constitue déjà une bonne base de travail pour la commission. Celle-ci est censée mettre au point, dans un délai d’un an, un projet de Constitution révisée qui doit ensuite faire l’objet de consultation publique avant son adoption par l’Assemblée nationale populaire.
Toutefois, le changement de régime à lui seul ne suffira pas à mettre fin aux crises politiques en Guinée Bissau. Les réformes initiées ou projetées et portant sur la sécurité, la défense, la justice, la fonction publique, et le développement économique et social sont également essentielles. Celles-ci ne réussiront cependant que si les acteurs politiques manifestent la volonté de dépasser leurs intérêts égoïstes et partisans. Le pays aura également besoin de l’appui de la CEDEAO et des acteurs internationaux.
Paulin Maurice Toupane et Cheikh Dieng, Division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS-Dakar