Les élections législatives vont-elles remettre la démocratie béninoise sur les rails ?
Après quatre années d’absence de l’arène politique, l'opposition a contesté les législatives de janvier — les plus inclusives depuis l’élection du président Talon.
Le Bénin semble émerger de la crise politique la plus profonde de son histoire depuis la conférence nationale de 1990 qui a posé les bases de la démocratie. Le 8 janvier 2023, les élections législatives se sont déroulées dans un climat globalement apaisé, contrairement à celles de 2019 qui avaient été suivies de violentes contestations contre l’exclusion de l’opposition. Elles avaient entraîné la mort d’au moins quatre manifestants. Ces violences avaient terni l’image du pays considéré jusque-là comme un exemple de démocratie en Afrique de l’Ouest.
Bien que le taux de participation aux législatives de cette année reste faible (37,79 %), ces élections sont les plus inclusives que le pays ait organisées depuis l’arrivée du président Patrice Talon à la tête du Bénin en 2016. Elles marquent le retour de l’opposition dans l’arène politique, après son absence des législatives de 2019 et celle des principaux partis de l’opposition des élections communales et locales de 2020 et de la présidentielle de 2021.
Sept partis ont pris part aux élections législatives de cette année. Trois d’entre eux se réclament de l’opposition : les Démocrates, les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) et le Mouvement populaire de libération. À l’issue du scrutin, seuls trois partis sur les sept ont franchi le seuil des 10 % nécessaires à l’attribution de sièges au Parlement.
Les principaux partis de la mouvance présidentielle, l’Union progressiste le Renouveau (UPR) et le Bloc républicain (BR), ont recueilli respectivement 37,56 % et 29,23 % des voix, remportant à eux deux 81 sièges. Ce score garantit au président Talon une majorité absolue au Parlement pour poursuivre sa politique sans entrave majeure. Les Démocrates arrivent en troisième position avec 24,16 % des suffrages exprimés et obtiennent 28 sièges.
Ces élections marquent le retour de l'opposition dans l’arène politique après quatre ans d'absence depuis les législatives de 2019
Le parti des Démocrates de l’ancien président Boni Yayi conteste les résultats de l’élection et a introduit plusieurs recours à la Cour constitutionnelle. Il dénonce entre autres la corruption massive des électeurs le jour du scrutin et des bourrages d’urnes en faveur de l’UPR et du BR.
La Cour constitutionnelle, qui a reconnu des irrégularités dans certains bureaux de vote, a toutefois souligné qu’elles « n'étaient pas de nature à compromettre la validité, la sincérité et la transparence du scrutin ». Le 21 janvier, elle a rejeté le principal recours des Démocrates. Le parti devrait continuer à privilégier les voies légales afin d’éviter des violences électorales comme en 2019 et 2021.
Après quatre ans d’absence, le retour de l’opposition à l’Assemblée nationale permet de garantir une meilleure représentativité des différentes sensibilités politiques, indispensable à la légitimité de l’Assemblée. Par ailleurs, les députés de la 9e législature auront un rôle dans la procédure menant à l'éligibilité des candidats à l'élection présidentielle de 2026 qui marquera la fin du deuxième mandat de l’actuel président Patrice Talon. Ce dernier a annoncé le 10 juillet 2021 qu’il ne briguera pas un troisième mandat, conformément à la Constitution qui limite leur nombre à deux.
Les candidats à la présidence et à la vice-présidence de la République doivent être parrainés par un nombre de députés et/ou de maires correspondant à au moins 10% de l'ensemble des députés et des maires. Bien que les deux principaux partis de la mouvance présidentielle dirigent 70 des 77 mairies existantes, l’élection récente des 28 parlementaires des Démocrates augmente les chances de participation de l'opposition à la présidentielle de 2026. Ceci permettra d'éviter le scénario de l’élection présidentielle de 2021 qui avait été perçue comme gagnée d'avance. De nombreux observateurs l’avaient interprété comme une manœuvre du président Talon pour garantir sa réélection, en excluant intentionnellement ses adversaires politiques.
Ces élections législatives sont une avancée notable en termes de représentativité des femmes à l'Assemblée nationale
Enfin, ces élections législatives marquent une avancée notable en termes de représentativité des femmes à l'Assemblée nationale. En effet, 28 sièges sur les 109 leur ont été attribués contre 6 pour le Parlement sortant. Les nouvelles dispositions du code électoral et de la Constitution de novembre 2019 ont permis cette première dans l’histoire politique du Bénin. Cependant, au-delà de la représentation numérique des femmes à l’Assemblée, l’enjeu réel demeure leur participation effective et significative à la prise de décision et plus largement à la vie politique, y compris au sein des partis politiques. Parmi ses priorités, la nouvelle Assemblée devrait privilégier l’actualisation de la politique nationale de promotion du genre qui date de 2008.
Après quatre années de tensions politiques et dans la perspective des élections générales de 2026 (communales, législatives et présidentielle), toutes les parties impliquées dans l’organisation des élections au Bénin devront tirer avec lucidité les leçons des quatre dernières élections. Elles devront également analyser les implications et les enseignements de la mise en œuvre des différentes réformes électorales et institutionnelles controversées, adoptées depuis 2018, et s'interroger sur leur efficacité. Il s’agit notamment du Code du numérique en République du Bénin d’avril 2018, de la charte des partis politiques et du code électoral de novembre 2019.
Ces réformes semblent avoir été motivées par la volonté d'assainir le système partisan du pays, d’améliorer les processus électoraux et de renforcer la démocratie. Il n’en demeure pas moins que certaines d’entre elles, adoptées par un Parlement entièrement contrôlé par les deux partis au pouvoir, et n’ayant pas fait l’objet de consensus, ont contribué à aggraver la crise de confiance entre les acteurs politiques et à rétrécir l’espace politique. Elles ont aussi sapé l’engouement des béninois pour les élections, remettant en cause la représentativité et la légitimité des élus issus des quatre dernières élections.
Par ailleurs, l'ambiguïté de certaines dispositions de la charte des partis politiques et du code électoral, qui a laissé place à des interprétations divergentes, a aussi contribué à jeter le discrédit sur les institutions en charge de l’organisation des élections.
Les réformes électorales et institutionnelles controversées adoptées depuis 2018 doivent être revues
Les députés qui seront installés le 12 février doivent placer l'intérêt général au cœur de toutes leurs actions et œuvrer ensemble pour faire face aux défis multiformes auxquels le pays est confronté dans une région en proie entre autres à des crises sécuritaires et politiques.
Ils devront notamment travailler au maintien de la cohésion sociale, au renforcement des institutions garantes de la démocratie et de l’état de droit, au développement socio-économique du Bénin. Ils devront également, en concertation avec toutes les parties prenantes, trouver des solutions adaptées pour faire face à la crise sécuritaire au nord du pays en limitant les vulnérabilités susceptibles d’être exploitées par les groupes extrémistes violents pour s’y implanter. La paix et la stabilité du Bénin en dépendent.
Jeannine Ella Abatan, chercheuse principale, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le bassin du Sahel et le lac Tchad
Image : Mission d'observation électorale de la CEDEAO
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